L’Arménie, premier Royaume chrétien de l’histoire, a développé une personnalité unique en matière de spiritualité, d’art, de musique et de littérature. Elle avait exporté l’esprit de son architecture sacrée vers les quatre coins de l’Europe bien avant avoir érigé les églises de sa diaspora sur les cinq continents. 

Le type d’église développé par l’Arménie est un plan cruciforme à l’intérieur et polyédrique à l’extérieur. La coupole qui surmonte le naos, ou espace central, est enfermée dans un toit conique bâti en pierre, surélevé sur un tambour et devenu emblématique de cette architecture. Le tambour peut être cylindrique ou octogonal, transpercé de baies à arcs et orné d’une galerie d’arcades aveugles sur colonnes engagées à la manière d’un bas-relief. Ce dernier motif est l’un des éléments les plus exportés par l’Arménie vers les pays limitrophes et jusqu’en Europe romane.

Les ornements sculptés

La sculpture n’est pas la ronde-bosse à l’honneur en Occident, mais des bas-reliefs tantôt figuratifs à la manière des miniatures des manuscrits, tantôt abstraits à la manière des khatchkars, ou croix de pierre. C’est toute une série d’entrelacs et de guillochis qui se développent en encadrements d’ouvertures, en frises ou en arcades. Une corniche médiane cintrant tout l’édifice correspond en façade à la naissance des voûtes à l’intérieur. Il arrive que cette corniche vienne embrasser les linteaux et les arcades des ouvertures, les intégrant dans un scénario continu. Nous retrouverons ce phénomène jusqu’en France romane, à Notre-Dame-du-Port à Clermont-Ferrand dans le Puy-de-Dôme.

Basilique romane du Sacré-Cœur à Paray-le-Monial (France). (www.sacrecoeur-paray.org)

Serbie et Roumanie 

Ce principe de corniche a été exporté vers la Valachie et le reste de la Roumanie, ainsi qu’en Serbie, notamment à l’église de l’Assomption de Ljubostinja (fin du XIVe siècle) qui reprend également les arcades aveugles engagées et les rosaces finement ciselées. Ces rosaces à entrelacs sont devenues également typiques du style arménien. Elles se forment en partant d’une zone concentrique suivie d’un jeu de cordelettes qui se développent vers le disque extérieur. Leurs motifs géométriques infinis reprennent ceux des khatchkars qui évoquent un travail d’orfèvre. Toujours en Serbie, le monastère de Ravanica (fin du XIVe siècle) présente la corniche médiane et les arcades engagées presque aveugles, mais percées de meurtrières à la manière arménienne comme à Dadivank et à Hovhannavank.

Église serbe de l’Assomption à Ljubostinja (Serbie). (panacomp.net)

C’est l’église de la Dormition au monastère d’Argeş en Roumanie qui présente, comme à Ljubostinja, le jeu de corniche médiane torsadée, d’arcades engagées avec meurtrières et de rosaces ciselées en entrelacs. Comme en Arménie, le plan de cette église est aussi en croix avec une coupole centrale surélevée. Selon un modèle proprement arménien, les arcades du tambour sont en boudin, c’est-à-dire sans insertion de chapiteaux entre les colonnes et les arcs.

Église roumaine de la Dormition au monastère de Argeş (Roumanie).

Le gavit

Signe particulier de l’architecture arménienne, le gavit est un narthex, ou pronaos, muni de sa propre coupole coiffée de son cône. C’est un élément vertical qui reprend à plus petite échelle l’image de la tour centrale du naos. Il peut être fermé en turbé ou ouvert en baldaquin. Cette dernière solution se retrouve étrangement au Liban, dans l’église maronite de Saint-Jean à Mtein. Ici, le narthex est ouvert sous forme de porche et surmonté de gradins portant un clocher. Le tout est ajouré selon le modèle de l’église de la Sainte-Mère-de-Dieu à Khor-Virap (Arménie).

Église maronite de Saint-Jean à Mtein (Liban). ©Amine Jules Iskandar

La répétition des cônes du naos et du gavit sont les éléments les plus révélateurs de l’identité arménienne de cette architecture et permettent son identification à distance dès la perception de sa silhouette. Cette forme rappelle également la coiffe des moines, évêques, vardapets et même du catholicos.

Église arménienne de la Sainte-Mère-de-Dieu à Khor-Virap (Arménie).

La stabilité    

Pays fortement sismique et soumis à des températures extrêmes, l’Arménie a dû élaborer une technique adaptée à ces contraintes. Ses constructeurs ont eu recours à des matériaux solides tels que le granit, le marbre, l’argile et le basalte, mais aussi et surtout le tuf marron et rougeâtre. Cette roche volcanique taillée en gros blocs confère aux édifices arméniens un aspect monumental, archaïque et chaleureux. La façade étale ainsi un épanouissement de toutes les nuances rougeâtres et orangées de la pierre volcanique. Ce matériau sert également à la sculpture et ciselure des khatchkars.

Un blocage de béton était employé pour consolider l’intérieur des murs, alors que la partie extérieure était travaillée en pierre de taille à joints vifs. La technique d’enchevêtrement des lits de pierres permettait d’éviter les glissements causés par les séismes. Ici et là, une pierre à chicane débordant vers un autre lit permet la jonction avec celui-ci, procurant à la façade une plus ample cohésion.

Du plan général aux plus petits détails en passant par la volumétrie, nous sommes en présence d’une ingénieuse architecture de stabilité, d’équilibre et d’harmonie. Le monument s’élance sur une base plus large, pour se réduire au fur et à mesure qu’il s’élève. L’épaisseur des murs, la réduction des ouvertures et la couverture voûtée, tout cela contribue à la solidité qui a permis à ces trésors de l’humanité de traverser les siècles et de braver les guerres et les catastrophes naturelles.

Influences sur l’Europe

Josef Strzygowsky suppose une influence arménienne sur le monde chrétien, à la fois byzantin et occidental. Il rappelle que c’est Tiridate, l’architecte arménien de l’école artistique d’Ani, qui avait restauré la coupole de Sainte-Sophie de Constantinople après le séisme de 989. Un autre Arménien, Eudes de Metz, appelé Odo, était l’architecte de Charlemagne. C’est lui qui avait construit la chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle sur le modèle du catholicossat d’Etchmiadzine et qui allait devenir le prototype pour les autres monuments carolingiens puis romans.

Du coté oriental, c’est la Russie qui a aussi puisé dans les sources de l’architecture arménienne. Ainsi, en Roumanie, dans les Balkans, dans la région du Dniepr (Russie), et en Europe romane, nous retrouvons les caractéristiques d’un style particulier né à Ani dans le Caucase arménien. Les nefs à berceaux en ogive avec arcs doubleaux, les arcades aveugles engagées dans les façades et le plan cruciforme surmonté de la tour centrale témoignent d’une origine caucasienne commune.

Architecture romane

À Saint-Étienne de Nevers et à l’abbaye de la Sainte-Trinité à Lessay, toutes deux du XIe siècle, l’art roman s’inspire du plan en croix. À Lessay, comme à la Très-Sainte-Trinité de Germigny-des-Prés, c’est la tour centrale qui marque la différence principale par rapport à la forme conique des coupoles arméniennes. C’est une tour à base carrée coiffée d’une toiture pyramidale à charpente qui contraste avec les formes cylindriques ou octogonales du prototype arménien. Cependant, la forme octogonale se retrouve dans plusieurs exemples romans du Puy-de-Dôme comme à Notre-Dame d’Orcival, Notre-Dame-du-Port, Saint-Nectaire, Saint-Saturnin et Saint-Austremoine.

Bien que les architectures arménienne et romane se soient développées simultanément entre le VIe et le XIe siècle, la première semble devancer le style accompli de la seconde, d’un à deux siècles. Vahanavank, ou le couvent du prince Vahan, remonte au Xe siècle, alors que les monuments romans d’Occident qui lui ressemblent se concentrent plutôt autour du XIe. Certains témoins de cette architecture arménienne remonteraient même au VIe siècle tels que la basilique d’Ererouk près de Ani.

Malgré les importantes différences constatées par les historiens de l’art, ces derniers s’accordent sur la vraisemblance d’influences ponctuelles sur l’architecture romane. L’Arménie, premier Royaume chrétien de l’histoire, a développé une personnalité unique en matière de spiritualité, d’art, de musique et de littérature. Elle avait exporté l’esprit de son architecture sacrée vers les quatre coins de l’Europe bien avant avoir érigé les églises de sa diaspora sur les cinq continents.

Église de Vahanavank (Arménie).

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