Présentée comme une loi de restructuration, la Gap Law organise en réalité une liquidation méthodique du secteur bancaire libanais. Derrière des mécanismes techniques complexes — hiérarchie des pertes, assainissement des bilans, recapitalisation — se cache un choix politique clair : sacrifier les banques pour solder une crise publique que l’État refuse d’assumer.
Ce texte ne réforme pas le système bancaire. Il en programme l’effondrement.
Les banques : pilier économique, pas bouc émissaire
Dans toute économie moderne, le secteur bancaire remplit une fonction essentielle :
collecter l’épargne, financer l’investissement, assurer la circulation du crédit. Sans banques solides, il n’y a ni croissance, ni création d’emplois, ni relance durable.
Au Liban, les banques ont joué — parfois à l’excès — le rôle de financeur de l’État, dans un cadre réglementaire et prudentiel défini par la Banque du Liban et validé par les autorités publiques. Elles n’ont pas fixé la politique budgétaire, ni décidé du défaut souverain, ni imposé les choix monétaires destructeurs.
Pourtant, la Gap Law les désigne comme premier absorbant des pertes, avant même toute contribution réelle de l’État.
Une hiérarchie des pertes politiquement orientée
Techniquement, la Gap Law applique une hiérarchie classique : actionnaires, puis banques, puis déposants.
Politiquement, elle en détourne l’esprit.
Le texte prévoit l’anéantissement quasi total des fonds propres bancaires, sans distinction sérieuse entre établissements viables et non viables. Cette approche globale ignore volontairement la diversité des situations bilancielles et empêche toute restructuration sélective.
En pratique, cela signifie :
• une destruction généralisée des capitaux,
• un effacement des actionnaires,
• un affaiblissement irréversible des bilans.
Une telle approche peut se concevoir dans un cadre ordonné, avec un État qui recapitalise ensuite le système. Or, ici, aucun mécanisme crédible de recapitalisation n’est prévu.
La recapitalisation : une fiction juridique
La Gap Law exige des banques qu’elles se recapitalisent… après qu'elles ont anéanti leurs fonds propres. Cette exigence est, économiquement, absurde.
Quel investisseur rationnel accepterait d’injecter des capitaux dans un système où :
• les règles peuvent être modifiées rétroactivement ?
• les dépôts peuvent être convertis par la loi ?
• l’État refuse d’assumer ses engagements ?
• la Banque centrale n’est pas tenue de couvrir ses pertes ?
La réponse est simple : aucun.
Politiquement, cette contradiction révèle la véritable finalité du texte : il ne vise pas à sauver les banques, mais à légitimer leur disparition, tout en transférant le coût final aux déposants.
Liquidation en chaîne : une issue assumée
La Gap Law prévoit explicitement la liquidation d’un nombre important de banques. Cette liquidation est présentée comme un processus technique, encadré, presque neutre. En réalité, elle constitue une faillite systémique organisée.
Dans un contexte où :
• les actifs sont dévalorisés,
• les capitaux sont effacés,
• la confiance est détruite,
• les liquidations ne permettront pas de restituer les dépôts.
Elles serviront essentiellement à constater juridiquement des pertes déjà subies.
Techniquement, la liquidation bancaire dans un environnement de crise systémique ne protège jamais les déposants.
Politiquement, elle permet à l’État et à la Banque centrale de se dégager de toute responsabilité directe.
La Banque du Liban : arbitre et partie
La Gap Law confère à la Banque du Liban un rôle central : supervision, validation, liquidation, émission de titres, gestion des actifs.
Or, la Banque du Liban est au cœur même du déséquilibre financier. Elle n’est ni un acteur neutre, ni un arbitre extérieur. Lui confier la gestion de la liquidation du secteur bancaire revient à lui permettre de gérer les conséquences de ses propres choix, sans mécanisme réel de reddition des comptes.
D’un point de vue politique, cela pose un problème majeur de gouvernance.
D’un point de vue technique, cela fragilise toute crédibilité du processus.
Destruction du crédit, explosion du cash
Les conséquences macroéconomiques de la Gap Law sont lourdes et prévisibles.
Sans banques solides :
• le crédit disparaît,
• l’investissement s’effondre,
• l’économie se replie sur le cash.
Le Liban connaît déjà une expansion massive de l’économie informelle. La Gap Law l’institutionnalise. En détruisant l’intermédiation bancaire, elle condamne le pays à une économie de survie, sans financement structuré, sans visibilité et sans croissance.
Aucune économie libérale ne s’est reconstruite sans système bancaire fonctionnel. Aucune.
Un choix politique déguisé en réforme technique
Il serait erroné de lire la Gap Law comme un texte purement technique. C’est un choix politique assumé, maquillé en ingénierie financière.
Ce choix est le suivant :
• préserver l’État de toute restructuration profonde,
• préserver ses dépenses et ses privilèges,
• sacrifier un secteur privé déjà fragilisé,
• faire porter l’échec public sur l’épargne.
Les banques deviennent ainsi le bouc émissaire idéal : visibles, impopulaires, incapables de se défendre politiquement.
Défendre les banques, c’est défendre les déposants
Dans le débat public, défendre les banques est souvent présenté comme une position indéfendable. C’est une erreur grave.
Sans banques :
• il n’y a pas de dépôts,
• il n’y a pas de crédit,
• il n’y a pas de relance.
La protection des déposants passe nécessairement par la préservation d’un secteur bancaire viable, restructuré intelligemment, recapitalisé de manière crédible et inscrit dans un cadre juridique stable.
La Gap Law fait exactement l’inverse.
Une loi de liquidation, pas de redressement
Techniquement incohérente et politiquement biaisée, la Gap Law ne prépare pas la reconstruction du système bancaire libanais. Elle en organise la disparition.
En détruisant les banques, elle détruit l’épargne.
En détruisant l’épargne, elle détruit la confiance.
Et sans confiance, aucune économie ne se relève.
La Gap Law n’est pas une réforme bancaire. C’est une loi de liquidation politique du marché financier.



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