Au nom d’un collectif d’intellectuels et de personnalités académiques, deux personnalités académiques et membres du cercle rapproché d’ Ici Beyrouth, les professeurs Issam Khalifé et Claude Boueiz Kanaan, ont remis un important mémorandum au secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres qui a clôturé mercredi une visite de trois jours à Beyrouth.
Ce document a valeur de document de référence vu l’argumentaire qu’il développe, notamment en ce qui concerne le statut en droit international des frontières du Liban.

Le mémorandum se décline en trois points :

Les frontières maritimes entre le Liban et Israël. Le document insiste sur la valeur en droit international de la ligne N°29 comme d’ailleurs l’a récemment rappelé Monsieur Blinken, Secrétaire d’État. Les lignes N°1 et N°23 n’ont pas la force juridique de la ligne 29 ce qui reconnaît la valeur des géographes et des topographes de l’armée libanaise.

Les frontières terrestres et maritimes entre le Liban et la Syrie ainsi que le problème de la population syrienne déplacée au Liban. Le document produit les arguments suffisants pour affirmer   qu’en 1967 les deux pays s’étaient mis d’accord de régler leur contentieux frontalier par des cartes communes mais que rien n’a été fait d’où l’importance, pour le Liban, de l’application de la résolution 1680 du Conseil de sécurité ce qui impliquerait apparemment des procédures semblables exécutoires semblables à celles qui furent prises pour délimiter la ligne frontalière Irak-Koweït. Le document affirme, preuve à l’appui, que la Syrie n’a rempli aucune de ses obligations en matière de délimitation de la zone économique maritime contrairement au Liban. Quant aux déplacés syriens, leur nombre atteint deux millions alors que les réfugiés de Palestine sont estimés à 449.957 environ. La présence syrienne aurait couté au Liban, depuis 2011, quelques 23 milliards USD. Sans compter que depuis 2014 aucune statistique fiable n’existe quant aux naissances dans des camps illégaux. Le document exige le rapatriement dans la dignité des déplacés syriens ainsi que l’exécution des résolutions de l’ONU en faveur des réfugiés de Palestine.

Le troisième point réclame de mettre fin au génocide actuel du peuple du Liban. Le document utilise le terme génocide au sens premier ainsi que comme métaphore. Il énumère les conditions indignes et inhumaines dans lesquelles la caste politique dirigeante maintient la population, conditions qualifiées de génocidaires. C’est pourquoi le document conclut par une requête pressante demandant l’application des résolutions 1559, 1680 et 1701 du Conseil de sécurité et de la déclaration de Baabda (2012). Une telle application serait la porte d’entrée pour un début de solution à la crise libanaise, souligne le document.

Voici le texte intégral du mémorandum, traduit de l’arabe par Ici Beyrouth:

Monsieur Antonio Guterres,

Au nom d’un vaste éventail d’intellectuels et d’académiques libanais, nous vous souhaitons la bienvenue au Liban, le pays qui a contribué à la fondation des Nations unies et dont le délégué, Charles Malek, a participé à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Nous avons estimé qu’il était de notre devoir moral, national et humanitaire de vous remettre ce mémorandum résumé en espérant que vous lui accordez l’attention nécessaire.

I – Des frontières terrestres et maritimes entre le Liban et Israël:

A- Frontières terrestres: les frontières terrestres méridionales de l’État libanais ont été fixées par la résolution 318 du 31 août 1920, déterminées par l’accord du 23 décembre 1920 entre la France et l’Angleterre, et tracées le 7 mars 1923 dans le cadre des accords Paulet-Newcombe. Ces accords ont été transmis à la Société des Nations et approuvés dans un procès-verbal en date du 4 février 1924. Ces limites sont ainsi devenues fixes au plan international.

Le 29 septembre 1947, les Nations unies ont adopté la résolution 181, qui stipulait la solution à deux États: la Palestine et Israël. Et après la guerre arabe-israélienne de 1948, l’accord d’armistice entre le Liban et Israël a été signé le 23 mars 1949.
L’article 5 de cet accord indique ce qui suit:
“a- La ligne d’armistice permanente doit suivre la frontière internationale entre le Liban et la Palestine…”

Entre le 5 et le 15 décembre 1949, un comité israélo-libanais, sous la supervision des Nations unies, réalise une nouvelle topographie des frontières, et ressuscite et confirment les points des accords Paulet-Newcombe. Ce comité ajoute des points secondaires (B1-B96) et des colonnes et signes sur le terrain pour marquer la ligne frontalière. Les cartes Palestine 1/20000 et Levant 1/50000 constituent la référence en matière de tracé. A travers cela, il apparaît clairement que Ras el-Naqoura est le point frontalier sur la Mer Méditerranée. Après le retrait israélien vers la Ligne bleue, il apparaît qu’il existe encore 13 réserves sous occupation israélienne. Sans compter les fermes de Chébaa, les collines de Kfarchouba, le village de Nkhaïlé et la partie libanaise du village de Ghajar, qui sont tous Libanais, comme l’attestent des dizaines de documents.

B- La ligne 29 est la ligne frontière de la zone économique exclusive libanaise avec la zone économique exclusive d’Israël:

La délégation militaire libanaise a présenté, dans les négociations indirectes qui ont eu lieu entre le Liban et Israël, et en présence d’un représentant de l’ONU, tous les documents et preuves scientifiques et juridiques qui confirment que la ligne 29 est la bonne ligne, et que toutes les autres lignes (la ligne 1, la ligne 23 et la ligne Hoff) sont illégales et non scientifiques puisqu’elles ne prennent pas le point de Ras el-Naqoura comme point départ, mais partent plutôt du nord de ce point, et parce qu’elles considèrent le rocher de Takhlit comme une île (bien que l’article 121 du droit de la mer (1982) soir clair à ce sujet). Par ailleurs, le décret 6433 transmis par le gouvernement libanais aux Etats-Unis contrevient à l’article 2 du Code de procédure civile libanais, selon lequel les tribunaux sont tenus de respecter l’ordre des dispositions légales en donnant la priorité à l’application des dispositions des traités international à celle du droit commun dans le cas où il y aurait une contradiction entre les deux. Ainsi, le décret 6433 contredit les accords Paulet-Newcombe et l’accord de délimitation des frontières avec Israël du 5-15 décembre 1949, dans la mesure où il part du nord de Ras el-Naqoura, à une distance de 30 mètres environ. Partant, les ministres concernés du gouvernement libanais et l’ancien Premier ministre libanais, Hassan Diab, ont accepté une modification des coordonnées précisées par le décret, sur base d’une recommandation du commandement en chef de l’armée libanaise.

Un vaste éventail d’intellectuels et d’académiques libanais, ainsi que des dizaines de milliers de pétitions et d’associations soulignent leur soutien à la position de la délégation militaire libanaise qui négocie et considère que tout responsable libanais qui n’adopte pas cette position est passible de haute trahison des intérêts du peuple libanais, et n’exprime pas, partant, l’intérêt supérieur de l’Etat libanais.

II – Les frontières terrestres et maritimes entre le Liban et la Syrie et la nécessité du retour immédiat de tous les déplacés syriens dans leur pays:

A- Frontières terrestres:
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Il existe des accords qui ont clarifié la ligne frontalière entre les deux États libanais et syrien. Parmi ces accords: la résolution 318 du 31 août 1920, la résolution 3007 du 29 décembre 1924, la résolution N. 36bis/LR du 12 mai 1931, la résolution 27/LR du 4 février 1935, et la résolution 3538 du 12 novembre 1937. Parallèlement à ces résolutions, il existe des procès-verbaux de délimitation entre les deux pays le long des villages et des localités qui se font face aux frontières, ainsi que les procès-verbaux des réunions entre les juges immobiliers des deux parties. En 1967, il y a eu un accord sur le déboursement des frais des limites des frontières convenues. Mais jusqu’à présent, aucun procès-verbal n’a été signé entre les deux pays avec des cartes à transmettre subséquemment au Nations unies. D’où l’importance de mettre en application les résolutions internationales pertinentes, surtout la résolution 1680, qui appelle au tracé des frontières libano-syriennes. Il semble que cette question nécessite des mesures du Conseil de sécurité similaires à celles qui ont été imposées pour délimiter les frontières entre le Koweït et l’Irak.

B- Frontières maritimes:

Le Liban a appliqué les principes du droit international en traçant la frontière entre la zone économique exclusive syrienne et la sienne. Cependant le délégué de la Syrie au Conseil de sécurité a exprimé des réserves sur ce tracé. La solution réside dans une négociation entre les deux parties pour parvenir à une solution scientifique et juridique. Nous attendons des encouragements de l’ONU à cet égard.

C – Déplacés syriens et réfugiés palestiniens:

Selon la Sûreté générale libanaise, le nombre de déplacés syriens déplacés est d’environ deux millions. Le nombre de Syriens qui disposent de documents officiels est de 1.312.268, auxquels il faut ajouter un certain nombre déplacés qui résident sans documents légaux. Il faut également y ajouter le nombre de Palestiniens enregistrés officiellement au Liban, qui, selon l’UNRWA, est estimé à 449.957. Il convient de signaler qu’un grand nombre de migrants – Syriens et Palestiniens – continue d’affluer à travers les points de passages frontaliers illégaux. Entre 2011 et 2017, il y a eu 260 000 naissances, et des dizaines de milliers de naissances de déplacés syriens n’ont pas été légalement enregistrées. Depuis 2014, la présence de 520 000 enfants de déplacés a été signalée, et il existe actuellement 2 500 camps aléatoires pour les déplacés. Il existe des craintes que des groupes terroristes s’infiltrent dans ces camps.

Monsieur le Secrétaire Général,

Le 19 septembre 2016, votre prédécesseur, Ban Ki-moon, a publié un rapport intitulé “Sûreté et dignité : gérer les déplacements massifs”, dans lequel il appelle les pays d’accueil à intégrer les réfugiés (paragraphes 38 et 64), suivre les politiques nationales d’intégration de ces derniers, faire paraître les documents relatifs à leur enregistrement (paragraphe 73), élargir leur accès à un travail légal (paragraphe 81) et leur donner un statut légal leur offrant la possibilité de devenir citoyens par voie de naturalisation (paragraphe 86). L’ambassadeur du Royaume-Uni à Beyrouth a déclaré (4 août 2015) que “le danger d’implanter les déplacés syriens au Liban n’est pas une illusion”.
Il semble que ces déplacés aient coûté à l’économie libanaise plus de 25 milliards de dollars américains, selon les estimations de la Banque mondiale.
Face la gravité de ce qui se produit, nous appelons les Nations unies à :

a- Prendre note que le Liban, conformément à son pacte et sa Constitution, rejette l’implantation des réfugiés palestiniens et, partant, l’intégration ou l’implantation des déplacés syriens.
dans leur pays dans des conditions qui préservent leur sécurité et leur dignité.
b- Exiger des Nations unies le retour immédiat des déplacés syriens dans leur pays dans des circonstances préservant leur sécurité et leur dignité. Et, concernant les Palestiniens, l’application des résolutions internationales pertinentes.

III – Empêcher le génocide perpétré à l’encontre du peuple libanais et réclamer au secrétaire général de mettre en œuvre la convention relative à la prévention du génocide (ratifiée à l’ONU le 9 décembre 1948 et par le Liban en 1949).
Les banques libanaises se sont abstenues de verser leurs fonds aux déposants et plus de 40 milliards de dollars ont été détournés vers l’étranger depuis 2017. Les prix des produits de consommation ont augmenté entre 2019 et novembre 2021 de 1819 %, soit 418 fois. Les frais de transport ont augmenté de 1034 %, soit 10 fois. Et l’UNICEF a annoncé que 77% des familles libanaises n’avaient pas assez de fonds pour acheter leur nourriture au cours du mois de juillet 2021, et 75% des Libanais sont désormais sous le seuil de pauvreté. Les salaires ont perdu 93% de leur valeur d’achat. Il y a eu un effondrement des systèmes éducatif et hospitalier, les hôpitaux étant désormais dévolus aux plus nantis, et les médicaments et même le lait pour les enfants sont devenus des denrées rares. En 2021, plus de 200.000 Libanais, de hauts cadres professionnels et de jeunes, ont émigré. L’establishment politique au pouvoir expose le peuple libanais au génocide en le poussant à la famine.

La Convention pour la prévention du génocide dispose, dans son article 2, que le “génocide” s’entend comme tel:

“b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe.”

L’article 3 de la convention dispose que les actes suivants seront punis:

“c) L’incitation directe et publique à commettre le génocide; d) La tentative de génocide; e) La complicité dans le génocide.”

Dans son article 4, la convention ajoute que “les personnes ayant commis le génocide ou l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III seront punies, qu’elles soient des gouvernants, des fonctionnaires ou des particuliers”.

Monsieur le Secrétaire Général,

L’État libanais se désintègre en raison du comportement de ses responsables et de la tentative de certains d’entre eux d’entraver le rôle de la justice visant à faire la lumière dans le crime de l’explosion du port de Beyrouth. Les politiques de ces responsables conduiront inévitablement à la famine et l’émigration du peuple libanais.

Il y a ensuite le poids des déplacés syriens et des réfugiés palestiniens, ainsi que les pressions et ambitions régionales et internationales qui vont à l’encontre des lois, des conventions et traités internationaux et de la Charte des Nations unies. Tout cela pourrait conduire, Dieu nous en préserve, à la disparition de l’Etat libanais, comme l’a déclaré le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.

C’est pourquoi le peuple libanais vous appelle à mettre en application les résolutions internationales 1701, 1559, et 1680, ainsi que de tous les traités et conventions internationaux pertinents, notamment la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Dans ce contexte, nous rappelons la Déclaration de Baabda de 2012, qui a été approuvée par le Conseil de sécurité, et qui constitue une porte d’entrée à la solution pour le Liban. Nous souhaitons également que l’ONU surveille directement et de manière efficace les élections législatives qui auront lieu à la mi-2022.`

Le peuple libanais compte sur l’aide de tous les peuples et pays amis, et sur votre aide pour que l’Etat libanais demeure un facteur de renaissance, de développement et de bien-être pour l’ensemble du Machrek arabe. Il compte également sur une action rapide de votre part afin de préserver l’indépendance, la souveraineté, l’unité de l’Etat libanais et sa suprématie sur toutes ses ressources terrestres et maritimes jusqu’à la ligne 29 au Liban-Sud, ainsi que sur votre aide pour empêcher toute irruption de violence ou de chaos dans notre société.

Nous attendons de vous, et insistons auprès de vous, Monsieur le Secrétaire général, pour que vous preniez l’initiative de mettre en applications les sanctions contre tous ceux qui entravent la mise en œuvre des résolutions et accords internationaux à l’intérieur ou à l’extérieur du Liban. "

Ici Beyrouth