Le Premier ministre sortant Najib Mikati a de nouveau réussi à réunir le Conseil des ministres malgré l’opposition virulente du Courant patriotique libre (CPL). Pour la deuxième fois depuis le début de la vacance présidentielle le 31 octobre dernier, le gouvernement d’expédition des affaires courantes s’est réuni mercredi et a pu assurer un quorum grâce notamment à la participation des ministres du Hezbollah, mais également à celle des ministres sortant du Tourisme, Walid Nassar et de l’Économie Amine Salam, pourtant proches du courant aouniste. M. Mikati a assuré qu’il convoquera une troisième réunion, "bientôt, la semaine prochaine ou celle qui suivra, pour discuter de tous les dossiers urgents". Le CPL considère ces réunions comme étant " contraires à la Constitution et au Pacte national " accusant le Premier ministre démissionnaire sunnite de vouloir s’arroger les prérogatives du président de la République maronite.

116 millions de dollars pour l’Électricité

Les huit points de l’ordre du jour de la réunion de mercredi portaient principalement, mais pas uniquement, sur des avances du Trésor visant à financer l’approvisionnement de centrales électriques en fuel. M. Mikati voulait que ces avances, garanties par la Banque du Liban, soient approuvées dans les règles, c’est-à-dire après une réunion du Cabinet, tandis que le gouvernement démissionnaire n’a toujours pas préparé une proposition de Budget pour l’année 2023.

Axé essentiellement sur le secteur de l’électricité, le Conseil des ministres a invité le directeur général d’Électricité du Liban (EDL) Kamal Hayek à participer à la réunion. Le gouvernement sortant a approuvé une avance de 62 millions de dollars pour l’achat de fuel et de 54 millions de dollars pour l’entretien des centrales de Zahrani et de Deir Ammar, en arrêt depuis 15 jours, faute de fuel. L’achat de carburant grâce auquel les centrales électriques vétustes du pays pourraient reprendre leurs activités, assurerait en principe entre trois à quatre heures de courant par jour aux Libanais.

Rappelons qu’un accord avait été conclu concernant l’octroi d’une avance à EDL et des appels d’offres avaient été lancés pour acheter 66.000 tonnes de fuel. C’est la société Vitol Bahrain E.C. qui avait remporté l’adjudication et envoyé deux cargos, un premier, le 15 décembre dernier, destiné à Deir Ammar, et un autre le 22 décembre, à la centrale de Zahrani. Ces navires se trouvent toujours au large des côtes libanaises, ce qui coûte à l’État libanais la modique somme de 18.000 dollars, à titre d’indemnités de retard, par jour et par bateau. À noter que depuis, deux autres navires sont arrivés. L’ouverture de la ligne de crédit va permettre aux autorités de payer les cargos.

Le ministre sortant de l’Énergie Walid Fayad, principal concerné et proche du Courant patriotique libre, a boycotté la réunion, conformément aux directives du chef du parti aouniste, Gebran Bassil. À l’issue du Conseil des ministres, M. Mikati a indiqué avoir demandé au ministre Fayad de négocier avec les compagnies d’import pour qu’elles prennent à leur charge les pénalités de retard.

Suspension de deux autres avances

Toutefois, le cabinet n’a pas approuvé le montant total nécessaire, selon Walid Fayad, pour une solution à long terme pour l’achat de fuel destiné au secteur de l’énergie. L’ouverture d’une ligne de crédit de 45 millions de dollars pour deux autres navires, au large du Liban, avec des cargaisons de quelque 60.000 tonnes de fuel de catégorie A et B pour les centrales électriques de Jiyé et de Zouk a été refusée.

De même, l’avance de 140 millions de dollars pour pallier les besoins en carburant pendant la période transitoire (en attendant les factures collectées suivant la nouvelle tarification qui démarre le 1er février), a aussi été suspendue. Le Premier ministre sortant a indiqué qu’une commission interministérielle avait été formée pour plancher sur les deux requêtes du ministre.

Commentant la suspension de ces montants et la création d’une commission ministérielle, Walid Fayad a affirmé " qu’implicitement, cela signifie que le dossier de l’électricité n’est plus l’otage des différends politiques, et n’a plus besoin d’un autre Conseil des ministres ". Il a appelé à “la tenue d’une réunion de cette commission jeudi afin d’éviter des amendes supplémentaires”.

Réagissant aux propos de M. Fayad, des sources ministérielles, citées par l’agence al-Markaziya, ont souligné que Najib Mikati convoquera la commission lorsqu’il le jugera opportun et qu’il n’appartient pas à celle-ci de régler le problème des amendes, le Premier ministre sortant ayant spécifiquement demandé à son ministre de l’Énergie d’engager lui-même des négociations avec les compagnies concernées puisque c’est lui qui a importé le fuel avant que les fonds nécessaires ne soient assurés. De mêmes sources, on indique que M. Fayad aurait mieux fait de prendre part au Conseil des ministres.

Pour sa part, le directeur général d’Électricité du Liban Kamal Hayek a assuré n’avoir rien promis en échange de l’obtention des crédits. La Banque du Liban qui avait garanti la somme avait pris soin de préciser qu’il s’agit d’un prêt que EDL devrait rembourser dans un délai de six mois.  Selon lui, ce genre d’engagements doit s’étendre à plusieurs administrations. Un remboursement du prêt, a-t-il expliqué, est aussi lié au succès de la collecte des factures.

Par ailleurs, à l’ordre du jour du cabinet figuraient des dossiers concernant la santé, l’éducation et l’importation de blé, mais seul le dossier de l’électricité a été traité. M. Mikati a déclaré que certains ministres ont protesté et voulaient en discuter. "Nous avons toutefois convenu de tenir une prochaine séance pour examiner ces questions urgentes", a-t-il assuré.

Les Libanais devraient donc avoir un peu plus de courant par jour, de l’énergie qui va approfondir le gouffre financier de l’État sans solution claire à long terme. Les réformes qui permettraient d’importer de l’électricité d’Égypte et de Jordanie (par le biais d’un prêt de la Banque mondiale) laquelle assurerait une meilleure alimentation en courant électrique, semblent avoir été renvoyées aux calendes grecques.