Il semble que l’échauffourée survenue jeudi soir dans et autour des studios de la chaîne télévisée MTV ait été préméditée. Lors de l’émission Sar el-Waet diffusée en direct sur la chaîne et sous le regard des téléspectateurs, une bagarre a en effet éclaté entre des partisans aounistes et une partie de l’assistance présente dans le studio.

C’est au moment précis où les députés Waddah Sadek (Changement) et Charbel Maroun (CPL) débattaient de la crise politique au Liban que des membres du public se sont affrontés, malgré les appels incessants de l’animateur vedette Marcel Ghanem, à mettre fin à ces accrochages. Malgré cette montée de tension entre les partisans du Courant patriotique libre et d’autres invités, M. Ghanem n’a pas arrêté l’émission. " L’affrontement s’est déplacé de l’intérieur du studio vers la cour extérieure et l’entrée de la MTV, où des tirs se sont produits ", a précisé la MTV.

Dans un communiqué, la chaîne libanaise accuse des membres de la " Vieille garde " aouniste d’avoir été à l’origine de ces échauffourées, ce qui est clairement mis en évidence par le tweet publié par Roy Haddad, partisan du CPL, qui menace explicitement le présentateur : " Marcel Ghanem, nous t’avons dans le collimateur ". D’ailleurs, dans les vidéos qui circulent depuis jeudi soir sur les réseaux sociaux, celle d’une femme qui incite les partisans aounistes à entrer au studio a permis de confirmer qu’il s’agit bel et bien d’un acte organisé. Une source interrogée par Ici Beyrouth confirme cette thèse en déclarant que " lorsque le député Maroun est arrivé au studio, il était accompagné de certaines personnes dont les noms ne figuraient pas sur la liste des participants".  Leur entrée ayant été refusée, ils ont dû rester à l’extérieur du bâtiment.

Au moment de l’accrochage, les agents de sécurité de la MTV sont intervenus pour rétablir le calme avant d’expulser les partisans du CPL vers l’extérieur. Ces derniers, restés dans l’enceinte de la chaîne télévisée, s’en sont pris à l’armée libanaise, "après avoir essayé d’occuper les lieux, soutenus par la Vieille garde (groupe de vétérans affiliés au parti aouniste)", indique la source précitée. Armés, ils n’ont toutefois pas pu résister à l’armée qui les a escortés jusqu’à la route principale qui mène à la MTV. Dans son communiqué, la MTV a accusé les partisans du CPL et la Vieille garde d’ " avoir brandi leurs armes et scandé le slogan Dieu, le Liban, Aoun ou rien".

Vendredi matin, la chaîne a déclaré qu’elle refusera, jusqu’à nouvel ordre, "d’accueillir des partisans aounistes" mais qu’elle continuera à "recevoir des intervenants appartenant au CPL pour leur permettre d’exprimer leurs positions et celles de leur parti".

Vives réactions aux attaques perpétrées par le CPL

À la suite de cet incident, plusieurs personnalités politiques ont dénoncé la violence aouniste. L’ancien Premier ministre, Fouad Siniora, a qualifié les partisans du CPL d’oppresseurs : "Je condamne fermement les attaques de ces individus qui ont l’intention d’intimider la chaîne télévisée, de faire pression sur ses membres et de les faire taire". Il a considéré que "dans un pays où les citoyens tiennent à la liberté d’expression, de telles pratiques devraient être bannies". Il a estimé que ces "incitations à la mobilisation sectaire" sont la conséquence d’une "prise de conscience au sein de certains partis politiques qui ont récemment subi des défaites et n’ont pas réussi à perturber le bon fonctionnement des institutions publiques".

De son côté, le député Akram Chehayeb (Parti socialiste progressiste) a écrit sur son compte Twitter : " Sar el-Waet (Le moment est venu – en référence au titre de l’émission, ndlr) d’arrêter les attaques contre les libertés publiques, les médias, et la parole libre ". Il a rappelé les tentatives du régime syrien de faire taire les médias. "Aujourd’hui, ces manœuvres sont celles des parties locales qui feraient bien de se remémorer que la chaîne télévisée a été leur porte-parole", a-t-il dit.

Le député Achraf Rifi (indépendant) a fait part à la MTV et à M. Ghanem de "son soutien face aux calomnies perpétrées par ceux qui ont failli sur le plan national et qui ont, comme d’habitude, recours à l’incitation et à la sédition".

Pour sa part, le député Ghayath Yazbeck (Forces libanaises) a fait assumer à la Vieille garde l’attaque contre la MTV, qualifiant les partisans du CPL de "produit de l’idéologie immuable de l’ancien président de la République, Michel Aoun". La députée Ghada Ayoub (FL), a écrit sur son compte Twitter : "La MTV était et restera une plate-forme pour la liberté d’expression au Liban, malgré toutes les attaques ou tentatives d’attaques qui la viseraient".

Dans un tweet publié vendredi, le député Marc Daou (Changement) a mis l’accent sur la nécessité de "respecter la liberté des médias, qui est aussi la nôtre". Il a accusé "la milice (aouniste, ndlr) d’être l’élément perturbateur qui contrôle l’État depuis des années et qui, aujourd’hui, voué à l’échec, ne peut que se manifester par de pareils actes".  Son collègue Rami Finj a affirmé, également sur Twitter, que "le jour où nous comprendrons que le temps des menaces et des combats armés est révolu, nous aurons entrepris un pas vers le redressement du pays".

L’ancien député Misbah Ahdab s’en est également pris au CPL, via son compte Twitter : "Ceux qui ont revendiqué la réforme et le changement se sont alliés avec les démons de la corruption et se sont arrangés pour faire élire Michel Aoun à la présidence qui, lui, a conduit le pays en enfer". Et de poursuivre : "Aujourd’hui, il fera tout, quitte à semer la zizanie dans le pays, pour faire en sorte que le gendre de l’ancien président de la République accède au pouvoir". Il a appelé la justice à prendre en charge cette affaire et punir les agresseurs ".

Le président du parti de l’Unification arabe et ancien ministre Wiam Wahab a écrit dans un tweet que "toute attaque contre une institution médiatique est rejetée, quel que soit l’auteur. La MTV reste un espace pour l’expression libre sans discrimination aucune".

L’ordre des journalistes a publié un communiqué dans lequel il a fermement condamné l’attaque contre la MTV. "De tels actes viennent contredire l’obligation du respect du caractère sacré des institutions médiatiques", peut-on lire dans le communiqué. L’ordre a appelé la justice libanaise à "se saisir du dossier et à mener une enquête rapide et transparente pour en élucider les circonstances et prendre les mesures adéquates à l’égard des auteurs concernés". Il a indiqué qu’une réunion est prévue dans le courant de la semaine prochaine pour débattre du rôle des médias à la lumière de la conjoncture politique actuelle.