Le président de la Chambre, Nabih Berry, pourrait transformer la prochaine séance électorale, prévue le jeudi 15 décembre, en une réunion de dialogue parlementaire, si les blocs et députés acceptent cette proposition, visant à débloquer la présidentielle.

Alors que le Liban s’enfonce dans le marasme économique, et que les citoyens peinent à assurer leur pain quotidien et se démènent dans tous les sens pour satisfaire leurs droits les plus élémentaires, des députés, élus par ces mêmes citoyens, consacrent toute leur ingéniosité à remplir les bulletins de vote de mots, noms ou prénoms, qui ne changent rien à la donne, et ne font que retarder une échéance essentielle pour le sauvetage du pays.

Photos Ali Fawaz

Si le bras-de-fer au Parlement lors des séances consacrées à l’élection d’un président de la République opposait jusque-là deux camps principaux, à savoir les groupes et députés souverainistes d’une part, et les blocs du 8 Mars de l’autre, le Courant patriotique libre a voulu mettre à profit la 9ème séance, jeudi, pour envoyer une série de messages au Hezbollah. Certains de ses députés ont ainsi rivalisé d’imagination, en glissant dans l’urne des bulletins portant le prénom Michel, ou le nom Moawad, ou encore Moawad Badri Daher. Le nom de Badri Daher (ancien directeur général des douanes, proche du camp de l’ancien président Michel Aoun et détenu dans l’affaire de l’enquête sur la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth) a également été inscrit sur trois bulletins.

Quelques députés du courant aouniste ont visiblement usé de ce moyen pour faire comprendre au Hezbollah que le CPL pouvait modifier son vote, et même donner ses voix au candidat souverainiste Michel Moawad. La formation aouniste mettait ainsi partiellement à exécution les menaces lancées par son chef Gebran Bassil, qui avait affirmé mardi: " Nous chercherons, de plus en plus rapidement, à sortir de la stratégie du vote blanc et à nous diriger vers un candidat à la présidence. "

Mais le geste est resté très mesuré, puisque les autres députés du CPL ont continué à voter blanc, comme le bloc le fait depuis la première séance électorale.

On rappelle que M. Bassil avait tenu ces propos à la suite du Conseil des ministres qui s’était réuni lundi, malgré l’opposition du CPL (et d’autres partis et officiels), mais grâce à l’appui apporté par le Hezbollah et le mouvement Amal au Premier ministre sortant, Najib Mikati, dans son épreuve de force avec le chef du courant aouniste. Le fossé grandissant entre Gebran Bassil et le Hezbollah a également été mis en évidence par le communiqué publié jeudi matin par le parti pro-iranien, qui a ouvertement critiqué le CPL et ses insinuations de "trahison".

M. Bassil, qui est arrivé peu avant la fin de la séance, n’a pas fait de déclaration. Il a toutefois discuté pendant quelques minutes, entouré de plusieurs membres de son groupe parlementaire, avec Hassan Fadlallah et Ali Ammar, députés du Hezbollah.

Photos Ali Fawaz

Habchi: Jeux de gamins inacceptables

A l’annonce des résultats, le député Michel Moawad, candidat appuyé par les groupes souverainistes, a réagi avec le sourire aux bulletins portant des segments de son nom, attribués par des observateurs à des députés relevant du CPL. Il a même demandé en plaisantant au président du Parlement Nabih Berry de joindre deux bulletins pour lui compter un vote de plus, ce qui a fait également rire le chef du Législatif. Mais des sources parlementaires ont estimé qu’il s’agissait d’enfantillages qui n’avaient pas leur place dans l’Hémicycle, à un moment aussi important de l’histoire du pays.

Dans une déclaration à Ici Beyrouth après la séance, le député Antoine Habchi (groupe des Forces libanaises) a ainsi dénoncé les "jeux de gamins inacceptables, et l’approche non sérieuse dans le traitement des affaires publiques".

Ces pratiques "discréditent la fonction du président chrétien, et il est dommage justement que des députés chrétiens y recourent", a-t-il souligné. Il a aussi estimé qu’il relève de la responsabilité du président du Parlement d’appeler à une séance ouverte, "seul moyen de faire élire démocratiquement un chef d’État qui peut nous sortir de la crise", et dénoncé la "stratégie de blocage qui vise à désespérer les Libanais afin d’en arriver à nommer un président au lieu d’en élire un".

Moawad : Nous ne baisserons pas les bras

Cette tentative du Hezbollah et de ses alliés d’obtenir gain de cause "à l’usure" a également été dénoncée par le député Michel Moawad.

Pour Ici Beyrouth, il a dénoncé le fait qu’"ils veulent imposer un président qui couvre les armes, la corruption et la tentative de mainmise sur ce qui reste de l’argent des Libanais. Mais nous n’allons pas baisser les bras. Nous continuerons jusqu’à l’élection d’un président souverainiste et réformiste qui puisse produire un vrai changement dans la vie des citoyens".

Photos Ali Fawaz

Berry appelle au dialogue

La 9ème séance a aussi été marquée par un appel au dialogue lancé par le président du Parlement. Avant de donner congé aux députés pour les convier à une nouvelle réunion jeudi 15 décembre, M. Berry a précisé qu’il engagera d’ici là une série de dialogues avec les groupes parlementaires.

"Si les députés y sont favorables, je transformerai la séance de jeudi prochain en une séance de dialogue au Parlement, Place de l’Étoile", a-t-il précisé.

Il convient de noter qu’au fil des séances, plusieurs députés avaient demandé à M. Berry d’organiser un dialogue parlementaire afin de débloquer la présidentielle. Lui-même avait lancé cette idée en octobre dernier, avant d’y renoncer suite " aux protestations et réserves, notamment de la part des groupes des Forces libanaises et du CPL ".

À l’ouverture de la séance jeudi, le député Fadi Karam (FL) avait appelé, d’un ton très posé et calme, le président Berry à mettre fin au blocage présidentiel en invitant les députés qui s’absentent à se rendre au Parlement et à y rester jusqu’à l’élection d’un président. Le chef du Législatif avait remercié M. Karam "pour sa politesse", soulignant qu’il appelle depuis le départ au dialogue, sans lequel rien ne peut être réalisé.

Cette fois-ci, et justement en raison de la lassitude des députés, plusieurs blocs pourraient être favorables au dialogue. Le Rassemblement démocratique (Parti socialiste progressiste) est en principe partant, ses membres ayant réclamé plusieurs fois un tel dialogue, la dernière en date durant la séance de jeudi, par la voix de Hadi Abou el-Hosn. Ce dernier avait déclaré que les députés devaient choisir entre la poursuite du blocage en attendant une intervention extérieure, ou une entente à la faveur d’une table de dialogue parlementaire, sur un candidat réformateur qui croit dans l’accord de Taëf.

L’appel au dialogue sera probablement accepté par plusieurs groupes parlementaires. D’autres pourraient se montrer plus méfiants, et y voir une nouvelle tentative du 8 Mars de gagner du temps. Les positions à cet égard ne devraient pas tarder à être annoncées.

Photos Ali Fawaz

Première voix pour Salah Honein

Pour en revenir à la séance de jeudi, elle a été levée après le premier tour, comme à chaque fois. Sur les 105 députés qui y ont participé, 39 ont accordé leurs voix à Michel Moawad, contre 37 jeudi dernier. Le député de Zghorta peut aussi compter sur les voix de plusieurs députés qui étaient absents, notamment Camille Chamoun (PNL), Sélim Sayegh (Kataëb), Sethrida Geagea et Melhem Riachi (FL) et Waddah Sadek (indépendant). Deux députés de la Modération nationale (Akkar) ont voté pour lui, alors que neuf de leurs collègues ont continué à voter pour le "Liban nouveau".

Trente-neuf députés ont voté blanc, contre 52 jeudi dernier. Cette baisse des bulletins blancs, que les députés du 8 Mars ont pris l’habitude de déposer dans l’urne depuis le début du processus, s’explique par le message aouniste au Hezbollah, mais également par le grand nombre d’absents, à savoir 23 députés.

Le professeur Issam Khalifé a obtenu cinq voix (des parlementaires du Changement et du député de Saïda, Oussama Saad), contre 4 la dernière fois. On relève que Michel Doueihy, ancien député de la Contestation, a voté pour l’ancien député Salah Honein, qui obtenait ainsi un premier vote. M. Honein, qui a annoncé sa candidature, faisait partie des trois noms avancés par les députés du Changement, dans le cadre d’une initiative qu’ils avaient lancée avant la sortie officielle de deux députés du groupe (Michel Doueihy et Waddah Sadek), et l’annonce de deux autres (Mark Daou et Najat Saliba) de leur décision d’appuyer Michel Moawad.

Parmi ces trois noms figurait celui de l’ancien ministre Ziyad Baroud, qui a été déposé une première fois il y a un mois par le vice-président du Parlement Élias Bou Saab, et qui reçoit également depuis lors l’appui d’un autre député du Changement, Élias Jradi. M. Baroud a d’ailleurs obtenu jeudi une voix, celle de M. Jradi, en raison de la présence de M. Bou Saab à l’étranger.

Dans le cadre des efforts de créativité déployés par certains députés, on note que l’un d’entre eux a voté pour l’ancien président d’Afrique du Sud Nelson Mandela, qui succède ainsi à d’autres anciens chefs d’État ayant obtenu des voix lors de précédentes séances.

Enfin, le candidat déclaré Milad Bou Malhab, qui assiste dans les tribunes à la plupart des séances électorales, revêtu d’habits aux couleurs du drapeau libanais, a reçu une voix en sa faveur. Ou presque, car celui qui l’a déposée a écrit Faouzi et non Milad. M. Bou Malhab a quand même apprécié le geste, qualifiant celui qui l’a accompli de "patriote".