Les responsables du Hezbollah n’imaginaient pas qu’un ministre de l’Intérieur aussi pacifique et posé que Bassam Mawlaoui prendrait la décision d’expulser du Liban les membres du groupuscule al-Wifaq, composé d’opposants bahreïnis au régime de Manama. La décision de M. Mawlaoui était suivie d’un tweet confirmant son rejet catégorique "que le Liban devienne une plate-forme de propagation de la haine ou d’hostilité envers tout pays arabe, et en particulier ceux appartenant au Conseil de coopération du Golfe".

Les partisans du Hezbollah s’attendaient sans doute pas à autant d’audace de la part d’un fonctionnaire censé avoir prêté un serment d’allégeance avant son entrée au gouvernement de cet État en déliquescence dont ils confisquent la souveraineté. C’est pourquoi ils ont déclaré une guerre virtuelle, les soldats embrigadés au sein de leurs armées électroniques proclamant le groupuscule bahreïni al-Wifaq "le symbole de l’honneur et de la dignité qui restera dans notre terre, notre pays et nos cœurs". "Que les mécontents quittent, ce pays restera un havre et une forteresse pour les gens d’honneur, et non pour ceux qui se prosternent", avaient-ils dit.

De manière plus claire, les armées électroniques du Hezbollah ont reçu le mot d’ordre de consolider le concept selon lequel le Liban n’appartient qu’à eux seuls et pas au reste des Libanais. Le parti considère ces derniers comme des ressortissants étrangers dans son propre Etat, ou même des réfugiés que l’on traite généreusement, auxquels il prodigue une dose gracieuse d’humanité et de tolérance et fournit des portions congrues de mazout iranien s’ils restent sages et ne dépassent pas leurs limites, au point de vouloir en arriver ultérieurement à réclamer "l’expulsion des membres du Hamas, du Jihad, d’Ansar Allah, et de toutes personne honorable"…

L’équation de Naïm Kassem

A travers les tweets de ses partisans, le parti révèle l’étendue de sa mise à nu et de sa faiblesse. Il défend les armes non-libanaises de l’Iran, dont les services de sécurité et les autorités compétentes ignorent comment et quand elles pénètrent dans les territoires libanais occupés, quand elles en sortent, et à quoi elles servent entre ces deux instants, toujours en violation des lois en vigueur sur l’ensemble du processus, simplement parce qu’elles sont classées dans la catégorie "honneur et dignité", selon les normes de l’axe iranien.

Quant à la dignité et à l’honneur des Libanais, ceux-ci sont invités à aller à leur recherche loin de cette arène, régie par la volonté et l’administration du waliy el-faqih iranien.

Telle est l’équation posée par le secrétaire général adjoint du Hezbollah, le cheikh Naïm Kassem. Il existe de toute évidence une ardeur particulière à la diffuser, par le biais de réactions verbales violentes révélatrices d’une situation de crise qui ne peut engendrer que chaos et confusion.

Retombées douloureuses

Les retombées de cette situation sur les alliés du parti sont claires. Lorsque la tête est frappée d’un coup douloureux, le corps s’affaiblit et titube, entraînant une perte de coordination entre les mouvements de ses membres – et de ce fait trébuche, peut-être même chute.

Il suffit pour cela de suivre le bras de fer entre le Courant patriotique libre, à partir du sommet de sa hiérarchie, représenté par le président de la République Michel Aoun, et le mouvement Amal, également à partir du sommet de sa hiérarchie, représenté par le président du Parlement, Nabih Berry, et l’étendue des retombées de ce jeu sur tous les aspects de la vie politique, notamment sur le pouvoir exécutif: la menace du chef de l’État de ne plus signer les décrets itinérants se traduira par plus de paralysie des institutions officielles vitales qui gèrent les besoins des citoyens, ainsi que par une envolée folle et continue du taux de change du dollar américain.

Il suffit aussi d’énoncer la liste des pertes subies par l’allié chrétien principal du Hezbollah, du fait des sanctions prises à l’encontre de son chef, le député et ancien ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil à savoir, en raison de son soutien aveugle et continu sur les questions essentielles pour le parti chiite – en dépit des escarmouches sur les questions subsidiaires – et des antagonismes avec les alliés du passé qui lui ont garanti une majorité parlementaire, tels que le le leader des Marada Sleiman Frangié, le vice-président du Parlement Elie Ferzli, Michel Moawad, Neemat Frem, Farid Haykal el-Khazen, Chamel Roukoz et bien d’autres.

Crainte des adversaires
Voilà le bilan en ce qui concerne les alliés, mais qu’en est-il des adversaires?

Leur nombre va croissant, avec des divisions verticales qui rendent la rupture irréversible au stade actuel. L’appel à la "résistance à l’occupation iranienne" a été adopté, peut-être pour des motifs électoraux, par des forces politiques qui étaient restées neutres vis-à-vis du parti. Ces forces ont cependant rejoint les rangs de fractions importantes de la population libanaise qui luttent uniquement en faveur d’une patrie libre et indépendante depuis la tutelle syrienne jusqu’à nos jours.

Alors que le parti sait manœuvrer avec des forces traditionnelles telles que les Forces libanaises et le Parti socialiste progressiste, il reste cependant incapable d’interagir avec n’importe quel phénomène populaire national rassembleur.

Ce phénomène de rupture qui brandit le slogan de "résistance à l’occupation iranienne" fait craindre au parti tout rassemblement populaire transcommunautaire, à l’instar du ralliement autour de l’ancien député Farès Souhaid, c’est pourquoi il a décidé de le poursuivre en justice, après avoir eu recours aux assassinats politiques avec Samir Kassir, Gebran Tuéni, Pierre Gemayel, Georges Haoui et d’autres au sein d’une liste qui ne sera sans doute pas clôturée par Lokman Slim.

Ces assassinats s’inscrivent dans une catégorie différente de celle qui comporte d’autres assassinat obéissant à des motivations différentes, plus ou moins importantes, de l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri à l’éradication de la majorité parlementaire de l’époque (Antoine Ghanem et Walid Eido), en passant par la liquidation de Wissam Eid et Wissam el-Hassan… La liste n’en finira pas tant que l’agenda iranien occupera la priorité aux dépens des Libanais.

Des jours sombres en perspective

Pour en revenir aux adversaires, il convient de signaler l’entrée du Premier ministre Nagib Mikati dans leurs rangs, depuis son entretien téléphonique avec le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane et le président français Emmanuel Macron.

Même si le Hezbollah a tenté de donner l’impression que ce contact serait éphémère et sans aucune influence sur le cours des événements, à l’instar de la démission du ministre de l’Information Georges Cordahi, ses répercussions ont prouvé le contraire. Aussi a-t-il paru inéluctable d’élever le niveau d’adversité à l’encontre de M. Mikati, ce qui conduira à une aggravation de la crise, à laquelle certains ministres – en tête desquels Bassam Mawlaoui – n’échapperont pas, et qui verront sans doute bientôt des voix s’élever tous azimut pour appeler à leur départ.

Cet état de fait, qui est appelé à se prolonger et à empirer jusqu’aux législatives, augure de jours sombres dans la confrontation interne à venir, le Hezbollah étant appelé à aller vers une telle confrontation plutôt que de se contenter d’une simple consolidation de ses cartes. Le parti considère qu’il en va de sa capacité à pouvoir tenir tête ensuite à l’attaque extérieure contre lui qui le qualifie d’"organisation terroriste", surtout après les positions unies et cohérentes des pays du Golfe au sujet de l’Iran et du Liban, lesquelles recueilleront à leur tour encore plus de positions internationales de soutien.

Depuis sa fondation, le parti qui accomplit la volonté de Téhéran n’a jamais été confronté à un tel degré de complexité au niveau intérieur et extérieur à la veille d’un scrutin législatif. Partant, il convient de craindre ce qui pourrait résulter d’une telle confrontation sur la scène libanaise. Quand bien même le niveau d’unité interne atteint sur les objectifs souverainistes hostiles à l’alliance entre les armes illégales et la corruption qui s’en sert comme d’une ombrelle pour se protéger, pourrait bien ouvrir la voie à une nouvelle possibilité réelle pour le peuple libanais de reprendre son destin – et avec, le Liban – en mains.