L’interpellation de Mgr Moussa el-Hage lors de son retour d’Israël vers le Liban, le lundi 18 juillet, n’est pas seulement liée à une affaire personnelle ou à l’Église maronite, mais va bien plus loin, comme l’ont relevé de nombreuses personnalités. Elle pourrait représenter des messages indirects adressés de l’intérieur libanais vers l’étranger, notamment en direction des parties directement concernées par le dossier de la délimitation des frontières maritimes entre le Liban et Israël.

Certes, l’interpellation de Mgr Hage est une atteinte directe au patriarcat maronite, dont les positions dérangent énormément le Hezbollah, d’autant plus qu’elle intervient à un moment où le Liban traverse une période sensible à tous les niveaux et que le patriarche Béchara Raï cible principalement l’arsenal de la formation pro-iranienne et mène un matraquage au sujet du profil du prochain président de la République. Il ne fait pas de doute non plus que le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, profite de chaque "gifle" assénée au patriarche, du moment que les critères auxquels le profil du prochain président devraient correspondre ne s’appliquent pas au chef du CPL.

Mais il n’y a pas que cela. Un enchevêtrement d’événements et d’intérêts fait que le dossier libanais devient de plus en plus tributaire de développements régionaux et internationaux.

Les allers-retours de l’archevêque de Haïfa et vicaire patriarcal pour Jérusalem, les territoires palestiniens et la Jordanie, Mgr Moussa el-Hage, n’ont jamais posé de problème, pas plus que ceux de ses prédécesseurs. Aucun prélat de ce rang n’a été auparavant inquiété, voire interpellé, intercepté ou interrogé sur le contenu et les destinataires de ce qu’il transporte. Partant, cet incident constitue incontestablement un précédent.

Toutes les insinuations de ceux qui gravitent autour de la formation pro-iranienne, selon lesquelles Mgr Hage aurait transporté de l’argent à de prétendus agents israéliens, ne sont pas sans nous rappeler les procédés utilisés par les services de renseignement et de sécurité sous la tutelle syrienne du Liban. Ces derniers avaient l’accusation d’agent toute prête à l’encontre de toute personne osant critiquer ou s’opposer à la politique du régime syrien.

D’autre part, d’aucuns qui se hasardent à instrumentaliser cet incident dans l’intention d’en faire une affaire purement "chrétienne" ne font que nuire au Liban, qui poursuit sa descente vertigineuse en enfer. La manœuvre qui consiste à dépeindre l’Église comme étant à la solde d’Israël tendrait à faire plier ce dernier afin qu’il se conforme aux conditions et à la politique du parti de Dieu, faute de quoi, c’est toute la communauté chrétienne qui sera stigmatisée. En outre, présenter cet incident comme une persécution programmée des chrétiens légitimerait le projet de fédéralisme, sous prétexte que préserver la sécurité des chrétiens ne pourrait être assurée qu’en les séparant des musulmans.

L’interpellation de Mgr Moussa el-Hage, en plus d’être un message adressé à Bkerké, ne doit pas être interprétée sous un angle sectaire. La question ne se limite pas aux chrétiens, mais concerne tous les Libanais, sachant que le Liban a eu son lot de sectarisme. La sagesse exige que la réaction à ce grave incident soit à la hauteur des dangers et enjeux auxquels le Liban est exposé. Par ailleurs, le timing ne peut pas être ignoré, compte tenu du contexte et des données qui l’entourent.

C’est à partir de ce prisme que devrait commencer la lecture de cette interpellation, qui va au-delà des messages adressés au patriarche Raï, et qui est étroitement reliée au dossier de la démarcation des frontières avec Israël et aux obligations que le Hezbollah est censé respecter – dans le cadre de sa soumission aux exigences du plan iranien et de ses alliés, notamment la Russie –, surtout suite au sommet tripartite de Téhéran.

Même en amont du sommet en question, les développements qui se sont accélérés depuis le début de l’exploration dans le champ gazier de Karish nécessitent une attention particulière. La position du Hezbollah sur ce dossier a soudainement changé. Le discours belliqueux du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, sur la période "post-Karish" constitue une escalade et une menace de guerre. Cette menace, qu’il brandit dernièrement lors de ses apparitions télévisées, vise à entraver les négociations sur le dossier de la démarcation des frontières maritimes, malgré les allégations contraires.

Par conséquent, l’interpellation de Mgr Moussa el-Hage dépasse le cadre de message interne, et s’adresse aux États-Unis, pressés de clore les négociations avec le Liban, en faisant miroiter l’autorisation aux sociétés européennes d’explorer le gaz libanais dès que l’accord sur la démarcation sera scellé. D’autre part, ce message vise également Israël. En réalité, le président russe Vladimir Poutine ne permettra pas à l’État hébreu d’exporter son gaz vers l’Europe avant l’hiver prochain, et n’acceptera pas d’être ignoré dans cette affaire. Ainsi, le président russe compte sur l’Iran, lésé par la stagnation des négociations sur l’accord du nucléaire, pour utiliser le Hezbollah afin d’attirer l’attention de l’administration américaine et de l’État hébreu, en resserrant l’étau et en menaçant d’une nouvelle escalade.

Et là encore, le Liban sera évidemment le grand perdant dans l’histoire.

 

 

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