Traité ? Accord ? Convention ? Protocole ? Le terme "Transaction" serait le mieux indiqué pour qualifier les pourparlers indirects entre le Liban et Israël, sur le tracé des frontières maritimes, menés par l’intermédiaire des États Unis d’Amérique dans le rôle du courtier (broker). L’accord conclu serait dépourvu de tout fondement technique et juridique. Négligeant le droit international, il constitue un nouveau modèle inédit des relations interétatiques. Il s’inscrit plus dans l’esprit des rencontres du Forum Économique Mondial de Davos dont le président-fondateur Klaus Schwalb et le directeur Thierry Malleret ont publié en 2020 un livre-événement sur le monde post-Covid_19 à l’horizon 2030 : The Great Reset (La grande réinitialisation).

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A-t-on grugé le peuple libanais par la comedia dell’arte du tracé des frontières maritimes? A-t-on fait jouer au Liban le rôle du dindon de la farce, dans un ballet diplomatique ô combien mercantile? On a quasi ignoré le droit international en optant pour une formule inédite de pourparlers qui s’inscrivent plus dans l’esprit du Forum de Davos où se donnent rendez-vous les décideurs, étatiques, politiques, financiers et socio-humanitaires du monde. Le Forum de Davos n’a aucun statut en droit international ; c’est une organisation privée de type ONG dénuée de toute représentativité démocratique. Et pourtant, Davos est un haut-lieu où il faut être vu afin de pouvoir établir des contacts entre les décideurs de la planète. À la limite, ce serait une sorte de foire d’échanges.
De même, les négociations indirectes sur les frontières maritimes libano-israéliennes se sont déroulées selon un modèle inhabituel jusqu’à présent. Le Président de la république libanaise a pris sur lui de diriger les négociations conformément à l’article 52 de la Constitution. On se demande pourquoi il n’a pas été tenu compte de certains paramètres techniques et juridiques.
Ainsi, le 4 mars 2021, l’armée libanaise, après études techniques poussées, informe le gouvernement du bon droit du Liban à négocier sur base de la ligne 29 et non de la ligne 23 sur laquelle s’appuyait le décret 2011/6433 et qui, selon les spécialistes, manque d’une base technico-juridique solide.
Le 12 avril 2021, le gouvernement libanais formule et signe le décret 2021/6344 amendant les réclamations du Liban. Le décret n’a pas encore été signé par le chef de l’État. Une lettre fut cependant adressée au secrétaire général de l’ONU par la délégation du Liban, avertissant que la zone entre les lignes 23 et 29 fait l’objet d’un litige, sans plus. L’opinion publique libanaise connaît aujourd’hui tous les détails de ce dossier qu’il serait superflu d’énumérer.

Commentant ces faits, Marc Ayoub, expert-consultant de l’Institut Issam Fares (Université Américaine de Beyrouth) déclare le 6 juin 2022 : "Ce dossier n’est plus technique mais politique. On a écarté le négociateur principal, à savoir l’armée libanaise. La lettre adressée par le Liban en faveur de la ligne 29 est peut-être une surenchère dans le cadre des négociations en cours. Elle pourrait implicitement signifier que le Liban serait disposé à un troc entre Cana et Karish" (al Bina’a 06/06/2022). Le 11 octobre courant l’annonce de l’accord, dont on ne sait pas grand-chose, intervenu entre le Liban et Israël est venue confirmer les appréhensions de M. Ayoub.
L’événement est inédit. Le Liban ne s’en sort pas grandi, loin de là. La polémique va s’amplifier et fera date dans l’histoire de ce malheureux pays, maudit par ses propres traditions claniques et confessionnelles. La ligne 29 est identifiée comme la plus favorable au Liban depuis 2011 par l’office hydrographique britannique UKHO. "Le Liban est un grand bazar" clame Laury Haytayan, Secrétaire générale du parti Taqaddom. Le Professeur Issam Khalifé crie au scandale vu que la ligne 23 viole plusieurs points du droit international puisqu’elle commence en pleine mer et non à la dernière borne frontalière terrestre. Les experts consultés s’accordent à dire que c’est la ligne 29 qui est la plus solide, techniquement et juridiquement, car elle est en totale conformité avec la Convention internationale du droit de la mer. Tel n’est pas l’avis des politiciens libanais, non-experts en droit maritime, qui s’époumonent cependant à crier victoire d’avoir défendu la ligne 23 et le champ potentiel de Cana en renonçant à la ligne 29 et en abandonnant aux israéliens le champ de Karish prêt à être commercialement exploité.
Trahison? Forfaiture? Incompétence? Négligence criminelle? Que peut-on attendre d’autre du couple milice-mafia qui a fait main basse sur le Liban et toutes ses richesses ? Bien sûr, le Président Biden est très satisfait du Liban. Comment ne le serait-il pas alors qu’une guerre mondiale se profile à l’horizon. Le Président Macron également ; son peuple risque de grelotter de froid au milieu des coupures du courant électrique. Ont-ils forcé la main aux autorités libanaises? Avec qui ont-ils négocié? Le Liban ou l’Iran? Dans cette transaction, le Hezbollah engrange les fruits politiques pour le compte de l’Iran grâce au masque "chrétien" que lui procure l’accord de Mar Mikhaïl de 2006. On voit mal comment il pourrait lâcher un tel morceau aujourd’hui. Il annonce qu’il souhaite un "président consensuel", c’est-à-dire un président complaisant et servile. Qui est son cheval chrétien-maronite favori ?
Il n’y a pas de quoi pavoiser. Il est probable que la situation générale interne du pays connaîtra un répit certain. Israël est aujourd’hui un partenaire commercial dans notre zone économique maritime. Le Liban n’a plus d’ennemi à sa frontière méridionale. Sa grande sœur, la Syrie de Bachar el Assad, l’entoure amoureusement de partout ailleurs. On imagine difficilement le gentil Liban, si généreux avec son ex-ennemi sioniste, venir brandir le droit international pour négocier avec la Syrie-sœur ses frontières maritimes septentrionales. Les deux pays-frères trouveront un arrangement à l’amiable, satisfaisant l’appétit vorace du régime de Damas. Le courtier de prédilection est tout indiqué : les Mollahs de Téhéran si ce régime ne tombe pas sous les coups de butoir de sa propre jeunesse.
Oui, on aura un peu plus d’électricité et quelques autres avantages du confort quotidien. Les dépôts bancaires ? On les reverra probablement dans l’autre monde. Que nul ne songe à pouvoir profiter du pactole pétrolier. Regardez les peuples du Nigeria et du Venezuela, pays qui regorgent de ressources pétrolières. Leurs peuples crèvent de misère. On peut donc oublier l’explosion sur le port, l’enquête judiciaire, la faillite du secteur bancaire etc. La mafia du pouvoir vient de remporter une partie de poker qui lui assure sa propre survie au paradis des entités confessionnelles confédérées.
Le modèle transactionnel de cette délimitation des frontières maritimes, place sur le même plan des États souverains et des organisations du crime organisé international. Le monde ne bronche pas au nom du réalisme cynique de ce qui n’est plus de la politique mais une vulgaire péripétie d’un marchandage. Est-ce là un mode de réinitialisation du monde de demain ?
Elle est tombée bien bas Beyrouth, la Ville-Mère, la Ville nourricière des lois, la gardienne des Constitutions impériales où, jadis, le Code Justinien fut colligé. Voici que la gardienne et protectrice du Droit accepte de se renier elle-même au nom de la volonté de puissance de certains et de leur insatiable voracité.