L’œuf, la poule, ou aucun des deux? Le flou entourant les échéances politiques libanaises, pourtant d’une importance cruciale, pourrait se résumer à cette question: lequel des deux événements précèdera-t-il l’autre? La formation d’un gouvernement ou l’élection présidentielle? Ou, comme le craignent de nombreux observateurs, aucun des deux n’aura lieu dans l’immédiat?

Alors que certaines sources, proches notamment du Courant patriotique libre, laissent entendre qu’un gouvernement pourrait être formé dans les prochaines 24 heures, d’autres excluent un tel développement. Dans tous les cas, des efforts continuent d’être déployés pour tenter d’arriver à une entente sur une formule gouvernementale approuvée par les parties concernées, à savoir le Premier ministre sortant Najib Mikati, et le chef du CPL Gebran Bassil. Dans ce cadre, le Hezbollah continue de jouer le rôle de médiateur entre les deux hommes, cherchant à réduire les divergences de vue entre eux. C’est dans ce contexte que s’inscrit la réunion qui s’est tenue mercredi au siège du groupe parlementaire aouniste entre Gebran Bassil, le directeur de la Sûreté générale Abbas Ibrahim, et le responsable de liaison et de coordination au sein du Hezbollah, Wafic Safa.

Nouvelles exigences

Selon des sources proches du dossier, ce qui bloque la formation d’un gouvernement, ce sont toujours les exigences du chef du CPL. Alors que le mandat du président Aoun arrive à son terme le 31 octobre, Gebran Bassil se comporte comme si son beau-père venait d’être élu et qu’il entrait en force dans le jeu politique.

La dernière condition en date posée par chef du parti orange, soulignent ces sources, est pour le moins étonnante. Il voudrait que le Premier ministre se rende au palais de Baabda sans avoir approuvé, ou même avoir pris connaissance de l’identité, d’une grande partie des ministres, notamment chrétiens, qui auraient été choisis par Gebran Bassil. M. Mikati apprendrait donc sur place qui sont les ministres qui devront faire partie de l’équipe qu’il est supposée former, juste avant la publication du décret de formation du gouvernement!

Si ces sources relèvent qu’une telle démarche neutraliserait totalement les prérogatives de la présidence du Conseil, certains observateurs estiment que le président Aoun et son entourage ont souvent eu recours à des méthodes qui ne respectaient ni la personne ni la fonction de président du Conseil, notamment avec l’ancien Premier ministre Saad Hariri. Le chef du Courant du Futur doit probablement se souvenir avec amertume de ses innombrables visites à Baabda lorsqu’il tentait de former un gouvernement.

D’autres sources estiment que M. Bassil veut absolument atteindre deux objectifs avant que le mandat de Michel Aoun se termine : la formation d’un nouveau gouvernement et la délimitation des frontières avec Israël. Il a eu le deuxième, mais pas le premier. Les deux lui auraient permis de sortir renforcé de Baabda, en ayant redoré l’image de son parti, présenté comme étant celui qui aurait réussi la délimitation, et en ayant installé une équipe ministérielle à travers laquelle il maintiendrait un contrôle politique.

Il voudrait s’appuyer sur ces deux acquis, si tant est que les deux sont concrétisés comme il le souhaite, pour renforcer ses chances à la présidentielle. Quant au Hezbollah, selon ces mêmes sources, il essaie de pousser à la formation d’un cabinet pour éviter un problème plus grave que pourrait provoquer le CPL. Il tente quand même de réduire les exigences de Gebran Bassil, et de lui accorder moins que ce qu’il demande.

La présidentielle

Qu’en est-il de la présidentielle? Les principaux blocs seront en principe présents jeudi au Parlement, où doit se tenir la troisième séance consacrée à l’élection d’un président de la République. Mais il est impossible de confirmer à l’avance que tous ces députés entreront dans l’hémicycle et assureront le quorum des deux-tiers (86 députés sur 128) requis pour le déroulement du scrutin.

Lors de la seconde séance électorale, le 13 octobre, au moins 86 députés étaient présents place de l’Étoile, mais certains d’entre eux sont restés dans leurs bureaux ou dans les salons, et la séance avait été levée faute de quorum.

Si celui-ci est assuré, ce qui est possible, il y a peu de chances qu’un président soit élu. Si chaque groupe campe sur ses positions, aucun ne pourra rassembler les 86 voix nécessaires pour une élection dès le premier tour, ou même les 65 requises au second tour.

On s’attend donc à ce que les blocs souverainistes votent de nouveau pour leur candidat, le député Michel Moawad. C’est ce qu’ont précisé des sources proches du Rassemblement démocratique (Parti socialiste progressiste), du parti Kataëb et du bloc de la République forte (Forces libanaises) à Ici Beyrouth.

Du côté du 8 Mars, les députés du CPL, du mouvement Amal et du Hezbollah, glisseront de nouveau en principe des bulletins blancs dans l’urne.

Dans ce contexte, le député Marwan Hamadé a estimé mercredi que la séance de jeudi " sera une copie conforme de la première séance ". Le 29 septembre dernier, le premier tour s’était achevé sans élection, faute de votes suffisants en faveur d’un candidat. Le retrait de certains députés avait ensuite provoqué un défaut de quorum qui avait empêché la tenue d’un second tour.

La seule différence avec la première séance sera donc au niveau des " équilibres qui se dévoileront mais sans être définitifs ", a ajouté M. Hamadé dans une interview radio, précisant s’attendre à un plus grand nombre de votes en faveur de Michel Moawad.

Sur les 122 députés présents le 29 septembre, 36 avaient voté pour le député de Zghorta et 63 députés (relevant du 8 Mars) avaient opté pour le vote blanc.

Séances consécutives?

Si aucun candidat n’est élu jeudi, le président Nabih Berry pourrait convoquer les députés à plusieurs séances électorales successives la semaine prochaine, selon des sources bien informées. Car dès le lendemain de la séance, à partir du 21 octobre, soit dix jours avant la fin du mandat du président Aoun, les députés peuvent se réunir " de plein droit ", sans convocation du chef du Législatif.

En effet, l’article 73 de la Constitution stipule ce qui suit: " Un mois au moins et deux mois au plus avant l’expiration des pouvoirs du président de la République, la Chambre se réunit sur convocation de son président pour l’élection du nouveau chef de l’État. À défaut de convocation, cette réunion aura lieu de plein droit le dixième jour avant le terme de la magistrature présidentielle ".

Et si un gouvernement devait être formé avant la présidentielle, la Chambre pourrait-elle lui accorder sa confiance alors que sa principale mission est d’élire un président? Comme pour toutes les questions constitutionnelles au Liban, il y a toujours plus d’une réponse. Certains observateurs estiment que la Chambre ne peut pas le faire, alors que d’autres proches de Aïn el-Tiné font valoir que du moment que le président du Parlement a déjà convoqué les députés à des séances visant à élire un président, le délai des dix jours perd cette spécificité, et l’octroi de la confiance devient possible…

Une question demeure, cependant: assistera-t-on d’abord à la formation d’un gouvernement ou à l’élection d’un président? Plusieurs observateurs soulignent qu’il est plus logique qu’un président soit d’abord élu, avant la fin du mandat Aoun.

D’abord, pour le respect des délais constitutionnels. Ensuite, parce que le mandat de tout nouveau gouvernement sera de courte durée, puisque sa mission se terminera dès qu’un nouveau chef de l’État aura été élu. Et surtout, parce que "la formation d’un gouvernement installera de nombreuses parties dans une zone de confort et enverra l’élection présidentielle aux calendes grecques", comme le souligne à Ici Beyrouth un autre membre du bloc du CPL, le député Alain Aoun.