Les tractations entreprises depuis plusieurs jours entre le mouvement Amal, le Courant patriotique libre et le Hezbollah afin de conclure un " marché " entre eux pour mettre fin à la paralysie institutionnelle et relancer les réunions du Conseil des ministres ont subi un sérieux revers lundi soir et semblent battre de l’aile. C’est du moins ce qui ressort de la réunion que le chef du législatif Nabih Berry a tenue en fin de journée, lundi, avec le Premier ministre Nagib Mikati.
Le bureau de presse du chef du gouvernement a ainsi publié lundi en soirée un communiqué indiquant que M. Mikati a réaffirmé à M. Berry son opposition à tout compromis susceptible de porter atteinte à l’action de la Justice. En clair, le Premier ministre a rejeté les termes du " marché " que le CPL, le Hezbollah et Amal ont tenté de conclure ces derniers jours.
Ce " marché " en gestation, qui semble donc remis en question – sauf revirement de dernière minute, ce qui n’est jamais à écarter au Liban – porterait (ou aurait porté) sur les termes suivants : (i) la mise sur pied d’une commission parlementaire qui serait chargée d’enquêter avec les députés et anciens ministres poursuivis par le juge d’instruction Tarek Bitar (chargé de l’investigation dans l’explosion du 4 août 2020), cette mesure signifiant que la marge de manœuvre du juge Bitar serait sensiblement réduite (comme le réclame la tandem chiite) ; (ii) l’aval par le Conseil constitutionnel du recours présenté par le CPL contre les derniers amendements apportés à la loi électorale.
Conformément à ce compromis, le mouvement Amal de Nabih Berry obtiendrait satisfaction au sujet de la limitation de l’action du juge Bitar, et le CPL obtiendrait satisfaction au niveau de son recours contre la loi électorale.

Le rejet de Mikati

Le climat relativement optimiste qui avait accompagné ces derniers jours les tractations pour conclure le marché en question s’est rapidement dissipé en soirée. Un vent de pessimisme ponctuel a soufflé en fin de journée à un point tel que des rumeurs concernant la démission du Premier ministre sont apparues sur les réseaux sociaux, ce qui a amené le bureau de presse de M. Mikati à démentir ces rumeurs.
Il reste que certains réseaux sociaux ont affirmé que M. Mikati est sorti " visiblement en colère " de son entretien avec M. Berry. Evoquant cette réunion, le bureau de presse du Premier ministre a relevé à cet égard que la position de Nagib Mikati reste inchangée quant à " son opposition à toute ingérence, quelle que soit sa forme, dans l’action de la Justice ". Le communiqué du bureau de presse indique en outre que M. Mikati " refuse que le Conseil des ministres soit considéré comme un terrain (de manœuvre) pour conclure des compromis qui constitueraient de manière directe ou indirecte une ingérence dans les affaires de la magistrature ".
De plus, le Premier ministre a souligné les " efforts pour relancer les réunions du Conseil des ministres " et affirmé que " toute position qu’il pourrait adopter par la suite serait fondée exclusivement sur ses convictions nationales et personnelles et son estimation de l’évolution de la situation ".
Notons dans ce contexte que M. Mikati a reçu en fin de soirée le précieux appui du député et ancien ministre du Parti socialiste progressiste (PSP), Waël Bou Faour, qui a dénoncé la conclusion de tout compromis au détriment de l’enquête relative à l’explosion du 4 août 2020. Une allusion claire au rejet du " marché " négocié par le CPL, Amal et le Hezbollah.

Le Conseil constitutionnel

Pour en revenir au Conseil constitutionnel, il devrait rendre son verdict aujourd’hui, mardi, au sujet du recours présenté le 17 novembre dernier par le CPL contre les amendements apportés par le Parlement à la loi électorale (44/2017). La décision du Conseil constitutionnel est très attendue par les milieux politiques. Et pour cause : l’issue de ce recours pourra mener soit vers le début d’un déblocage gouvernemental – si jamais un “troc” a lieu au dernier quart d’heure – soit vers une aggravation de la crise politique actuelle, avec une intensification du bras de fer entre Amal et le CPL.
Le premier cas de figure se baserait essentiellement sur le principe de “donnant-donnant” : si le Conseil constitutionnel rejette le recours du CPL, le président de la Chambre, Nabih Berry, œuvrera pour la reprise des réunions du Conseil des ministres, à condition que le gouvernement fasse pression sur le Parlement pour que celui-ci défère les responsables poursuivis par le juge Bitar (l’ancien Premier ministre Hassane Diab et les anciens ministres Youssef Fenianos, Nohad Machnouk, Ghazi Zeayter et Ali Hassan Khalil) devant la Haute cour chargée de juger les présidents et les ministres.
Le second cas de figure se manifesterait par une tension plus accrue au niveau des relations Amal-CPL, ce qui aggravera considérablement le blocage politique et institutionnel. Le cas échéant, le gouvernement sera dans l’incapacité de se réunir, le Parlement ne sera pas convoqué, le président de la République, Michel Aoun, confrontera le Premier ministre pour que celui-ci cède aux pressions internes.
Cependant, M. Mikati est aussi “muni de cartes de pressions dont il ne fera usage qu’en dernier ressort”, selon une source informée. Il s’agit notamment des négociations en cours avec le Fonds Monétaire International (FMI), les discussions budgétaires, les pourparlers concernant l’assistance humanitaire évoquée dans le cadre de l’initiative franco-saoudienne, ainsi que les problèmes courants tels que la crise d’électricité, d’eau, d’essence, l’inflation etc. Toutefois, M. Mikati est, indiscutablement, appuyé par la communauté internationale pour implémenter les réformes nécessaires pour sortir le pays de l’impasse, et de surcroît éviter le vide institutionnel.

Les modalités du recours

Pour ce qui est des modalités du recours présenté au Conseil constitutionnel, celui-ci se base sur plusieurs modifications revendiquées par le CPL, notamment, changer la date du scrutin avancé par la Chambre du 27 mars 2022 au 8 ou 15 mai 2022 ; réduire le nombre de députés élus par les expatriés de 128 à 6 ; et mettre en place des méga-centres, permettant ainsi aux électeurs de voter dans le périmètre de leurs lieux de résidence, sans avoir à se rendre dans leurs villages d’origine pour élire leurs députés.
Il est important de rappeler que le Conseil constitutionnel, formé de dix magistrats, a besoin de huit membres pour tenir une séance, et que ses décisions sont prises à la majorité de sept voix. Cependant, ʺle Conseil se trouve à cheval entre deux verdicts. En effet, cinq juges seraient favorables à la validation du recours, et les cinq autres s’y opposeraient ʺ, selon une source proche du dossier. Quoi qu’il en soit, et si cette information est toujours d’actualité, deux options restent valables à l’heure actuelle. Le recours pourra être accepté ou rejeté, soit partiellement soit intégralement. Mais, si le Conseil n’obtient pas les sept voix requises pour trancher dans un sens ou dans un autre, les amendements de la loi électorale votés par le Parlement en octobre dernier resteront en vigueur.