Proposer ou même promulguer une bonne loi n’est pas nécessairement une bonne nouvelle.  Ce n’est souvent qu’une façon de noyer le poisson.

Mine de rien, on légifère. Pas beaucoup, il est vrai, à peine le minimum syndical, généralement à contrecœur, et après d’interminables louvoiements. Par exemple, un nouveau code des marchés publics, revendiqué depuis longtemps par la communauté internationale, a été promulgué dernièrement. D’autres législations, adoptées au cours des dernières années, englobent un arsenal entier contre la corruption, des réglementations en faveur de l’e-gouvernement, etc. Et de nouveaux projets de lois sont à différents stades d’avancement. De quoi répondre ainsi favorablement aux souhaits des donateurs et des parties locales. De quoi se plaint-on donc ?

En fait, tout est relatif, surtout si l’on veut relater la petite histoire des lois au Liban et leur cheminement habituel. Heureux hasard, une causerie a été récemment organisée sur le sujet par la Fondation libanaise pour la paix civile permanente, présidée par l’infatigable Antoine Messarra.

D’abord, la plupart du temps, un ministre propose une loi au Cabinet. Mais ce texte peut sommeiller des mois ou des années, ou ne jamais être adopté ou même proposé en Conseil des ministres pour toutes sortes de raisons. Quand et si le gouvernement l’adopte, il le transfère au Parlement. Là, il peut encore moisir des années si le président du Parlement a une allergie le concernant. Et le gouvernement n’y peut rien (selon une certaine interprétation de la Constitution post-Taëf). D’où le fait que des dizaines de textes sont égarés dans le Petit Café de la Place de l’Étoile.

Une fois votées, quand et si, la plupart des lois ont besoin pour être appliquées de… décrets d’application qui doivent être émis par le gouvernement. Mais ce dernier tarde parfois à le faire ou ne le fait pas du tout. Des dizaines de lois votées depuis des années sommeillent paisiblement dans quelque tiroir. Les lois de privatisation des secteurs de l’électricité et des télécoms, promulguées en 2002, croupissent depuis.

Même avec des décrets d’application, tout un chacun peut toujours, pour n’importe quel motif, en bloquer ou détourner l’exécution, ou encore avoir sa propre interprétation de ladite loi : le ministre concerné, le ministre des Finances qui peut décider de ne pas transférer l’argent nécessaire à leur application, un chef de service, un simple mohafez… jusqu’au dernier agent de la force publique s’il a des fins de mois difficiles ou si le contrevenant est un cousin germain.

Une dernière obstruction peut venir de la géographie ; une loi donnée ne sera pas appliquée de la même façon à Jounieh ou au Hermel. Un petit drogué à Jounieh avec deux grammes en poche peut être arrêté illico alors qu’on peut tolérer au Hermel jusqu’à deux tonnes de produit. Enfin, certaines lois ne sont pas appliquées car on s’est rendu compte, après leur promulgation, qu’elles ne sont tout simplement pas applicables.

C’est ainsi que lorsque la pression locale ou internationale s’amplifie, on finit par proposer une loi plus ou moins conforme aux desiderata, ou même la voter. Les autorités feraient ainsi bonne figure sans risque, car cette loi a toutes les chances de s’effilocher en chemin.

Abonnez-vous à notre newsletter

Newsletter signup

Please wait...

Merci de vous être inscrit !