Le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, a accusé le tandem Amal-Hezbollah de chercher à contrôler le pays, et a plaidé pour l’élection d’un président représentatif de son "environnement".

Le chef du Courant patriotique libre (CPL) Gebran Bassil a créé la surprise samedi en critiquant ouvertement son allié chiite, le Hezbollah, mais aussi le mouvement Amal avec qui il entretient déjà de mauvais rapports, les accusant de chercher à contrôler le pays et d’être pratiquement de collusion à cette fin avec le Premier ministre désigné, Nagib Mikati, contre qui il mène campagne depuis plusieurs semaines. Selon lui, ce dernier, encouragé par le tandem chiite, "fait exprès de ne pas former de gouvernement".

"Le pays a besoin d’un gouvernement. Le problème est que le Premier ministre désigné a décidé de ne pas le former sous différents prétextes. La vérité est que certaines personnes misent sur le vide parce qu’elles savent qu’elles peuvent contrôler le gouvernement et le pays à travers celui-ci. Ceci est inacceptable, inconstitutionnel et risque d’entraîner le Liban vers l’inconnu. Le problème est que ce pari est soutenu par d’autres que le Premier ministre, notamment par ceux qui se sont prononcés en faveur de sa désignation, en sachant bien qu’il n’allait pas former une équipe ministérielle. Le deuxième problème est qu’il n’y a pas de volonté de réforme et que la période qui nous sépare de la fin du sexennat est considérée comme un temps mort. Preuve en est l’absence d’un contrôle des capitaux parce que l’argent continue d’être transféré vers l’étranger (…), d’un plan de redressement et d’un autre pour la restructuration bancaire, parce que le pillage se poursuit et qu’on continue de vouloir faire assumer aux déposants les pertes des banques et de la BDL", a déclaré le chef du courant aouniste.

Prié de préciser à qui il fait allusion en évoquant ceux qui soutiennent Nagib Mikati, il a répondu sans hésitation: "Je parle expressément du tandem chiite".

Exaspération

Cette levée de boucliers contre Amal et le Hezbollah, l’allié incontournable du chef du CPL, ne peut s’expliquer que par l’exaspération de Gebran Bassil face à deux données qui l’ont poussé à amorcer une ouverture en direction de Bkerké, pourtant très critique du camp présidentiel et de la politique qu’il suit.

La première concerne la neutralité que la formation pro-iranienne adopte par rapport au dossier de la présidentielle, alors que le mandat du président Michel Aoun expire dans moins de trois mois. Le Hezbollah se garde toujours de donner la moindre indication sur ses préférences ou ses choix quant au profil du prochain chef de l’État.

La seconde concerne la récente ouverture du Hezbollah en direction du Parti socialiste progressiste, qui a de toute évidence profondément irrité Gebran Bassil. Le chef du PSP Walid Joumblatt s’oppose catégoriquement à l’accession du chef du CPL à la tête de l’État. Ce dernier verrait ainsi ses chances s’amenuiser au profit peut-être d’un autre favori du Hezbollah, le chef des Marada Sleiman Frangié.

Le profil de ce dernier pourrait éventuellement correspondre aux critères définis par Walid Joumblatt devant les émissaires de Hassan Nasrallah vendredi, lorsqu’il avait martelé " non à un président de défi ou à un président de provocation ", sachant que le leader druze est favorable au choix d’un président consensuel et non pas issu du 8 Mars, camp auquel appartient Sleiman Frangié.

Prié de de commenter les propos de M. Joumblatt à son égard, lorsqu’il l’avait avait qualifié de provocateur, le chef du CPL a répondu: "Lorsque Gebran Bassil annoncera sa candidature, qu’il le taxe de provocateur. Toute personne doit respecter les autres, leurs sentiments et leur représentativité".

Cela n’a pas empêché le chef du CPL de détailler le profil du successeur de Michel Aoun, d’une manière qui ramène sans équivoque à sa propre personne. "Ses caractéristiques, a-t-il affirmé, sont bien entendu très importantes. Sa représentation politique l’est aussi. Il faut qu’il ait un important groupe parlementaire et une représentation importante au gouvernement, qu’il soit représentatif au sein de son milieu et qu’il soit accepté des autres parties. Il ne devrait pas être imposé à sa communauté. C’est elle qui doit le choisir. Le plus important est qu’il soit réellement représentatif", a souligné M. Bassil qui est à la tête du deuxième plus grand groupe parlementaire chrétien à la Chambre, après celui des Forces libanaises de Samir Geagea.

Il a insisté dans ce contexte sur le rôle que Bkerké devrait assumer pour s’assurer que le nouveau chef de l’État est "réellement représentatif et qu’il ne soit pas parachuté" en estimant que "la décision relative au choix du nouveau président devrait revenir en premier lieu aux représentants réels" de la communauté maronite. "Notre responsabilité est de nous soutenir les uns les autres. Qu’on s’entende sur un candidat ou que l’on appuie une personnalité n’est pas important. L’important est que la décision émane des représentants réels de notre milieu", a-t-il insisté, dénigrant ainsi indirectement les concertations entre Walid Joumblatt et le Hezbollah au sujet de la présidentielle.

Gebran Bassil a ensuite plaidé pour l’élection d’un nouveau président dans les délais, même s’il a reconnu "ne pas s’attendre à ce que cette échéance entraîne le changement souhaité, tout comme les législatives n’ont apporté aucun changement". Un point de vue qui est à l’antipode de celui de Bkerké. Le patriarcat maronite, excessivement critique à l’égard du mandat de Michel Aoun dont il déplore essentiellement l’alliance avec le Hezbollah et ses conséquences désastreuses sur le pays, plaide pour l’élection d’un président capable de ramener le Liban vers son environnement naturel et de le mettre sur la voie d’un redressement.

Placée dans le contexte de la dynamique politique engagée autour de la présidentielle et dont le patriarcat est le centre depuis quelque temps, l’importance de la visite de Gebran Bassil à Dimane réside dans le fait qu’elle intervient au lendemain d’une visite hautement symbolique du député Taymour Joumblatt, chef du groupe parlementaire du PSP, à Dimane. Celle-ci est intervenue au lendemain de l’entretien de Walid Joumblatt, jeudi à Clemenceau, avec une délégation du Hezbollah, des retrouvailles qui devaient ainsi sceller un rapprochement entre le leader druze et la formation pro-iranienne.

La visite de Taymour Joumblatt, qui était accompagné des députés Waël Bou Faour et Akram Chehayeb visait notamment à montrer que le PSP reste sur la même longueur d’onde que Bkerké au sujet des constantes nationales et des critères de base pour le choix d’un président. C’est ce que M. Joumblatt devait d’ailleurs souligner dans sa déclaration à la presse en mettant l’accent sur "le partenariat national et historique" entre Bkerké et Moukhtara, et en affirmant que ce partenariat est appelé à se poursuivre au service de l’intérêt, de l’indépendance et de la souveraineté du Liban, quelles que soient les pressions exercées et les positions politiques".