Le Courant patriotique libre (CPL) ne mettra pas fin à l’entente de Mar Mikhaël (2006). Le Hezbollah non plus. Toutes les rumeurs faisant état d’une rupture imminente entre les deux alliés sont d’ailleurs mal à propos. Certes, leurs relations qui traversent quelques turbulences reprendront leur cours normal, mais sans induire un changement quelconque au niveau de la réalité: le Hezbollah ne se désolidarisera pas du président de la Chambre Nabih Berry pour se rapprocher davantage du CPL. "La messe a été dite, n’en déplaise à certains" avait déclaré Naïm Kassem, secrétaire général adjoint du parti pro-iranien. En d’autres termes, le Hezbollah continuera de faire primer ses propres intérêts. Un état de fait qui ne se prête à aucun débat et encore moins à des concessions, et qui commande des décisions nettes, quoi qu’il en coûte.

Ceux qui suivent de près l’évolution des rapports entre les deux partis savent très bien que le Hezbollah n’a pas besoin d’une couverture politique ou autre du CPL. C’est ce que le secrétaire général de la formation pro-iranienne avait d’ailleurs fait remarquer lorsqu’il avait affirmé dans un de ses discours "ne pas avoir besoin de la couverture de qui que ce soit". Et c’est réellement le cas en ce moment. D’ailleurs, pourquoi le Hezbollah aurait-il besoin d’une quelconque couverture?

En politique, cette formation assume le rôle qu’elle juge adéquat et prend la décision qui lui convient, même si les autres acteurs sur l’échiquier libanais les contestent. D’ailleurs, de quelles marges de manœuvre disposeraient-ils, hormis celle d’élever la voix pour se faire entendre?

Le Hezbollah sait pertinemment que c’est le CPL qui a besoin de la couverture qu’il lui assure et non l’inverse. Les aounistes veulent tirer profit de leur accord avec le parti pro-iranien, bien qu’ils aient annoncé à maintes reprises que le document signé en 2006 devrait faire l’objet d’un débat avec lui, dans la perspective d’une évaluation et d’un amendement si cela devait s’avérer nécessaire. Mais il n’en a été rien, soit dit en passant. Ce qui s’est passé est que le CPL s’est engagé seul dans une évaluation de l’entente de Mar Mikhaël et qu’il est allé trop loin dans ce processus en affirmant dans un de ses communiqués, que "l’accord n’a pas permis d’édifier un État". À l’époque, ce document n’avait pas été aboli. Pourquoi le serait-il aujourd’hui" ?

Une autre question s’impose: quelles seront les conséquences pour le CPL en cas de rupture de l’entente? Dans le passé, celle-ci avait uniquement permis au fondateur de ce parti, Michel Aoun, d’accéder à Baabda. Mais ce dernier n’a bénéficié durant son mandat que du soutien rhétorique du Hezbollah, alors qu’il n’a à aucun moment évoqué le dossier des armes illégales et de la stratégie nationale de défense. Il n’a non plus évoqué que pour la forme, les interventions extrafrontalières du Hezbollah ou la montée des tensions avec les pays arabes, toujours à cause de cette formation. En dépit de ces efforts, l’appui du parti chiite à son allié n’a pas dépassé le cadre du soutien verbal.

D’aucuns pourraient être amenés à penser que le Hezbollah a permis au général Aoun d’avoir une seule réalisation à son actif: la délimitation des frontières maritimes avec Israël, avant la fin de son mandat. Ce que la formation pro-iranienne dément catégoriquement lorsqu’elle avance que c’est grâce à ses drones et à ses menaces que l’accord a vu le jour. Or, le calcul est simple.  L’accord qui a profité en fin de compte au Liban n’est ni plus ni moins que le fruit d’une volonté américaine de servir les intérêts d’Israël.

Sur base de tout ce qui précède, le CPL aurait dû rompre l’entente avec le Hezbollah depuis belle lurette d’autant plus que ses rivaux, notamment chrétiens, jouent cette carte contre lui. Il n’en demeure pas moins que la formation aouniste n’a pas franchi le pas et ne le fera pas pour des raisons évidentes. Selon certains cadres du parti, le CPL a besoin de la puissance du Hezbollah comme levier, notamment pour servir ses intérêts au niveau de la présidence de la République, des élections législatives, des portefeuilles ministériels, et de certaines positions-clés au sein de l’État.

Occasionnellement, la grogne semble nécessaire dans l’espoir d’induire un changement dans la politique du Hezbollah. À défaut, la rupture de l’entente ne sera pas pour autant envisageable.