"L’État et la Banque centrale sont en faillite": Il n’y a pas de lapsus possible lorsqu’un responsable de la chose publique parle du devenir d’une nation. Ce qui a été dit a été dit et noté.

Dans les faits, les propos du vice-président du Conseil des ministres, Saadé Chami, au sujet de la situation financière de l’État libanais sont indicateurs de divergences au niveau des approches entre le Fonds monétaire international (FMI) et les organismes économiques et financiers, pour une résolution de la crise qui secoue le Liban. Au centre de ces divergences se trouve la répartition des pertes financières entre l’État, la Banque du Liban, les banques et les déposants. Ces deux dernières parties se trouvent à présent dans la même tranchée et le meilleur moyen de neutraliser la pression qu’elles exercent pour ne pas avoir à assumer la grande part des pertes financières de l’État est de leur opposer une cessation de paiement de l’État et de la Banque centrale. Cette dernière agit par définition pour le compte de l’État et de la nation.

Le FMI fait table rase cependant du passé. Il doit ouvrir sa bourse pour une relance de l’économie libanaise, mais il n’est pas concerné par les dettes antérieures de l’État et ne participera pas à les éponger.

Des résultats des réunions qu’il a tenues avec les organismes économiques et l’Association des banques au Liban, au cours des trois derniers jours, il ressort que le FMI n’est pas en phase avec ses interlocuteurs. La délégation du Fonds monétaire international a rencontré hier séparément les représentants de trois grandes banques commerciales, qui lui ont exposé d’une manière plus exhaustive leur point de vue.

Corruption et gros déposants  

"Il est possible de reconstituer les dépôts bancaires dès qu’il y a à nouveau une reconstitution des liquidités", souligne dans ce contexte une source bancaire. Celle-ci ne manque pas de réaffirmer la position de l’Association des banques au Liban (ABL) au sujet d’un soutien au projet de loi amendée sur le contrôle des capitaux. C’est que ce texte, approuvé sous une forme amendée la semaine dernière en Conseil des ministres, représente la mesure la plus évidente à prendre lors d’une crise liée à la baisse des flux de capitaux, selon l’ABL.

Dans cette crise, ce n’est pas le secteur privé qui a mal géré ses avoirs, mais le secteur public qui s’est endetté à outrance tout en ouvrant les vannes de ses dépenses à partir de son compte courant et de budgets successifs qui n’ont jamais respecté les limites de la règle du douzième provisoire. Les petits et les grands déposants sont en droit de récupérer leur argent, à moyen et à long termes. Tous les gros déposants ne sont pas des corrompus dans la mesure où, comme partout dans le monde, certaines fortunes ont été construites honnêtement et sont le fruit de décennies de durs labeurs au Liban, en Afrique, en Europe, dans les pays du Golfe ou outre-mer. Remettre les comptes de l’État et de la Banque centrale à zéro n’est pas ce qu’il y a de mieux pour redynamiser l’économie, s’accordent à dire les experts économiques.

Reconstituer les liquidités

Dans le cadre de la "faillite" d’une entité, un système juridique se met en place, visant à liquider celle-ci et à protéger les droits d’autrui, ce qui n’est pas le cas lorsqu’un État est dans cette situation.

L’État libanais possède des actifs évalués à plus de 200 milliards de dollars, ce qui dépasse de loin les chiffres de la dette et du déficit financier. Il ne s’agit cependant pas de les vendre ou de les hypothéquer, mais de les gérer et d’en faire un bon usage. D’où des propositions pertinentes comme celle des organismes économiques visant à la création d’un Fonds souverain qui s’inscrirait dans le cadre "d’une vision globale et équitable du sauvetage économique du Liban", réclamée haut et fort par ces derniers. Cela dit, un ancien cadre du FMI insiste sur l’urgence de suspendre toutes les formes de subventions, d’ajuster les tarifs des télécoms pour une réhabilitation d’un secteur porteur et de promulguer une loi fondamentale pour la garantie des dépôts bancaires et l’encouragement des banques étrangères à revenir au Liban. Cette loi représenterait un facteur de confiance renouvelé pour les déposants et les nouveaux clients.

UN SLA avant vendredi

Une source digne de foi a confié à Ici Beyrouth qu’un "Staff-Level Agreement" (SLA), c’est-à dire l’accord arrêté par les équipes d’experts, sera signé entre le Liban, représenté par le Premier ministre Najib Mikati, et le vice-président du Conseil des ministres, Saadé Chami, et la délégation du FMI avant vendredi prochain, jour de départ de la délégation de l’organisation internationale. Cet accord n’engage en rien le Liban, mais représentera une feuille de route pour une sortie de crise et devra être ratifié par le Parlement libanais et approuvé par le Conseil d’administration du FMI.

Ceci dit, les flux de capitaux attendus au lendemain de la signature d’un accord définitif avec le FMI ne se limiteront pas au montant des cinq milliards promis par le fonds. Cet accord entraînera dans son sillage une avance presque égale par la Banque mondiale, qui n’a d’ailleurs jamais cessé d’avancer des fonds au Liban. Ceci sans compter l’argent qui sera drainé par les forums des Amis du Liban. Une quinzaine de milliards de dollars ne manqueront pas de sortir le peuple libanais de sa misère, à condition que ses frontières soient hermétiquement fermées à la contrebande.