"Nous rejetons toute tentative de troc entre le rôle de la résistance et ses armes d’une part et le règlement des problèmes économiques du pays de l’autre", a déclaré mardi l’ancien ministre du Hezbollah Mohammad Fneich en allusion à la référence faite par le président français, Emmanuel Macron, et le prince héritier saoudien, Mohammad ben Salman, aux résolutions internationales prévoyant le désarmement des milices au Liban, lors du communiqué commun publié à l’issue de leur entretien samedi à Jeddah.
D’aucuns ont vu dans les propos de M. Fneich un rappel à l’ordre adressé au gouvernement, qui a démontré lundi sans équivoque une volonté de coopérer avec la France et l’Arabie saoudite pour mettre en application les principaux points de l’initiative franco-saoudienne en faveur du Liban, ce sésame qui va permettre au pays d’accéder à des aides substantielles pour son rétablissement économique et financier.

Cette explication peut en effet se justifier si l’on considère que le Hezbollah, qui hypothèque depuis plusieurs années déjà la politique étrangère du pays, provoquant son isolement au double plan arabe et international, voit mal l’empressement du Premier ministre, Nagib Mikati, à convoquer une réunion, lundi, pour examiner les modalités d’application de l’initiative franco-saoudienne. Mais elle reste foncièrement restrictive si l’on tient compte des développements accélérés dans la région qui interviennent dans la foulée d’un recul sensible de l’axe dit de la Moumanaa à plusieurs niveaux, en Irak, en Syrie, au Yémen, et maintenant au Liban.

Après avoir bloqué pendant des semaines la démission de l’ancien ministre de l’Information, Georges Cordahi, pour des raisons liées selon lui, à la souveraineté et à la dignité libanaises, la formation chiite s’est vu contrainte de faire marche arrière à partir du moment où Paris a négocié avec l’Iran une formule de règlement à la crise provoquée par les propos de Georges Cordahi sur la guerre au Yémen.

Certes, l’Arabie saoudite, qui a accepté de rétablir ses relations économiques et politiques avec le Liban, ne se fait pas d’illusions sur la capacité des autorités libanaises à mettre en œuvre l’ensemble de ses exigences pour un retour total à la normale avec Beyrouth, mais elle peut se targuer d’avoir poussé Paris, un des rares interlocuteurs occidentaux du Hezbollah, à adhérer à la terminologie saoudienne par rapport à cette formation. Pris sous cet angle, le rejet de ce que Mohammad Fneich a appelé "un troc", constitue un message adressé aussi bien à Paris qu’au public du Hezbollah, que la formation chiite s’efforce de galvaniser pour masquer l’échec de "ses victoires contre l’axe israélo-américano-saoudien".

Car l’affaire de la démission de Georges Cordahi, n’est que le symbole de cet échec qui vient s’ajouter à une série d’autres revers à l’actif du parrain iranien de la formation libanaise, que ce soit à Vienne où l’Iran n’a pas réussi à imposer ses conditions lors de la reprise des négociations sur le nucléaire, ou en Irak où l’axe de la Moumanaa a perdu sa majorité au Parlement, lors des dernières élections, en dépit de ses tentatives de les annuler et d’en contester les résultats, ou encore au Yémen où il n’arrive pas à s’imposer en dépit des moyens énormes dont disposent les Houthis, la milice soutenue par l’Iran.

Changement de politique syrienne
Reste la Syrie où un vent de changement commence à souffler avec l’ouverture des Emirats arabes unis sur Damas et les informations sur une prochaine tournée du président Bachar el-Assad sur certains Etats arabes. Ce dernier, confient des visiteurs de Damas, s’apprête à reconsidérer ses relations avec l’Iran et le Hezbollah dans la foulée de son repositionnement sur l’échiquier régional, et n’écarterait pas l’éventualité d’adopter une nouvelle politique de gestion des frontières pour limiter la circulation des armes et des combattants du Hezbollah entre la Syrie et Le Liban. Une politique également souhaitée par la Russie qui aurait parrainé, selon des sources occidentales, des réunions israélo-syriennes à Chypre, et qui paverait ainsi la voie à un retour de Damas à la Ligue arabe, au sommet arabe de mars prochain. La condition à ce retour serait bien entendu que Bachar el-Assad se conforme à une série de conditions posées par les pays de la Ligue.

La situation du Hezbollah n’est pas meilleure au Liban où il doit affronter tout à la fois le mécontentement grandissant au sein de la communauté chiite avec l’aggravation de la crise socio-économique, celui de ses alliés, notamment le Courant patriotique libre qui lui reproche le blocage du gouvernement, ainsi que les violentes critiques de ses détracteurs, qui l’accusent d’être la cause de la déliquescence de l’Etat et de l’isolement du Liban.

La meilleure défense étant l’attaque, la formation chiite semble avoir choisi de s’inventer un ennemi interne, dans une tentative de resserrer les rangs de son public autour d’elle. C’est dans ce contexte qu’il faut situer la levée de boucliers hezbollahi contre les Forces libanaises, après les incidents de Tayyouné en octobre dernier et les rumeurs qu’il fait circuler dans son environnement direct sur un armement des FL et des Kataëb et des manœuvres militaires auxquels les deux partis se livreraient, dans la perspective d’une guerre que les deux déclencheraient contre le Hezb.
C’est aussi dans se contexte qu’il faut replacer les poursuites intentées contre l’ancien député Farès Souhaid, l’un des opposants les plus vocaux face au Hezbollah.

Toute la question est aujourd’hui de savoir comment le Hezbollah compte compenser ses échecs au niveau politique. Tentera-t-il un marché politique qui serait parrainé par le président de la Chambre, Nabih Berry, ou s’orientera-t-il vers davantage d’escalade, croyant ainsi pouvoir arracher à ses interlocuteurs quelques victoires potentielles, comme la consécration de la répartition par tiers (chrétiens, sunnites et chiites) au sein de l’Etat ?

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