Une conférence d’opposants à la politique de normalisation menée par Manama à l’égard d’Israël organisée sous l’égide du Hezbollah a suscité l’ire du Royaume, le Premier ministre Nagib Mikati s’emploie à juguler l’incendie.

En dépit des tentatives menées par la France et le Premier ministre libanais Nagib Mikati durant la semaine écoulée pour tenter de colmater dans la mesure du possible les brèches dans les relations entre Beyrouth et les pays du Golfe, le Liban ressemble de plus en plus au tonneau des Danaïdes. Si bien qu’à chaque fissure réparée, le mur se lézarde de nouveau de plus belle.
Une semaine à peine après la démarche du président français Emmanuel Macron auprès du prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane pour provoquer un dégel dans les relations entre le Liban et le pays du Golfe, et au lendemain des efforts mis en évidence par le ministre de l’Intérieur libanais pour montrer la volonté de Beyrouth de lutter contre la contrebande de stupéfiants en direction de l’Arabie saoudite, l’édifice en voie de rabibochage s’est de nouveau craquelé.

C’est cette fois Bahreïn qui a lâché ses foudres en direction de Beyrouth, à la suite d’une conférence de presse organisée il y a quelques jours dans un hôtel de la banlieue sud de la capitale en présence d’opposants bahreïnis à la politique de normalisation avec Israël suivie par Manama, sous le parrainage du Hezbollah.

Il convient par ailleurs de noter que la banlieue sud abrite une chaîne de télévision sans permis qui diffuse de la propagande contre le pouvoir bahreïni, sous l’égide du parti chiite.

Bahreïn proteste

Dans un communiqué, le ministère bahreïni des Affaires étrangères a condamné l’accueil par Beyrouth d’une conférence de presse organisée par " des éléments hostiles et qui soutiennent et parrainent le terrorisme, dans le but de diffuser des assertions qui portent atteinte au Royaume de Bahreïn ".
Le ministère a indiqué avoir exprimé " son vif mécontentement " au gouvernement libanais face à l’accueil " absolument inacceptable " de cette conférence, qui " constitue une violation flagrante du principe de respect de la souveraineté des Etats et de non-ingérence dans leurs affaires intérieures, en violation des pactes internationaux et du pacte de la Ligue arabe ".
" Une plainte officielle a été adressée au secrétariat général de la Ligue arabe à ce sujet, qui comporte une condamnation par Bahreïn de cette démarche inamicale de la part du Liban ", note le communiqué, appelant le gouvernement libanais à " empêcher ce genre de pratiques qui portent atteinte à Bahreïn et contreviennent aux usages diplomatiques et ne vont pas de pair avec la nature fraternelle des relations entre les deux peuples ".

Le Liban officiel ordonne une enquête

Réagissant à la plainte bahreïnie, le bureau du Premier ministre libanais Nagib Mikati a fait paraître un communiqué en soirée, dans lequel il indique que le ministre des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, avait informé le chef du gouvernement du contenu de la note de protestation adressée par le ministère des Affaires étrangères bahreïni contre la tenue de la conférence de presse en question à Beyrouth.

" Le Premier ministre a transmis d’urgence la lettre aux autorités compétentes, demandant une enquête immédiate sur cette affaire ", a noté le bureau de M. Mikati, précisant que " le Premier ministre a fermement condamné cette agression contre le Royaume de Bahreïn, ses dirigeants et son peuple, et a réaffirmé son " refus de toute ingérence dans ses affaires intérieures et de toute atteinte à son encontre de quelque manière que ce soit ".

Le Premier ministre a également affirmé " son refus que le Liban soit utilisé comme base pour offenser et insulter le Royaume de Bahreïn, ainsi que les pays arabes frères, notamment les pays du Conseil de coopération du Golfe ", ajoute le communiqué, qui conclut en exprimant l’attachement du président du Conseil " aux relations étroites entre qui unissent le Liban et Bahreïn ", soulignant que " les liens entre les deux pays sont plus profonds que d’être affectés par un comportement inopportun qui n’exprime pas l’opinion de la fraction la plus large du peuple libanais ".

Le ministère libanais des Affaires étrangères a indiqué de son côté qu’il suivait de près et avec " beaucoup d’intérêt " l’enquête expresse initiée par les autorités libanaises afin de prendre les mesures opportunes vis-à-vis des participants à cette conférence de presse.

" Nous sommes particulièrement soucieux que le Liban ne soit pas la base d’une atteinte contre le Royaume frère de Bahreïn ou n’importe quel autre pays arabe, et sommes totalement attachés au respect du pacte de la Ligue arabe en ce qui concerne la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays arabes ", souligne le Palais Bustros. " Nous souhaitons toujours, dans un esprit positif et d’ouverture, le maintien du dialogue direct et de la coopération entre nous pour empêcher qu’un acte similaire ne se produise et régler toute question qui pourrait porter atteinte ou crisper les relations fraternelles entre nous ", ajoute le ministère.

A son tour, le ministère de l’Intérieur a réagi, indiquant, dans un communiqué, qu’une enquête avait été ouverte et que le ministre Bassam Maoulawi attendait de recueillir toutes les informations sur les participants à la conférence avant de prendre les mesures nécessaires. Le ministère a lui aussi souligné sa volonté de faire échec à toute tentative de porter atteinte, à partir du Liban, à Bahreïn ou à l’un des pays du Conseil de coopération du Golfe.

Schizophrénie

Mutisme principal cependant du principal intéressé, le Hezbollah. Pourtant, toute la crise avec le Golfe n’aurait pas eu lieu si le Liban ne se trouvait pas dans un état latent de schizophrénie entre une réalité qui aspire à fonctionner normalement et une autre qui est sur le pied de guerre avec le monde entier – ce que le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt résumait autrefois par la formule, " le Liban doit choisir entre Hanoï ou Hong-Kong ", et l’ancien député Samir Frangié par " la culture du lien " versus celle " de l’exclusion ".

Le secrétaire général adjoint du Hezbollah, le cheikh Naïm Kassem, a lui-même reconnu cette dualité samedi en affirmant que " le débat sur la résistance ne pouvait plus être similaire à n’importe quel autre débat ". " Ce débat porte désormais sur quel Liban nous voulons. Voulons-nous un Liban fort ou faible ? Satellite ou indépendant ? Le Liban qui se soumet aux ordres ou celui qui façonne son propre avenir et celui de ses fils ? " s’est-il interrogé.

Et le responsable hezbollahi de répondre lui-même à sa propre question : " Nous voulons le Liban à même d’assurer un avenir à ses fils, un Liban souverain, libre, indépendant et fort, ce Liban qui a désormais une réputation dans le monde grâce à la résistance et ses victoires. Voilà le Liban que nous voulons. Ceux qui le souhaitent peuvent y adhérer ; quant aux autres, qu’ils recherchent une autre solution ". " Vous ne ressemblez pas au Liban, c’est nous qui lui ressemblons ", a-t-il ajouté à l’adresse de ces " autres ".

La fracture entre deux mondes antithétiques n’aura jamais été aussi profonde sur le territoire libanais, au point de menacer désormais autant l’existence du Liban que celle de l’ensemble des pays de la région.

Pour un ancien responsable, la solution serait dans la mise en application de la feuille de route franco-saoudienne adoptée le samedi 4 décembre à Jeddah, en Arabie saoudite, puis reprise par l’ensemble des pays du Golfe visités par MBS la semaine dernière, et dans l’adoption du principe de neutralité positive pour sanctuariser le Liban vis-à-vis de la politique des axes, conformément à l’initiative du patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, lancée à Bkerké en février 2021 et la déclaration de Baabda élaborée par l’ancien président de la République Michel Sleiman en juin 2012.

" Seul ce binôme souveraineté-neutralité est à même de sauver le Liban et d’ouvrir la voie aux réformes ", souligne cet ancien responsable.

Ici Beyrouth