Pour beaucoup d’enseignes libanaises de cuisine, l’exportation est devenue une nécessité, même si mettre du beurre dans les épinards n’est pas toujours si simple.


L’exportation des enseignes libanaises de restauration s’est accélérée dès les premiers signes de la crise économique, à la fin de 2019. Cette tendance s’est encore accrue après l’explosion au port de Beyrouth.
Une soixantaine de franchises de restauration, dont une trentaine de cuisine libanaise, ont ouvert récemment – ou depuis des années – des points de franchise dans les pays arabes. Des marchés où la demande est forte pour une cuisine libanaise réputée.
" L’intégration des franchises libanaises s’est faite majoritairement dans la douceur ", explique un consultant libanais dans la restauration. L’Arabie saoudite et l’Égypte ont été dernièrement les principaux pays récipiendaires. " La dynamique de croissance en Égypte a entraîné dans son sillage une forte demande dans le domaine de la restauration en particulier ", précise-t-il. On retrouve au Caire des enseignes variées telles BeBabel, Sérail, Ni, Kampai, Em Sherif. Cependant, peu d’enseignes ont décidé jusqu’à ce jour de conquérir l’Europe, plus difficile d’accès. Cela n’a pas empêché, par exemple, Abdel Wahab d’avoir pignon sur rue à Londres, ou Zaatar w Zeit de planifier de s’installer en France. Malak el-Taouk et le glacier Bachir l’ont déjà précédé à Paris où ils connaissent un succès éclatant.
Un autre restaurateur qui a des ambitions d’exportation est Omar Jheir. Son café SIP a été une des premières franchises libanaises à ouvrir en Égypte, en 2017. Ce Libano-Australien, qui a travaillé 15 ans dans le Golfe, récidive en septembre 2020 en ouvrant, à la rue Gouraud, Peck, une rôtisserie spécialisée dans le poulet. Pour lui, l’Égypte est un pays propice aux restaurateurs libanais, surtout depuis que la livre libanaise a commencé à se dévaluer. En plus, SIP a déjà signé un contrat pour ouvrir au Qatar en 2022. SIP et Peck ouvriront aussi leurs portes à Riyad début 2022 puis à Abou Dhabi en mai 2022.

Un suivi au quotidien
" La boucle est bouclée dans le monde arabe, on s’est installé dans les pays où l’on a considéré qu’il y avait de la demande ", souligne Danny Chaccour qui chapeaute la Société de gestion de restaurants (SGR), une off-shore chargée des opérations de la franchise Em Sherif. Celle-ci, dotée d’un call center et de vingt-cinq employés, s’occupe d’un suivi au quotidien de l’implantation du concept basé sur un transfert du savoir-faire, une formation des ressources humaines, un contrôle de qualité, un audit comptable permanent et un effort de marketing. " Le prix du concept varie entre 4 et 7 millions de dollars par pays et les royalties entre 6 et 7 %, selon la profondeur des marchés d’implantation ", dit-il. Em Sherif se prépare à s’implanter à Athènes et, d’une manière saisonnière, à Mykonos. Elle s’installera aussi au Food Harrods Halls, à Londres, puis à Monaco avant fin 2022.
Une autre série d’expansions majeures concerne la société Addmind, qui fête ses 20 ans cette année et n’en finit pas de s’étendre au Liban et au-delà des frontières. Addmind a subi un énorme coup après l’explosion du 4 août. Ses rooftops : Iris, Clap et La Mezcaleria, ainsi que le Bar du Port (BDP) ont été détruits. Cela n’a pas découragé les promoteurs de la société. Quelques mois plus tard, les deux premières enseignes ont rouvert à Antélias (Aïshti Seaside). Cet été 2021, Iris et Clap ont également repris leur place d’origine.
Claude Saba, COO, et Tony Habre, CEO d’Addmind ne se sont pas arrêtés là. L’été 2021, ils ouvrent Aki (restaurant Japonais) et Sol (piscine/restaurant) dans le complexe d’Aïshti Seaside, qui comprend déjà le BDP et La Mezcaleria. D’autres projets sont en cours de préparation.
La liste des restaurants-bars d’Addmind déjà établis à l’étranger est longue. À part les enseignes qui ont débuté à Beyrouth, un nouveau concept latino-américain, Sucre, a ouvert depuis trois mois à Londre et sera prochainement à Dubaï.
Addmind continue de s’élargir internationalement, atteignant les États-Unis avec White, l’Inde avec White et White Beach, Bahreïn et l’Égypte avec Iris, et bientôt l’Arabie Saoudite avec Iris, Clap et Brute (steak-house). D’autre part, Doha va recevoir Iris. Concernant les Émirats arabes unis, le BDP va bientôt ouvrir à Dubaï qui comporte déjà trois autres concepts du groupe. Enfin, White atteindra Abou Dhabi. Concernant le ticket d’entrée des franchises, M. Saba estime cette valeur entre 200.000 et 500.000 dollars selon le concept.

Les risques du métier
Cela dit, le succès des franchises libanaises de restauration n’est pas toujours au rendez-vous. Les franchiseurs sont un corps de métier autonome qui se juxtapose au métier initial. Les difficultés rencontrées s’articulent parfois autour d’un mauvais choix du partenaire ou de la location géographique des franchises. Pour M. Saba, " la principale difficulté est de maintenir et d’offrir la même expérience dans les différents lieux. " Il n’empêche que des franchiseurs solides, n’ayant pas réussi leur première implantation, récidivent sur les mêmes marchés, forts de leurs leçons du passé. Il en va ainsi de Roadster et Kababji, par exemple. La concurrence est également rude dans certaines niches du marché, particulièrement de la part des franchises turques, apparues dernièrement dans les pays du Golfe, qui offrent des concepts culinaires parfois similaires aux spécialités libanaises.

Les prix en baisse
" Nous sommes voués à l’exportation pour sauver notre économie dans les prochaines années, et le format de la franchise sera l’un de nos chevaux de bataille ", souligne Yahya Kassaa, président de la Lebanese Franchise Association (LFA). Il n’empêche que l’exercice est parfois difficile. Le nombre de restaurateurs capables d’investir sur les marchés extérieurs a reculé à la suite des restrictions bancaires et de l’explosion au port de Beyrouth, laquelle a contraint certains restaurateurs fortement touchés à jeter l’éponge. " Ceux qui résistent enregistrent cependant un développement important ", poursuit M. Kassaa, même si les prix des concepts libanais de restauration ont enregistré une baisse de 20 à 30 %. Mais le rebond des économies de la région après la période de latence du Covid offre de nouvelles opportunités. Et les Libanais comptent bien en profiter.