La décision du Premier ministre sortant Najib Mikati de réunir son cabinet d’expédition des affaires courantes en l’absence d’un président serait le résultat d’une entente tacite entre lui et le duopole chiite Hezbollah-Amal, selon des informations concordantes. Ce qui soulève surtout des questions sur ses effets politiques et les messages qu’elle renvoie.

Après plusieurs mois d’interruption des réunions du Conseil des ministres, le Premier ministre sortant Najib Mikati (également Premier ministre désigné depuis juin sans parvenir à former un gouvernement) a convoqué son cabinet à une réunion le lundi 5 décembre, à 11h.

À l’ombre d’une vacance présidentielle vouée à être maintenue, cette décision n’est pas sans raviver la polémique constitutionnelle de la répartition des prérogatives entre la présidence de la République et le gouvernement. Certes, un gouvernement remplit les prérogatives présidentielles en l’absence d’un président, selon la Constitution, mais celle-ci n’a pas prévu de blocage prolongé de la présidentielle, ni de coïncidence entre ce blocage et celui de la formation d’un nouveau cabinet. La décision de réunir un cabinet d’expédition des affaires courantes en l’absence d’un président serait le résultat d’une entente tacite entre Najib Mikati et le duopole chiite Hezbollah-Amal, selon des informations concordantes. Ce qui soulève donc surtout des questions sur ses effets politiques et les messages qu’elle renvoie.

L’ordre du jour diffusé vendredi recouvre 65 points, ce qui n’est pas minime, dont des dossiers socio-économiques appelant une réponse urgente. Les trois premiers points concernent le secteur de la santé et incluent un projet de décret du ministère compétent de débloquer les sommes dues par l’État aux hôpitaux privés. Alors que le syndicat des propriétaires d’hôpitaux privés au Liban a intensifié au cours des derniers jours ses appels à une réunion du gouvernement pour pouvoir percevoir ces redevances, le ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, continuait de défendre l’avis selon lequel une telle mesure nécessiterait un décret en Conseil des ministres.

Ces pressions auraient vraisemblablement contribué – ne serait-ce que pour la forme – à la décision de Najib Mikati de convoquer les ministres à une réunion lundi prochain, au risque de normaliser la vacance présidentielle.

Les doléances des hôpitaux sont certes symptomatiques d’une situation économique qui ne supporte pas de vide institutionnel prolongé.

Mais un proche de l’opposition partisane, contacté par Ici Beyrouth, n’est pas sans relever le caractère "foncièrement politique" de la démarche de Najib Mikati. "Un ordre du jour en 65 points n’est pas un ordre du jour limité aux dossiers urgents. C’est un ordre du jour tout à fait normal, comme si de rien n’était", relève-t-il.

Le Hezbollah, qui a la haute main sur la situation, et continue, par l’intermédiaire du vote blanc, de provoquer un report sine die de la présidentielle – en attendant un compromis à sa mesure –, serait, selon une lecture d’opposants indépendants, incapable d’assumer les répercussions économiques du vide. La relance, ne serait-ce qu’a minima, de l’Exécutif et dans une certaine mesure, du Législatif, rétablirait la couverture institutionnelle dont il a besoin.

Mais il y aurait, au-delà de cette lecture, des considérations liées aux rapports entre parties libanaises elles-mêmes.

D’une part, le président de la Chambre, assailli de messages du patriarcat maronite et de partis chrétiens de l’opposition, notamment les Forces libanaises (FL) lui faisant assumer la responsabilité du blocage de l’échéance présidentielle, entendrait détourner l’attention vers l’Exécutif, selon une source proche des FL, contactée par Ici Beyrouth.

Il y aurait ainsi, de la part du Hezbollah, une tentative d’opérer "un glissement de la querelle chiite-chrétienne" qui prend forme autour de la présidentielle (le président de la Chambre étant chiite) "vers une querelle à caractère sunnite-chrétien", selon la source précitée. Ce serait dans les deux cas, détourner la présidentielle de sa vocation démocratique en lui accolant un caractère communautaire, tout en provoquant une polémique constitutionnelle, d’autant plus perverse qu’elle est destinée à servir de diversion au forcing iranien sur la présidentielle.

La réunion du Conseil des ministres, la semaine prochaine, renverrait aussi, au même titre que la séance du Parlement, mercredi prochain, visant à examiner la possibilité d’initier une procédure de poursuite judiciaire contre trois anciens ministres des Télécoms (Boutros Harb, Jamal Jarrah et Nicolas Sehnaoui), un message du duopole chiite aux autres parties du pouvoir. La teneur en serait que le Hezbollah et Amal sont tous deux capables de dicter le timing des échéances et le rythme de la marche institutionnelle, selon le proche de l’opposition partisane précité.

Et ce message viserait aussi, enfin, le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, dans une tentative de limiter les gesticulations qu’il multiplie pour forcer un appui officiel du Hezbollah à sa candidature, selon un proche des FL. La démarche de Najib Mikati marginaliserait le CPL, qui a d’ailleurs annoncé vendredi, par la voix de son député Ibrahim Kanaan, son intention de boycotter la réunion du Conseil des ministres, "dont la tenue déroge à la Constitution et au pacte national".

D’autres observateurs pourraient voir en revanche, dans la démarche de Najib Mikati, un nouveau prétexte, offert à Gebran Bassil, pour faire de la surenchère communautaire.