Le Conseil supérieur de la magistrature s’est de nouveau réuni mardi sous la présidence du magistrat Souheil Abboud, pour discuter de la proposition du ministre sortant de la Justice, Henry Khoury, de nommer un juge suppléant à Tarek Bitar, en charge de l’instruction du dossier de l’enquête, toujours bloquée, sur l’explosion du 4 août 2020, au port de Beyrouth.

La réunion, qui s’est tenue sur fond de vives protestations des familles des victimes, a pris fin autour de 14h, sans que le CSM ne s’entende, encore une fois, sur la nomination d’un magistrat, en l’occurrence Samaranda Nassar, proche du camp aouniste.

Le nom de Mme Nassar avait été proposé par M. Khoury dont l’initiative est dictée, selon ses explications, par la volonté de débloquer les dossiers des personnes qui avaient été interpellées dans le cadre de cette affaire, et qui, près de trois ans plus tard, restent en détention à cause de la paralysie de l’enquête.

Le CSM reste divisé aussi bien sur l’initiative du ministre sortant de la Justice que sur le choix de la magistrate. Ces divisions se sont répercutées au niveau de la rue où une vive altercation verbale a eu lieu entre les familles des victimes et celles personnes détenues. Les premières redoutent un court-circuitage supplémentaire de l’enquête et continuent ainsi de manifester pour exprimer leur opposition à la nomination d’un juge suppléant à Tarek Bitar. Les familles des détenues pressent au contraire pour cette démarche qui permettra de libérer leurs proches, dont l’ancien directeur général des douanes, Badri Daher également proche du courant aouniste.

L’initiative de M. Khoury a été vivement critiquée dans de nombreux cercles juridiques et politiques où l’on considère que le règlement du dossier des détenus passe essentiellement par un déblocage de l’enquête. Celle-ci est bloquée à cause de la cascade de recours présentés par les personnalités politiques dont la responsabilité politique a été retenue dans le cadre de l’enquête, contre Tarek Bitar.

Parmi les détracteurs de l’initiative du ministre sortant de la Justice, le bâtonnier Nader Gaspard, qui l’a jugée inopportune, et considéré qu’elle porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.

Dans un mémorandum qu’il avait adressé au juge Souheil Abboud pour l’exhorter de ne pas nommer un juge suppléant à Tarek Bitar, Nader Gaspard avait accusé M. Khoury d’avoir " ordonné " au CSM de nommer un juge suppléant et d’avoir violé à ce titre le principe de séparation des pouvoirs, d’autant que l’ordre donné correspond à la volonté d’une partie politique. Il faisait allusion au camp présidentiel qui cherche à obtenir la libération des personnes détenues dans le cadre de l’enquête sur l’explosion au port.

Certes, le maintien de ces dernières en détention à cause du blocage de l’enquête est injuste au plan strictement humain, mais au plan judiciaire et moral, c’est leur libération qui serait injuste tant que l’investigation est bloquée. Leur remise en liberté dans ces conditions consacrerait une justice sélective par rapport au reste des parties prenantes dans cette affaire, notamment les parents des victimes de l’explosion, privés toujours du droit à la vérité qu’elles continuent de défendre.