Si le candidat de l’opposition, Michel Moawad, a amélioré son score jeudi, lors de la troisième séance parlementaire consacrée à l’élection d’un chef de l’État, les chances de débloquer la présidentielle n’ont, elles, pas augmenté.

Les parlementaires qui ont voulu provoquer le défaut de quorum, et ceux qui ont fait mine de le constater avant de l’annoncer, n’ont pas vraiment respecté l’intelligence des Libanais qui suivaient cette séance, diffusée en direct. Il était en effet clair à l’issue du premier tour que le quorum était toujours assuré. Le président du Parlement Nabih Berry a quand même levé la séance, et convoqué les députés à une autre, lundi 24 octobre à 11h.

La répartition des votes

Le dépouillement des bulletins a montré que M. Moawad a obtenu 42 voix, soit six de plus que lors de la première séance, le 29 septembre dernier. Sachant que le député de Zghorta considère qu’il a l’appui de 44 députés, puisque Chaouki Daccache et Ihab Matar étaient absents jeudi.

Mis à part les membres des blocs de la République forte (Forces libanaises), du Rassemblement démocratique (Parti socialiste progressiste), des Kataëb et du Renouveau, d’autres députés ont voté pour M. Moawad. Tel est le cas par exemple de Bilal Hchaïmi, député de Zahlé, qui avait exprimé le même vote lors de la première séance. Les autres voix proviendraient notamment de certains députés du bloc de la Modération nationale (Akkar). Certaines sources estiment que des députés du Changement ont également voté pour M. Moawad, mais ces derniers le démentent.

En revanche, les bulletins blancs, pour lesquels ont opté encore une fois les groupes du 8 Mars, ont enregistré une baisse, passant de 63 à 55.

Quant aux bulletins portant l’inscription "Liban nouveau", et qui étaient au nombre de 17, ils ont été déposés par les dix députés du bloc du Changement et des élus indépendants, notamment Abdel-Rahman Bizri, ainsi que certains députés de la Modération nationale.

Il convient de noter que deux des membres du bloc du Changement, Cynthia Zarazir et Élias Jradi, étaient absents. Après le retrait mardi de Michel Doueihy du groupe, celui-ci compte 12 députés, sachant que Waddah Sadek n’avait pas assisté mercredi à la réunion qui s’était tenue au domicile de Paula Yacoubian. Le député de Beyrouth ne prend d’ailleurs plus part aux réunions du bloc depuis trois semaines, tout en continuant à coordonner avec les autres membres.

Quatre bulletins ont été annulés. Ils portaient diverses inscriptions, telles "Li Loubnan (pour le Liban)", déposé par Abdelkarim Kabbara, "Souverain, sauveur et réformateur" (déposé par Michel Doueihy), "Personne" (déposé par Oussama Saad) et "dictateur juste". Le dernier bulletin déposé par l’un des 119 parlementaires qui ont assisté à la séance était en faveur du candidat Milad Abou Malhab, absent jeudi. Ce dernier avait assisté aux deux premières séances revêtant une sorte drapeau libanais.

Défaut de quorum

Pour en revenir au déroulement de la séance, il est clair que le Parlement aurait facilement pu passer à un second tour de vote, après l’annonce des résultats du premier tour.

Le président Berry a demandé de vérifier le quorum, et c’est alors que certains députés ont commencé à se diriger vers les deux portes de sortie. Alain Aoun (CPL), fraîchement réélu au poste de secrétaire de la Chambre, a entrepris de "compter" du bout des doigts les parlementaires toujours installés à leurs places.

Pendant ce temps, des députés du Hezbollah, du Courant patriotique libre, et de blocs alliés s’éclipsaient, au vu et au su de tous, sans que personne ne leur demande de rester dans l’hémicycle.

Leur collègue de la République forte (Forces libanaises) Antoine Habchi, a réagi en appelant à haute voix par leurs prénoms quelques-uns des députés qui tentaient de filer à l’anglaise. C’est ainsi qu’il a invité "Farid" (el-Khazen) et "William" (Melhem Tok), tous les deux du bloc Marada à ne pas sortir. "Nada, khalliké!" (reste), a-t-il également lancé à Nada Boustani (CPL), attirant tous les regards sur elle alors qu’elle tentait de se retirer discrètement.

À sa sortie, M. Habchi a relevé dans une interview-express avec Ici Beyrouth que ces députés sortaient "la tête basse", soulignant que "le boycottage est la stratégie de ceux qui veulent détruire le Liban".

Unifier l’opposition

Après la séance, les blocs souverainistes ont dénoncé le défaut de quorum et appelé à une unification de l’opposition pour éviter un vide présidentiel.

Le député Georges Adwan (FL) a rappelé qu’aucun "dialogue ne peut déboucher lorsqu’il est engagé avec des forces qui se placent au-dessus de la Constitution et des lois".

Il a en outre estimé que les 55 députés qui ont déposé des bulletins blancs ont prouvé qu’ils ne peuvent pas s’entendre sur un candidat, et qu’ils n’ont pas le "courage de passer au deuxième tour des élections".

M. Adwan a appelé les députés du changement à "trancher, car la multitude de réunions et de nouveaux noms de candidats ne mènera nulle part".

Pour sa part, le député Hadi Aboulhosn (PSP) a indirectement critiqué les députés issus de la contestation " qui empêchent l’opposition de hisser un candidat à la tête de l’État ".

Il a par ailleurs rejeté les propos de Hassan Fadlallah au sujet de pressions étrangères exercées pour imposer un candidat, accusant le Hezbollah d’avoir un "candidat caché qu’il veut lui-même imposer".

Quant à Georges Okaïs (FL), il a déclaré à Ici Beyrouth que cette séance "est un moment triste pour la démocratie libanaise".

L’importance du score de Moawad

Le député Marwan Hamadé a estimé que les voix obtenues par Michel Moawad, si elles ne permettent pas son élection, empêchent toutefois l’élection d’un candidat non-souverainiste.

Il a déclaré à Ici Beyrouth que l’alliance CPL-Hezbollah est ouvertement décidée à empêcher l’élection d’un président.

Quant à Michel Moawad, il nous a affirmé que les résultats du vote démontrent non seulement qu’il a amélioré son score, mais qu’un début de changement de positions se dessine au niveau de certains députés de l’opposition qui ne l’avaient pas soutenu auparavant.

"Libaniser la présidentielle commande une candidature claire et honnête", a-t-il ajouté. "Changeons ensemble le rapport des forces au lieu de nous y soumettre", a lancé Michel Moawad aux autres composantes de l’opposition qui n’ont pas défini leur position.

Avant la séance

Avant l’ouverture de la séance, les différents groupes parlementaires avaient montré qu’ils campaient toujours sur leurs positions.

Les blocs souverainistes ont ainsi réitéré leur attachement à la candidature de M. Moawad.

C’est ce qu’a notamment indiqué le député Élias Hankache (Kataëb) à Ici Beyrouth. Il a souligné que la priorité est d’élire un président, et non de former un gouvernement.

Pour sa part, le député Ghayath Yazbek (FL) a confirmé s’attendre à un défaut de quorum, provoqué par le Hezbollah et le CPL.

Le député Camille Chamoun (indépendant) a mis l’accent sur l’importance d’éviter une vacance présidentielle.

Du côté du 8 Mars, les blocs ont confirmé qu’ils comptaient voter blanc de nouveau, comme ils l’avaient fait le 29 septembre.

Le député Hassan Fadlallah (Hezbollah) a ainsi appelé au réalisme, soulignant qu’aucune partie au Parlement ne détient la majorité pour élire un président, "ce qui commande une entente autour d’un candidat".

"Sinon, c’est le même scénario qui va se répéter, d’autant que le défaut de quorum et le vote blanc font partie du jeu démocratique", a-t-il ajouté. Il a en outre estimé que des pressions sont exercées par des ambassades sur certains députés pour qu’ils votent en faveur de candidats précis, en allusion à M. Moawad.

Pour sa part, le député Alain Aoun (CPL) s’est montré plus nuancé, estimant que "le vote blanc est un message indiquant que nous sommes prêts à négocier avec les autres". Il a également souligné que le CPL est ouvert à la candidature de personnes qui n’appartiennent pas au groupe.

Lundi prochain, la séance électorale constituera-t-elle une répétition des séances I et III (pas d’élection et un défaut de quorum après le premier tour), ou une réédition du scénario II (même pas de quorum au premier tour) ? Il est difficile de répondre à cette question. En tous cas, Nabih Berry s’efforcera de convoquer les députés à d’autres séances avant la fin du mandat Aoun le 31 octobre.

Il leur a bien lancé jeudi, en début de séance : "Il vaut mieux que vous élisiez un président aujourd’hui, sinon je vais continuer à vous ramener au Parlement".