Alors que la guerre fait rage entre le Hamas et Israël, les prises de positions timides du Fateh et de l’Autorité palestinienne dirigés par Mahmoud Abbas, suscitent des interrogations. En effet, après avoir été le principal acteur de la cause palestinienne, le parti semble coincé par sa politique de négociation avec Israël, enclenchée par son fondateur, Yasser Arafat. Une faiblesse qui fait le jeu du mouvement islamiste.

Après l’attaque surprise du Hamas le 7 octobre, et alors que les bombardements font rage à Gaza, le mouvement Fateh et l’Autorité palestinienne, dirigés par Mahmoud Abbas, ont surtout brillé par leur absence. Largement décrié depuis des années par certains Palestiniens, accusé de corruption et de collaboration avec Israël, le Fateh semble avoir perdu en crédibilité. Cela constitue un avantage non négligeable pour le Hamas, soutenu par l’Iran et ses satellites, qui tente de s’imposer comme le principal représentant de la cause palestinienne.

Une profonde déconnexion

Ancien acteur principal de la cause palestinienne et de la lutte armée contre Israël, le mouvement Fateh s’était illustré par la signature des accords d’Oslo en 1993 et la création de l’Autorité palestinienne, qui devait déboucher à terme sur un État palestinien indépendant. Le Fateh, dirigé alors par Yasser Arafat, renonce à la lutte armée et reconnaît l’État d’Israël. Avec l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin par un Israélien d’extrême droite et l’enterrement des accords, l’abandon de la lutte armée par le parti est de plus en plus décrié par les Palestiniens. D’autant qu’en l’absence d’une véritable autonomie palestinienne, beaucoup de Palestiniens regrettent la reconnaissance d’Israël par le Fateh.

Dans ce contexte, l’élection de 2005 et le maintien de Mahmoud Abbas à la tête de l’Autorité palestinienne ont peu à peu entamé la crédibilité du mouvement. "S’il reste le compétiteur principal du Hamas, le Fateh ne joue plus le rôle de mobilisation politique qu’il a déjà joué dans le passé, du fait de son association avec l’Autorité palestinienne", explique à Ici Beyrouth Rachad Antonius, professeur associé à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). "En l’absence d’élections libres, il est difficile de jauger exactement son influence politique dans une situation où la population est désabusée vis-à-vis du rôle de l’Autorité palestinienne."

Néanmoins, c’est surtout l’absence de réaction forte du président palestinien face aux bombardements israéliens sur Gaza qui va provoquer l’ire d’une partie de la population. En effet, les Palestiniens de Cisjordanie, qui ont de forts liens avec leurs concitoyens à Gaza, ont développé un fort ressentiment contre Israël qui s’est accentué au cours des dernières années. Dès les premiers jours du conflit, ils sont descendus dans les rues pour exprimer leur soutien à Gaza. Ces manifestations ont été sévèrement réprimées, tant par Israël, qui a arrêté plus de 4.000 personnes, que par l’Autorité palestinienne. Par conséquent, cette dernière a été accusée de collaboration, d’autant plus que des dizaines de manifestants ont été appréhendés par les forces de Mahmoud Abbas. L’absence d’élections depuis 15 ans a conduit à une forte contestation de l’autorité du président palestinien, de nombreux Palestiniens ayant demandé à plusieurs reprises sa démission.

Un président de plus en plus décrié

La plupart des pays occidentaux considérant le Hamas comme un groupe terroriste, l’Autorité palestinienne s’est naturellement imposée comme le seul interlocuteur palestinien présentable. Le président palestinien est donc le seul à rencontrer les dirigeants des pays étrangers ainsi qu’à entretenir des relations avec Israël. "Mahmoud Abbas survit politiquement grâce à la reconnaissance internationale dont fait l’objet l’Autorité palestinienne qu’il préside", souligne Rachad Antonius. "Cela signifie que les contacts politiques internationaux, les fonds et les possibilités de participation aux instances internationales passent par lui. Les facteurs de survie viennent donc ‘du haut’ et non pas de la base sociale du Fateh."

Mais, la détérioration des conditions de vie des Palestiniens ainsi que l’avancée régulière des colonies en Cisjordanie ont mis à mal l’autorité du président. L’absence d’élections depuis 15 ans et les nombreux scandales de corruption ont terni l’image du Fateh et de l’Autorité palestinienne. Une perte en popularité facilitée par Israël qui a soutenu les divisions entre le Fateh et le Hamas depuis sa création. La politique des gouvernements israéliens de droite depuis 1995, et les attentats-suicides organisés par le Hamas jusqu’en 2005, n’ont pas aidé les populations palestinienne et israélienne à adhérer activement à la dynamique de paix.

Fort d’un soutien iranien et qatari, ainsi que d’une image de "résistance" permanente face à Israël, le Hamas a su profiter de la perte de vitesse de son principal rival, même si son idéologie radicale islamiste ne fait pas l’unanimité au sein de la population, tant à Gaza qu’en Cisjordanie.

Bien qu’il condamne les bombardements israéliens indiscriminés sur la bande de Gaza, Mahmoud Abbas a multiplié les déclarations controversées, affirmant que l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP) était le "seul représentant légitime du peuple palestinien, qui renonce à la violence et adhère à la légitimité internationale". Il a également déclaré que "les politiques et les actions du Hamas ne représentent pas le peuple palestinien", une affirmation qu’il a plus tard retirée en raison de la réaction indignée en Cisjordanie. Ces discours contre le Hamas étaient peut-être destinés à apaiser l’opinion internationale, mais ils ont profondément offensé certains Palestiniens.

Le Hamas, dernier représentant des Palestiniens ?

Face à la quasi-inertie de l’Autorité palestinienne et du Fateh, le Hamas islamiste cherche à s’imposer comme seul représentant de la cause palestinienne. "En prenant l’initiative d’une attaque d’envergure contre l’occupant israélien, le Hamas aura contribué au double objectif de gagner le respect de la population palestinienne et de marginaliser ses adversaires d’orientation laïque et nationaliste, soit l’Autorité palestinienne et le Fateh", souligne à Ici Beyrouth Rachad Antonius.

Certains Palestiniens soutiennent son refus de compromis avec Israël ainsi que ses récents "succès" militaires lors de l’opération du 7 octobre. À leurs yeux, cela représentait une vraie humiliation pour l’État hébreu, considérant que les Palestiniens étaient depuis longtemps relégués au statut de victime.

Mais l’idéologie islamiste du parti ne fait pas l’unanimité parmi les Palestiniens, pas plus d’ailleurs que l’attaque du 7 octobre. "Il y a certainement, en Cisjordanie, un appui à la " volonté de résistance "démontrée par le Hamas. Mais il est loin d’être démontré qu’il y a un appui à ses méthodes et à son leadership, " affirme Rachad Antonius. "Si certains d’entre eux ont le sentiment que cela était une vengeance justifiée, beaucoup de Palestiniens estiment qu’il s’agit avant tout d’un crime de guerre", poursuit-il. "D’autres pensent aussi qu’il s’agit d’une grave erreur, et que le Hamas aurait fait des gains politiques bien plus substantiels s’il s’en était tenu à des cibles militaires."

Bien qu’il ne bénéficie pas de l’approbation générale des Palestiniens, le Hamas peut tout de même tirer profit de l’affaiblissement de l’Autorité palestinienne et du Fateh, devenant ainsi le principal acteur. Alors que la question palestinienne était principalement gérée par les pays arabes sur la scène internationale, le mouvement a réussi à la remettre au premier plan grâce au soutien de l’Iran et du Qatar. Face à la répression continue d’Israël et aux attaques des colons israéliens en Cisjordanie, les Palestiniens pourraient éventuellement considérer le Hamas comme le principal représentant de leur cause, faute de mieux.