Humanité: disposition à la compréhension, à la compassion envers ses semblables, qui porte à aider ceux qui en ont besoin.
Courage: fermeté, force de caractère qui permet d’affronter le danger, la souffrance, les revers, les circonstances difficiles.
Intégrité: vertu morale qui témoigne d’une rigoureuse honnêteté. État de ce qui est complet et entier.
Panache: éclat, brio, fière allure.

Voici ce qui manque cruellement aujourd’hui aux “personnalités publiques” de ce pays.

Oserais-je aller jusqu’à dire que depuis son départ forcé et tragique, il y a maintenant seize longues et douloureuses années, le paysage politique libanais souffre d’un manque dramatique d’humanité, de courage, d’intégrité et de panache ? Quand-même pas ! Mais je m’aventurerais à affirmer que si l’une ou l’autre de ces qualités se trouve être l’apanage de quelques-uns des “derniers des Mohicans” qui se battent encore dans cette nuit noire qui s’est abattue sur le  pays du Cèdre, il lui manquera toujours l’une ou l’autre.

Gebran Tuéni, lui, pouvait se targuer de posséder les quatre à la fois. Gebran, “le serviteur public”, le journaliste, le père, le patron, l’ami, le patriote. Surtout le patriote. Pas celui de pacotille qui tend le bras instinctivement comme les fachos dès les premières notes de l’hymne national, mais ce patriote vrai, rare, fougueux, empreint de sagesse, de discernement et surtout d’intégrité.

Être patriote au Liban implique nécessairement avoir du courage. D’abord pour ne pas se laisser intimider par les menaces à peine voilées des forces de l’ombre, mais aussi choisir de ne pas se soumettre, de les affronter et de leur tenir tête, à n’importe quel prix. Et le courage, Gebran en avait, pour dix, pour cent, pour mille…

L’on arguera qu’il est habituellement de mise d’attribuer des qualités à un défunt, la mort étant la garante de toutes les sublimations. Mais non, Gebran ÉTAIT humain, courageux et intègre, et il avait du panache. Du panache, jusque dans sa manière de tremper la ka’aké a’assrouniyé dans un bol d’huile d’olive pour calmer une fringale. Son repas préféré. Une bonne huile d’olive gorgée du soleil de nos bonnes terres du Nord au Sud, une bonne huile toujours accompagnée de thym ou d’olives de ces mêmes terres si généreuses. (Pour la petite histoire, sa dernière flamme en 2005 était pour l’huile de Hasbaya qu’il venait de découvrir).

Humanité, courage, intégrité et panache avec ses familles, la grande, celle du Nahar et de la presse libanaise et internationale, et la petite, celle de la consanguinité et de l’amitié. Toujours à l’écoute, sincèrement empathique, de ses proches et de ses collaborateurs, Gebran se positionnait naturellement en ami, et il agissait en tant que tel.

Au journal, le directeur des ressources humaines avait beau se démener pour contenter son monde, personne ne s’estimait satisfait s’il n’avait pas bénéficié de ces cinq minutes cathartiques dans le bureau du patron, certain que l’oreille tendue était généreuse et sincère, toujours compatissante.

Tout journaliste, étudiant, apprenti ou professionnel était son ami, son complice. Fier et infatigable défenseur de la liberté de la presse, il a sillonné le monde en compagnie de collègues membres de l’Association Mondiale des Journaux, pour confronter et plaider auprès de dictateurs et autres “tyrans” la cause de journalistes injustement incarcérés dans les geôles de leurs pays. De l’Algérie à la Chine en passant par la Turquie.

L’estime de la communauté internationale du journalisme et de la communication lui avait même valu, en 2001-2002, de faire partie du prestigieux comité initié par Kōichirō Matsuura, directeur général de l’Unesco entre 1999 et 2009, pour redorer l’image de cette organisation prestigieuse.

Quant à ses amis, Gebran en avait de tous les âges, toutes les appartenances, religieuses et politiques, de toutes les régions du Liban, de toutes les nationalités. Son charme opérait toujours dès les premières secondes d’une nouvelle rencontre et le panache faisait le reste. Ce panache empreint cependant de timidité, voire d’humilité.

Pour Gebran, ses collaborateurs étaient ses amis, il leur vouait une affection fraternelle clairement exprimée, il s’inquiétait de leur bien-être, de celui de leurs familles. Toujours le mot gentil et juste pour encourager, féliciter, pousser en avant. Il voulait que tous autour de lui sachent profiter de la vie et l’aimer comme lui le faisait. Pour sa part, il mettait toujours les bouchées doubles, sa journée de 24h aurait été vécue en 48 par d’autres. Pressé, fougueux, touche-à-tout, talentueux, charismatique, mais encore et surtout, courageux et intègre.

Beaucoup d’encre a coulé sur Gebran depuis que le sang de Gebran a coulé pour le Liban, ce maudit 12 décembre 2005. Moi, je n’ai jamais vraiment osé. Comment raconter ce lien, cette présence, cette énergie, cet esprit alors que les mots juste pour le faire n’ont jamais été inventés ?

Si je m’y aventure un peu à présent, ce n’est pas pour pousser les cris et les lamentations qui rendent plus doux l’affadissement du souvenir, oh que non. J’écris pour rappeler au monde entier ce que les assassins nous ont impunément arraché, cette rage de vivre et d’entreprendre, et pour rappeler à chacun ses responsabilités dans l’entretien de cet héritage d’humanité, de courage, d’intégrité et de panache.

Que dis-je héritage ? Gebran ? Une vocation.