Au Liban, le terme "guerre civile" remonte à la surface à chaque tournant décisif, ou à des moments de troubles politiques intenses. C’est alors que les débats traditionnels sortent de leurs normes habituelles et de leurs limites acceptables. Les Libanais ont souffert de tragédies innombrables lors du dernier conflit armé, ou plutôt la guerre civile, qui a duré quinze ans (1975-1990). Il ne serait pas démesuré de dire que certains volets dramatiques de cette guerre cruelle et absurde ne se sont toujours pas refermés, malgré le passage de plus de deux décennies.

Les divergences politiques majeures sur les constantes et les options de gouvernance relèvent de la nature complexe du système politique libanais, et de ses dimensions confessionnelles et sectaires, ce qui a compliqué la gestion des affaires du pays. Là, on ne devrait pas omettre d’évoquer la diversité des allégeances régionales de la part de nombreux partis locaux, qui ont eu pour résultat d’alimenter les ingérences étrangères. Il va sans dire, bien évidemment, que les protagonistes extérieurs ont leurs propres agendas qui correspondent à leurs intérêts et qui sont en contradiction avec l’intérêt national purement libanais.

Depuis la création de l’État du Grand-Liban avec l’aide et le soutien des Français en 1920, les débats liés à l’identité nationale n’ont toujours pas été résolus. La révolution de 1958 a favorisé un certain prolongement des débats identitaires. La guerre de 1975 a également alimenté ce conflit. Et une fois terminée, cette guerre n’a pas réussi à défaire les complexités et les enchevêtrements locaux et externes, qui sont devenus encore plus complexes avec l’arrivée de l’armée syrienne au Liban en 1976.

L’importance de l’accord de Taëf (1989) est qu’il a réglé, bien que théoriquement, la polémique sur l’identité arabe du Liban, et son affiliation naturelle à cet environnement, qui constitue pour lui une ouverture idéale, non seulement d’un point de vue économique – bien que primordiale bien sûr – mais aussi au niveau politique, car l’absence d’une couverture arabe a pratiquement conduit, comme on a pu le constater ces dernières années, à engendrer un vide que d’autres puissances régionales dotées d’outils locaux et d’une influence prépondérante, ont pu aisément combler, au premier rang desquelles se trouve l’Iran.

L’accord de Taëf est né au moment d’un ralliement arabe et international qui a contribué à faire taire les canons au Liban, redonnant paix et stabilité au pays du Cèdre. Cependant, des parties locales ont refusé d’appliquer entièrement certaines de ses clauses portant sur des réformes et des changements, notamment concernant l’abolition du confessionnalisme politique et de la décentralisation administrative, ainsi que d’autres propositions essentielles. De ce fait, l’accord a perdu beaucoup de son efficacité au niveau national.

En outre, la large marge de manœuvre dans l’interprétation de certaines de ses clauses et la distorsion dans l’application de certaines clauses – le plus souvent délibérée – ont ruiné de réelles opportunités de réforme, et accordé aux diverses confessions des "privilèges" supplémentaires à leur trop plein existant déjà, à travers une hérésie d’appellation: le "pacte d’entente nationale". Cette charte a concouru à donner – injustement – aux principaux chefs de chaque confession le droit d’entraver et de paralyser les institutions à n’importe quel moment où ils estiment que les déroulements politiques ne sont pas compatibles avec leurs propres intérêts factionnels.

Ceux qui aujourd’hui réclament haut et fort l’idée de se delester de "l’accord de Taëf" pour se diriger vers l’instauration d’un nouveau "contrat social" font partie de l’un de ces deux groupes : soit ils sont novices en politique et dans l’incapacité ou l’ignorance de prévenir les dangers d’une telle démarche, ainsi que ses répercussions sur l’avenir du Liban, soit ils appartiennent au groupe de ceux qui détiennent une surabondance de pouvoirs à travers lesquels ils peuvent se permettre d’imposer de nouvelles équations politiques, ainsi que leur volonté au pays entier, au grand dam des opinions du reste des composantes de la société libanaise.

L’accord de Taëf n’est ni une maison ni un lieu sacro-saint. Il faudrait arrêter d’invoquer l’aide divine dans les affaires politiques quotidiennes libanaises. Tantôt on s’interdit de toucher de près à des textes politiques pour des considérations sectaires ignobles. Et, tantôt certaines forces politiques élèvent leur rang représentatif à celui des dieux! Le premier est injustifié, et le second indigne!

Or, dans les calculs politiques "terrestres" et non pas "célestes", n’importe quelle substitution à l’accord de Taëf dans un contexte politique critique au niveau local, régional et international aurait pour but de provoquer un déséquilibre au sein de certaines forces politiques. Ce qui à son tour conduirait à l’hégémonie politique d’un groupe sur l’ensemble des partis. Incontestablement, ceci risquerait de changer à jamais la face du Liban.