Les points ébauchés par Dar el-Fatwa, en préparation de la réunion inédite des députés sunnites prévue sous son égide samedi, s’alignent en grande partie sur le communiqué conjoint publié mercredi soir à New York par les ministres des Affaires étrangères américain, français et saoudien.

La plus haute instance sunnite du pays, Dar el-Fatwa, tient samedi une réunion inédite entre les députés relevant de la communauté sous le thème de la "consolidation de l’unité sunnite islamique et nationale". Sans ordre du jour officiel, cette réunion a pour ambition de rassembler les parlementaires sunnites autour de principes nationaux que Dar el-Fatwa juge essentiel de défendre, à commencer par le respect de Taëf et la tenue de la présidentielle dans les délais.

Malgré les disparités politiques entre les participants, rendues plus évidentes par le retrait de l’ancien Premier ministre Saad Hariri et leader du courant du Futur de la vie politique, Dar el-Fatwa entend offrir un cadre qui compense l’hétérogénéité sunnite au sein de l’Hémicycle. D’abord, en se présentant comme autorité de référence morale, mais "qui n’impose rien", ensuite, en espérant obtenir une entente a minima entre les députés autour de "grandes lignes", déjà ébauchées officieusement par l’instance, selon une source informée des préparatifs de la réunion à Ici Beyrouth. Ces points, qui seront soumis au débat, incluent principalement "l’application de la Constitution, le respect de Taëf, le renforcement des relations avec les pays arabes et l’élection d’un président de la République dans les délais", d’après la même source .

Vingt-quatre participants des 27 députés sunnites

"La liberté sera laissée aux députés de s’entendre ou non sur ces points, et s’ils le souhaitent, un communiqué sera publié à l’issue de la réunion, précise-t-on dans les mêmes milieux. Il n’y aurait donc pas de texte déjà prêt, et il n’est pas sûr qu’un communiqué soit publié." La réunion doit se tenir à huis clos, après une allocution médiatique introductive que doit prononcer le mufti de la République, Abdellatif Deriane.

Des 27 députés sunnites élus aux dernières législatives de mai, 24 seront présents, trois s’étant excusés officiellement, à savoir Halimé Kaakour et Ibrahim Mneimné (deux membres du groupe des cinq députés sunnites issus de la contestation) et Oussama Saad (figure indépendante de Saïda ayant déjà boycotté de nombreuses échéances), selon une source de Dar el-Fatwa.

Un timing arabo-occidental déterminant

Les points ébauchés par Dar el-Fatwa s’alignent en grande partie sur le communiqué conjoint publié mercredi soir à l’issue d’une réunion à New York en marge des travaux de l’Assemblée générale de l’ONU entre les ministres des Affaires étrangères américain, français et saoudien.

L’ancien député Farès Souhaid situe d’ailleurs la réunion dans un contexte de regain d’intérêt saoudien pour le Liban, centré autour de Taëf dans sa double portée réformiste et souverainiste (volet souverainiste relatif notamment au désarmement des milices). "Il y a une décision saoudienne de ne pas lâcher le Liban et de considérer l’accord de Taëf comme la planche de salut de tous les Libanais, puisque donnant leur légitimité nationale aux résolutions internationales", confie l’ancien député proche de Riyad à Ici Beyrouth.

Cette entente arabo-franco-américaine autour de Taëf a été précédée d’un engagement français dans ce sens formulé déjà au moins à deux reprises: une première fois dans l’accord entre le président français, Emmanuel Macron, et le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, sur le Liban conclu en décembre dernier à Djeddah, et une seconde fois lors de la réunion en fin de semaine dernière à l’Élysée, d’un groupe de travail franco-saoudien pour le Liban, explique M. Souhaid. Selon lui, cet engagement de la France en faveur de Taëf serait formel, et donc difficilement révocable: un soutien de la France à l’Iran dans ses velléités de révision du système serait dès lors difficilement justifiable.

L’enjeu de la présidentielle

L’harmonie des positions occidentale et arabe autour de Taëf est assortie d’une position commune au niveau de la présidentielle. Celle-ci part de la présomption que l’Iran est capable d’imposer à ce stade son candidat, même parmi ceux qui lui sont radicalement acquis, mais s’il le fait, ce ne sera pas sans conséquences: le président élu serait isolé de l’ensemble des mécanismes internationaux, onusiens, européens et arabes, explique l’ancien député. Ce qu’un observateur sunnite résume par la formule suivante: l’Arabie s’oppose à un président du 8 Mars, sans pour autant préconiser une confrontation.

Le point relatif à la tenue de la présidentielle dans les délais, tel que repris par Dar el-Fatwa en préparation de la réunion, serait à comprendre, selon des observations concordantes, comme une incitation aux députés sunnites à ne pas boycotter la séance électorale, quels que soient les candidats.

En contribuant étroitement à la tenue de la réunion de Dar el-Fatwa, l’Arabie saoudite souhaiterait donc "dynamiser la plateforme parlementaire sunnite dans le sens" de l’orientation arabo-occidentale ainsi décrite, dans l’espoir de former un noyau de bloc cohésif.

Les risques de la réunion  

Mais cette empreinte saoudienne n’est pas sans influencer étroitement la participation des députés aux assises sunnites: certains ayant en vue de devenir Premier ministre, sont mus par un intérêt personnel, et donc inconsistant, de ménager Riyad, d’autres, proches du 8 Mars, sont susceptibles de détourner la réunion de sa vocation nationale ainsi décrite, en la limitant à une dimension strictement communautaire, selon des observateurs.

"Cette réunion pourrait constituer le noyau d’une opposition nationale face à la mainmise iranienne, comme l’a été en 2000, face à l’occupation syrienne, la réunion des prélats maronites à Bkerké et en 2001, le Rassemblement de Kornet Chehwane. Mais aussi importante soit-elle, elle risque d’être dangereuse si elle est réduite à l’expression de doléances sunnites", comme les prérogatives du Premier ministre ou autres, précise Farès Souhaid.

C’est ce qui fait dire d’ailleurs à l’avocat Hassane Rifaï qu’il aurait mieux valu ne pas invoquer Taëf, pour éviter un positionnement antinomique de celui du président actuel Michel Aoun, dont le camp est "seul actuellement à remettre en cause ce document" dans le discours politique officiel. Ce positionnement antinomique qui risque de revêtir un caractère sunnito-chrétien, serait sujet à une instrumentalisation de la part du Hezbollah, prévient M. Rifaï, qui aurait préféré la coordination d’une dynamique commune entre Dar el-Fatwa et Bkerké autour des constantes nationales.

Néanmoins, il salue l’appel à honorer la prochaine présidentielle, comme une démarche dénotant un engagement national, qui contraste avec le boycottage de la désignation du Premier ministre Najib Mikati par la plupart des députés chrétiens. Il reste que la réunion de Dar el-Fatwa marque, selon lui, "un acte de présence, peut-être non nécessaire, mais dont il faut attendre voir les résultats".