L’effondrement dimanche de deux silos de la gigantesque structure, dont une grande partie avait résisté à l’explosion apocalyptique du 4 août 2020, protégeant ainsi les quartiers ouest de la capitale d’une destruction certaine, était certes attendu, mais il a quand même provoqué une onde de choc. Les réactions populaires et politiques se sont enchaînées. Sur les réseaux sociaux, des commentaires au sujet de la chute de gros fragments des deux silos du côté nord de la structure, montrent à quel point la plaie ouverte ce 4 août 2020 reste vive. Ils montrent également l’étendue du ressentiment nourri à l’égard d’une classe politique qui s’est montrée parfaitement incapable de protéger les Libanais d’un danger dont elle avait été pourtant alertée et dont le seul souci semble aujourd’hui d’empêcher que l’enquête n’aboutisse.

Il n’est pas étonnant dès lors que dans les milieux politiques de l’opposition, on donne une valeur symbolique à la chute d’une partie des silos, témoins solides, pour plusieurs députés de l’opposition en particulier, de l’incurie étatique. " C’est une partie d’un pouvoir raté qui est aujourd’hui tombé ", a écrit le député Melhem Khalaf sur son compte Twitter. " Nous implorons les autorités depuis des semaines pour qu’elles interviennent afin d’éviter la catastrophe, mais elles se sont contentées d’attendre les résultats sans régler les causes ", a-t-il ajouté en insistant sur la détermination des députés dits du changement à " continuer de réclamer la protection des gens, la mémoire des personnes touchées dans leur chair et la justice qui va tôt ou tard prévaloir ".

" C’est le résultat naturel de la décomposition de l’État, dans toutes ses institutions, et de la moralité de ses dirigeants ", a commenté à son tour le député Ragy Saad. Pour son collègue, Nadim Gemayel, député de Beyrouth I, c’est " l’effet miroir de la chute de l’État qui n’a pas pris les mesures qui s’imposent pour éviter l’effondrement ". M. Gemayel a demandé à l’État d’assurer sans tarder l’électricité aux quartiers affectés par la poussière dégagée pour qu’ils puissent supporter d’être calfeutrés chez eux.

" Vous poursuivez votre crime : De l’entrée du nitrate (au Liban) de la couverture assurée à son stockage et à son envoi en contrebande en Syrie, à l’explosion de Beyrouth (…) en passant par l’obstruction de l’enquête, jusqu’à la chute du dernier témoin de votre criminalité. Mais quoi que vous fassiez, la justice sera rendue ", a martelé de son côté Samy Gemayel, chef des Kataëb et député du Metn.

Son collègue indépendant, Michel Doueihy, s’est engagé, au nom des députés issus de la contestation du 17 octobre, de " continuer à protéger la mémoire collective, à soutenir les parents des victimes et à réclamer la justice, que ce soit à travers le Parlement ou la rue ".

" Cet effondrement n’effacera pas de la mémoire des Libanais le crime commis il y a deux ans. Nous continuerons jusqu’à la dernière minute à œuvrer pour faire la lumière sur (…) l’explosion ", a écrit de son côté le député Ziad Hawat, député de Jbeil.

Pour le député Michel Moawad, (Zghorta), " chaque personne qui a bloqué l’enquête et la procédure du juge Tarek Bitar est responsable d’un crime qui se poursuit ". Dans un commentaire sur son compte Twitter, il a estimé que l’effondrement de dimanche " symbolise ce qui reste de valeurs morales face à un crime terrifiant et face aux familles des victimes ". " Ce crime ne restera pas impuni ", a-t-il insisté.

Le chef du PSP, Walid Joumblatt, a choisi pour sa part de rebondir sur une information qu’il avait lâchée récemment. " Puisque l’État se comporte en spectateur ou est inapte à réagir, pourquoi ne demande-t-on pas à la compagnie qui a acquis une partie du port suivant un contrat de gré à gré, de vider les silos pour qu’ils puissent être préservés ". Il faisait allusion à CMA CGM qui avait catégoriquement démenti dans un communiqué vendredi, les accusations de M. Joumblatt qui l’avait nommée dans un premier tweet à ce sujet. CMA CGM avait précisé que sa mission au port se limite à gérer le terminal de conteneur sur base d’un contrat conclu après le lancement d’un appel d’offres.

Ce sont les deux silos fragilisés par le feu que les autorités concernées ont laissé se consumer pendant plus de deux semaines au pied de l’imposante structure, qui se sont effondrés autour de 17h 30 dimanche. Un brouillard épais de poussière, mêlée à des toxines émanant de la fermentation des grains de blé et de maïs s’est immédiatement dégagé des lieux. Les hélicoptères de l’armée sont vite intervenus pour asperger le site d’eau et empêcher ainsi la poussière de s’étendre.

Une vidéo exclusive à Ici Beyrouth prise quelque temps après la chute des fragments de béton armé, montre une quantité importante de graines qui se trouvait à l’intérieur des silos ainsi que des flammes qui continuaient de monter. En d’autres termes, le même scénario risque de se répéter. Le ministre sortant des Travaux publics, Ali Hamiyé, avait d’ailleurs fait état d’un possible effondrement des réservoirs à grains de la partie sud de la structure, détachés selon lui, des autres.