Nabih Berry n’a même pas pris la peine de demander au secrétaire général de la Chambre de compter les députés présents dans l’hémicycle. À peine le résultat du premier tour de la onzième réunion parlementaire consacrée à la présidentielle est-il annoncé que le président de la Chambre lève la séance. Pourtant, le député Melhem Khalaf avait tenté d’insister pour que des séances successives soient organisées. Il avait même annoncé qu’il compte rester dans l’hémicycle avec sa collègue, Najat Aoun Saliba, jusqu’à ce qu’un nouveau chef de l’État soit élu.

Dans la forme, la réunion électorale de jeudi ne s’est distinguée en rien des 10 précédentes. La majorité des voix parlementaires se sont divisées encore une fois entre Michel Moawad et les bulletins blancs et la séance s’est déroulée au pas de course. Nabih Berry, visiblement irrité par le forcing mené par les parents des victimes de l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth et par le discours favorable des députés dits du changement à leur cause, avait hâte d’en finir. Surtout que ces derniers étaient entrés dans l’hémicycle en brandissant les portraits des victimes qui leur avaient été remis par leurs parents, rassemblés devant le siège de la municipalité de Beyrouth.

La fureur du camp berryste – responsable du blocage de l’enquête – s’est notamment manifestée dans le mouvement d’humeur d’un de ses députés, Kassem Hachem. À son arrivée Place de l’Étoile, ce dernier a sans détour accusé les manifestants, mais aussi les députés qui soutiennent leur cause d’"instrumentaliser le sang des victimes du 4 août", avant d’être vertement remis à sa place par Halima Kaakour et Firas Hamdane.

Quoi qu’il en soit, sur base des événements qui ont entouré la séance de jeudi, il est permis de relever que dans le fond, celle-ci pourrait constituer un tournant de nature à impacter les prochaines. Et ce, pour deux raisons : d’abord parce que le dossier du port s’est imposé en force, Place de l’Étoile, d’autant que les parents des victimes réclament désormais un amendement des articles du Code de procédure pénale qui favorisent un blocage des enquêtes pénales. Ensuite et surtout, parce qu’une composante du camp souverainiste, le PSP de Walid Joumblatt, s’apprête à lancer une nouvelle initiative, en concertation avec son candidat, Michel Moawad, pour un déblocage de la présidentielle, alors que les divisions ne font que s’accentuer au sein du camp opposé, celui du 8 Mars. Deux députés du bloc Joumblatt ont fait état de cette initiative qui devrait, selon eux, être annoncée bientôt, mais sans donner davantage de précisions sur la question. Le PSP avait, comme on le sait, évoqué dans le passé cette possibilité au cas où le blocage persisterait.

Cette initiative s’accompagne d’une pression que les députés dits du changement souhaitent exercer sur la Chambre. Les députés Melhem Khalaf et Najat Aoun Saliba, ont entamé un sit-in ouvert dans l’hémicycle, jusqu’à ce qu’un nouveau président soit élu. Ils ont été rejoints en fin de matinée par leurs collègues Firas Hamdane et Cynthia Zarazir. Le cercle des députés protestataires pourrait s’élargir, ce qui peut accentuer davantage la pression sur le camp de la Moumanaa, composé notamment du Hezbollah et du mouvement Amal, mais aussi du CPL de Gebran Bassil, qui a cependant ses propres calculs électoraux.

À la fin du premier tour, jeudi, le résultat du vote des 110 députés présents à la Chambre, a été le suivant : Michel Moawad, 34 voix, Salah Honein, 1 voix, Ziyad Baroud, 2 voix, Issam Khalifé, 7 voix, Milad Abou Malhab, 1 voix, bulletins blancs, 37 voix, Liban nouveau, 14 voix, ainsi que 15 bulletins invalides, avec les mentions 4 août, Michel Moawad/justice pour les victimes du 4 août, priorité à la présidentielle, priorité pour le Liban.

À l’annonce de son nom, Milad Abou Malhab, qui assistait à la séance à partir de la tribune réservée aux journalistes et aux personnalités, a lancé un tonitruant Allah Akbar, ce qui a poussé Nabih Berry à réagir. Il a annoncé que M. Abou Malhab sera désormais interdit d’assister aux séances électorales.