Les patriarches et évêques qui ont participé au sommet spirituel des Églises chrétiennes, mercredi après-midi à Bkerké, incitent le patriarche maronite Béchara Raï à réunir les députés chrétiens au patriarcat pour débloquer la présidentielle.

À l’issue d’une réunion qui a duré deux heures et demie, les prélats ont appelé dans un communiqué les parlementaires à accélérer le processus d’élection d’un président de la République, "leur devoir national". La réunion de députés chrétiens souhaitée permettrait selon eux de lancer une initiative avec leurs collègues musulmans qui paverait la voie à l’élection d’un chef de l’État.

Cet appel à une rencontre parlementaire chrétienne survient alors que le tandem Hezbollah-Amal tente de rassembler 65 voix à son candidat officieux, le chef des Marada, Sleiman Frangié. Ce dernier a été reçu la semaine dernière par Mgr Raï, ainsi que par le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil.

Tiédeur des FL et des Kataëb, Gebran Bassil enthousiaste

Dans les milieux de Meerab et de Saifi, on ne cache pas qu’on n’est pas emballé par cette proposition. "Est-ce que ce débat est uniquement chrétien? Si c’est le cas, pourquoi le président est élu au Parlement composé de chrétiens et de musulmans?" s’interroge-t-on ainsi au sein du bureau politique du parti Kataëb. Dans les mêmes milieux, on ajoute: "Puisque l’élection du président est un choix national, c’est une décision qui doit être prise par tous les parlementaires, au sein du Parlement, et non pas uniquement entre chrétiens, pour ne pas répéter l’erreur de 2014, lorsqu’on avait décidé à Bkerké de limiter les présidentiables."

Même son de cloche chez les Forces libanaises. "On considère que la fracture du pays est une fracture nationale entre deux projets politiques, celui de l’État face à celui de la moumanaa (NDLR, Hezbollah et ses alliés), et c’est un sujet à débat au niveau national, et non pas entre chrétiens", affirme-t-on dans les milieux FL. D’après les mêmes sources, c’est "la moumanaa, et notamment le Hezbollah, qui bloque la présidentielle". "Qu’apporte donc de plus un dialogue inter-chrétien tant que celui qui bloque est le Hezbollah, et que son allié stratégique Gebran Bassil ne peut pas avoir une influence sur lui?" ajoute-t-on dans les mêmes milieux.

Les deux partis chrétiens n’ont pas encore publiquement commenté l’appel des patriarches et attendront probablement qu’une invitation officielle leur soit envoyée pour décider.

Face au scepticisme des deux formations souverainistes, Gebran Bassil s’est empressé d’applaudir au communiqué des prélats, lui qui tentait encore mercredi dernier de convaincre  Mgr Raï de convoquer une réunion  " des pôles chrétiens " , c’est-à-dire lui-même, en plus de Sleiman Frangié, et des chefs des Forces libanaises, Samir Geagea, et des Kataëb, Samy Gemayel, pour des concertations qui devraient aboutir, sous la houlette de Bkerké, à une entente sur un successeur à Michel Aoun pour les six prochaines années.

Conseil des évêques maronites

Les travaux du sommet spirituel chrétien ont été précédés, en matinée, par la réunion mensuelle des évêques maronites qui ont fait part de leur inquiétude croissante quant à la situation au Liban, et ce, à différents niveaux. Les évêques ont dénoncé à cet égard le blocage par un grand nombre de parlementaires de la présidentielle. "Ces derniers doivent assumer la responsabilité de l’effondrement aggravé du pays en raison de leur réluctance à élire un président dans le respect de la Constitution", ont-ils affirmé, dans un communiqué.

Se penchant sur le dossier de la magistrature, les évêques ont mis en garde contre la confrontation inter-judiciaire qui menace le bon fonctionnement de la justice, mais aussi la possibilité de dévoiler la vérité concernant la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020. Faisant appel à "la conscience des responsables" et joignant leurs voix aux milliers de victimes et sinistrés, les évêques ont réclamé "la poursuite de l’enquête loin des tensions politiques", afin d’aboutir à l’acte d’accusation dans les plus brefs délais. "La justice est le fondement de l’État de droit et lorsqu’elle est absente, elle devient en proie au chaos et à la loi de la jungle et au service des personnes d’influence et des dictatures", lit-on dans le communiqué.

C’est également la grave manipulation du taux de change du dollar sur le marché parallèle, qui a entraîné des hausses délirantes des prix des matières premières et nécessaires, que le Conseil a voulu condamner, implorant les autorités concernées à remplir leurs fonctions et à trouver des solutions à ce problème.

Quant à la situation sécuritaire, les évêques ont déploré sa détérioration au vu de l’aggravation des violents faits divers récemment observés. Ils ont, dans ce cadre, rappelé aux autorités militaires et policières leur rôle dans la prise de mesures nécessaires afin de limiter ces dérives, spécialement lorsqu’elles revêtent un caractère confessionnel.

Regrettant également le déclin du secteur de l’éducation, qui se manifeste par la fermeture de certaines écoles, le Conseil a estimé que le pays ne peut plus supporter tant de difficultés, observées également dans les secteurs de la santé et de l’administration. "Les conséquences de la colère populaire vont assurément émerger si les pouvoirs publics continuent à ne pas mener leur mission au service du pays et de ses citoyens", a averti Mgr Antoine Awkar, qui lisait le communiqué.

Rappelant que l’Église maronite célèbrera le 9 du mois courant la fête de son saint patron, Saint Maron, aux côtés de l’ensemble des Libanais, le Conseil a clôturé sa déclaration en sollicitant "la grâce de Dieu afin qu’il apporte au Liban la sécurité, la prospérité et la paix, et à ses citoyens la patience et la ténacité pour faire face à tous les défis qu’ils rencontrent".