Le «Gap Law» pour les nuls
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Depuis quelques mois, le «Gap Law» – ou loi sur l'écart de financement – est présenté comme la clé de sortie de la crise bancaire libanaise. Selon ses thuriféraires, elle permettrait de remettre de l'ordre dans le système financier et d'ouvrir la voie à un accord avec le Fonds monétaire international (FMI).

Mais derrière ce vocabulaire technique se cache une question beaucoup plus simple : cette loi permettra-t-elle réellement aux déposants de récupérer leur argent, ou se contentera-t-elle d'entériner des pertes déjà subies depuis 2019 ?

Un trou financier de plus de 70 milliards de dollars

Le point de départ du Gap Law est le «financial gap» : la différence entre ce que les banques doivent à leurs déposants et ce qu'elles sont réellement capables de payer. Selon les estimations initiales du gouvernement, ce trou atteignait déjà environ 70 milliards de dollars, un chiffre appelé à avoir augmenté après six années de crise non traitée.

Pour Alain Hakim, ancien ministre de l’Économie et du Commerce, l'enjeu de la loi est clair : «Le Gap Law est censé établir un cadre légal permettant de répartir les pertes entre les différents acteurs de la crise libanaise : l'État, la Banque du Liban, les banques commerciales et, indirectement, les déposants».

Autrement dit, il ne s'agit pas d'un plan de relance, mais d'un texte destiné à organiser juridiquement une faillite systémique, visant à «diluer une crise systémique le plus tôt possible pour pouvoir présenter un bilan positif au FMI».

Une loi de répartition, pas une loi de remboursement

Contrairement au discours politique, le Gap Law ne crée pas d'argent. Il vise à reconnaître comptablement les pertes et à décider comment elles seront réparties. Pour Alain Hakim, une loi crédible devrait reposer sur deux piliers : «la reconnaissance comptable des pertes déjà survenues et un véritable mécanisme de remboursement des dépôts». Or, aucun de ces deux piliers n'est solidement défini.

Les chiffres révèlent l'ampleur du défi. Selon l’économiste en chef de la Byblos BankNassib Ghobril, les liquidités disponibles s'élèvent à environ 14,2 milliards de dollars – un montant largement insuffisant face aux quelque 22 milliards nécessaires pour rembourser uniquement les dépôts inférieurs à 100 000 dollars.

Selon la neuvième version (fuitée) du projet, les dépôts jusqu’à 100 000 dollars seraient remboursés en cash sur 4 ans – sans qu'aucune source de financement claire ne soit identifiée. Pour le reste, les déposants recevraient des bons de la Banque du Liban à 2%, remboursables sur 10, 15 ou 20 ans selon les tranches. Problème : «Comment la BDL pourra-t-elle avoir la liquidité pour rembourser dans 10, 15 ou 20 ans ?» interroge Nassib Ghobril. «Ce n'est toujours pas clair».

L'État à l'écart, les banques sous pression

Le principe défendu par le gouvernement est que l'État ne doit pas contribuer directement au comblement du trou financier. Mais pour Alain Hakim, cette approche pose problème : «Sans participation budgétaire de l'État, qui est le principal responsable du désastre via son endettement, le poids de la restructuration est automatiquement transféré aux banques et aux déposants».

Les créances des banques sur la BDL sont en grande partie constituées des fonds des clients. L'article 13 du Code de la monnaie et du crédit stipule que ces placements constituent des obligations commerciales légales. Toute dépréciation revient donc à une confiscation indirecte de l'épargne, sous couvert de rééquilibrage des bilans.

Un risque de faillites bancaires

«En projetant une extinction des fonds propres sans mécanisme de recapitalisation, la loi pousse vers des faillites techniques, voire réelles», avertit Alain Hakim. Nassib Ghobril confirme : «Selon la neuvième version du projet de loi, oui, ça risque de provoquer des faillites bancaires». Il rappelle que les banques auraient pu déclarer faillite depuis le début, ne laissant que «des miettes» aux déposants. «Mais les banques n'ont pas choisi ce chemin-là.» Si la loi finale maintient son contenu actuel, certaines pourraient toutefois reconsidérer cette option.

Dans un contexte d'incertitude politique persistante, attirer de nouveaux capitaux pour recapitaliser les banques paraît extrêmement difficile. «Qui recapitaliserait aujourd'hui ?» interroge Alain Hakim, pointant notamment la question non résolue de l'armement du Hezbollah et les tergiversations politiques continues.

Pour lui, une amélioration du climat d'investissement nécessiterait que le Liban «se joigne aux pays arabes modérés qui vont aujourd'hui vers une nouvelle vue globale de la région».

L'or : un levier stratégique sous-utilisé

Les réserves d'or de la Banque du Liban sont passées de 13,9 milliards de dollars fin 2019 à 38,4 milliards fin novembre 2024 – uniquement grâce à la hausse des prix internationaux. Hakim rejette toute liquidation : «C'est un aveu d'échec structurel». Il plaide pour un usage via instruments financiers, estimant pouvoir mobiliser 10 à 14 milliards de dollars.

Nassib Ghobril va plus loin : «On ne peut pas traiter l'or comme un beau tableau de musée». Il propose d'utiliser l'augmentation de 24,5 milliards via des opérations de repo (prêts garantis par l'or), permettant d'injecter environ 12 milliards sans vendre l'or physique. Argument de poids : avec des réserves totales (or et devises) équivalentes à 119% du PIB, le Liban détient le ratio le plus élevé au monde – devant la Suisse (100%).

Qui paie la facture ?

Derrière la complexité technique, la question reste élémentaire : qui paie ? Tant que l'État refuse de contribuer et que les banques affirment ne pas en avoir les moyens, les déposants apparaissent comme la variable d'ajustement.

Le Gap Law, tel qu'envisagé aujourd'hui, risque moins de résoudre la crise que de la rendre juridiquement acceptable, sans en corriger les causes profondes : la corruption, les dépenses inutiles et le manque de productivité de l'État.

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