La destruction politique et économique du Liban par la milice fondamentaliste et totalitaire du Hezbollah se voit accompagnée d’une volonté parallèle de désintégration de son identité. Pour ceux qui se disent laïcs et libéraux, l’identité est perçue comme une entrave au vivre-ensemble et une rétrogradation vers le passé. Ils cherchent alors à la nier ou à la déconstruire. Cette tendance dépasse largement la question du Liban, puisqu’elle sévit en Europe occidentale et en Amérique sous la forme d’une nouvelle religion.

Le nihilisme

Des pseudo-intellectuels cherchent à déconstruire l’histoire en faisant appel à l’historicisme, et de là, au relativisme, annonçant l’incertitude de tout, donc le nihilisme. Toutes les assises de l’identité sont tournées en dérision avec une haine de la culture, de l’histoire, du passé, de l’art, du beau et du sacré. Nous y pressentons jusqu’à la haine de soi.

Pour reprendre André Malraux, la société qui ne croit plus au sacré, ne croit plus en rien et sombre dans le nihilisme. Le pseudo-historien commence par renier toutes les particularités nationales pour ensuite s’en prendre aux spécificités communales ou communautaires. C’est l’éloge de l’uniformité comme dirait Alain Finkielkraut, d’où le culte de la laideur. Nous assistons à un désamour entre les peuples et leur pays, dû notamment à cette méconnaissance totale de l’art et de l’histoire, et à cause du mépris du sacré.

Il s’agit d’une tendance mondiale qui a conquis l’Occident en brandissant les slogans du progrès, de l’humanisme, de la liberté et de la fraternité. À l’origine pourtant, cette forme de pensée, le libéralisme, prônait la défense des droits individuels dans leur double caractère naturel et positif. Elle œuvrait pour la liberté d’expression, la liberté de culte, le pluralisme et le libre échange des biens et des idées. Elle avait adopté la définition de la liberté individuelle stipulée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon laquelle "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui". Et c’est là que la contradiction surgit chez certains supposés libéraux. En voulant déconstruire les structures existantes qu’ils considèrent comme des entraves à leur liberté, ils s’attaquent consciemment au bien moral et au sacré qui incarne la sécurité d’autrui. Ils contrecarrent en cela les principes-mêmes qu’ils prétendent défendre.

Le néolibéralisme

Un néolibéralisme moderne se forme. L’ennemi imaginaire qu’il cherche continuellement à abattre est l’héritage chrétien. C’est pourtant là que les propres valeurs du libéralisme prennent leur source dès le Vᵉ siècle avec saint Augustin et notamment au XVIᵉ siècle, avec l’école de Salamanque qui s’appuyait sur les enseignements de saint Thomas d’Aquin et préconisait déjà les séparations des pouvoirs.

Leo Strauss dénonce à juste titre la forme de libéralisme moderne qu’il va jusqu’à présenter comme une variante du nihilisme. Car cette dérive de la pensée, prévient-il, peut facilement basculer dans la tyrannie et le totalitarisme. Et c’est sans doute là, dans le totalitarisme, que certains libéraux ou gauchistes nihilistes se retrouvent avec les mouvances islamistes actuelles. Or John Locke qui avait développé la pensée libérale au XVIIᵉ siècle, s’était insurgé, non pas contre l’Église, mais contre les doctrines religieuses intolérantes. Les néolibéraux semblent donc se tromper d’adresse.

Dans le rejet catégorique du roman national et de toute forme de romantisme historique sur lequel se construit la nation et sa mémoire identitaire, le gauchiste radical transforme l’histoire en science froide dépourvue d’âme. Il ne la considère plus comme transcription de la vie des hommes, mais il la conçoit sans vie et sans humanité. Un positivisme radical qu’Ivan Tourgueniev associe, une fois de plus, à la pensée nihiliste. Et dans son rejet de la dimension eschatologique de l’être, ce nihilisme est perçu par Jean-Paul II comme "le primat qui revient à l’éphémère".

L’athéisme

Cette attitude réductionniste dont font preuve aujourd’hui des intellectuels que célèbrent en grande pompe et si maladroitement certains médias, n’est autre qu’une négation du divin et une soumission au mal. L’athéisme qu’elle implique ne nie pas seulement Dieu, mais selon Dostoïevski, il conteste la "création". C’est "au sens de l’être" qu’il renonce, nous dit Jean-Paul II. Ainsi, comme l’a souligné Martin Heidegger, après avoir tué Dieu, le nihilisme propose la "mort de l’Homme".

Dans ce qui se joue aujourd’hui, nous ne sommes pas forcément dans la version dite "pessimiste" du nihilisme. Nous sommes dans une expression absurde et absolument vide destinée exclusivement au divertissement. C’est le mal pour le mal, la liesse des foules naïves accompagnant les autodafés de toutes les valeurs humaines. Puisque le feu amuse et distrait, ne cessons pas d’alimenter les flammes, avec tout ce qui nous tombe entre les mains. "Que les plus hautes valeurs se dévalorisent", disait Friedrich Nietzsche dans son interprétation du nihilisme. C’est en tuant Dieu que les êtres sombrent dans le "nihil". Car comme le souligne Nietzsche, ces deux questions sont intimement liées. Rappelons que pour saint Augustin, seule l’action conservatrice de Dieu épargne aux créatures l’égarement dans le "nihil".

Confondre la laïcité avec la haine de la religion, et du christianisme en particulier, permet aux idéologies nihilistes (qu’elles soient libérales, laïcistes ou woke) de se retrouver avec les mouvances totalitaires. Elles partagent avec elles une aspiration commune qu’est le fondamentalisme dont elle accuse paradoxalement les défenseurs de la culture et de l’héritage chrétien.

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