Les leaders chrétiens, à l’exception de Gebran Bassil, ont fait part à Bkerké de leur refus de participer à la réunion inter-chrétienne – qu’elle regroupe le cercle restreint des dirigeants ou la totalité des députés chrétiens – pour s’entendre sur la présidentielle. Ceux-ci ne souhaitent pas faire d’une échéance nationale une échéance chrétienne et faire porter à Bkerké et à la communauté chrétienne la responsabilité du blocage dû à l’absence d’accord, ce qui reviendrait à dédouaner, de ce fait, "l’axe de la résistance", plus particulièrement le Hezbollah.

L’évêque Antoine Bou Najem, chargé par le patriarche de sonder la position des dirigeants chrétiens concernant l’échéance – dans le cadre d’une mission baptisée "que devons-nous faire pour élire un président" – n’a pas manqué de cacher son mécontentement vis-à-vis des informations divulguées par les médias au sujet de sa mission, qu’il voulait garder secrète pour garantir sa réussite. Mgr Bou Najem a entamé sa tournée auprès des quatre principaux partis chrétiens (les Forces libanaises, le Courant patriotique libre, les Kataëb et le parti des Marada), avant d’étendre ses visites au bloc Moawad, au Parti national libéral (PNL), au Bloc national et aux indépendants.

La mission du prélat s’est limitée à quelques questions pour clarifier les différentes positions, sans pour autant mettre un nom en avant. Selon certaines sources, les positions prises seraient évidentes et n’auraient pas changé depuis le début de la mission. À l’origine, l’idée de ces concertations est venue à l’esprit du chef du CPL, Gebran Bassil, il y a deux ans et l’a communiquée au patriarche. L’initiative a été bien accueillie par Bkerké, le patriarche souhaitant qu’au sortir de la rencontre interchrétienne, une liste de noms soit proposée. À en croire des milieux proches des Forces libanaises, M. Bassil envisagerait de profiter de cette réunion pour se renflouer sur la scène politique, prouver qu’il n’est pas isolé politiquement et montrer que les leaders chrétiens peuvent s’accorder autour d’un même président. M. Bassil se servirait de cette carte pour contrer les actions du Hezbollah à son égard, soulignent les milieux du CPL.

Selon des sources proches des Kataëb, le chef du parti, Sami Gemayel, s’oppose à cette réunion interchrétienne qui, selon lui, transforme une échéance nationale en une échéance chrétienne. Il est important, selon lui, de ne pas placer Bkerké dans une position délicate. Les candidats à la présidentielle sont tous les enfants de l’église, et il serait déplacé de les opposer les uns aux autres. Quant au chef du parti des Marada, Sleiman Frangié – candidat du tandem chiite, comme l’a déclaré le député et conseiller politique du président de la Chambre Nabih Berry, Ali Hassan Khalil, précisant qu’il faudrait encore qu’il y ait consensus autour de cette candidature – il rejette l’idée de la réunion qui, selon lui, est pervertie par certains et instrumentalisée à des fins politiques. M. Frangié a informé le patriarche qu’il se présentera et ne se retirera pas, et que ceux qui participeront à la réunion ont fait savoir clairement leurs positions concernant sa candidature.

D’après des milieux proches de Bnachii (fief de M. Frangié), la réunion n’a pas lieu d’être, puisque le chef du parti Marada campe sur ses positions. En effet, M. Frangié a informé Mgr Bou Najem qu’il serait prêt à parrainer des réunions bipartites à Bkerké, et même à rencontrer Samir Geagea, Gebran Bassil et Sami Gemayel séparément. Cependant, il refuse toute réunion regroupant des chefs de partis ou des députés chrétiens. En ce qui concerne les Forces libanaises, le parti a exposé ses positions devant le patriarche Raï. M. Geagea refuse de rejeter la responsabilité du gel de la présidentielle sur les chrétiens et le patriarche, comme l’insinue "l’axe de la résistance". Les autres forces politiques chrétiennes relèvent de leur côté que Bkerké doit demeurer "l’instance des instances", comme le soulignait l’ancien député Mohsen Slim, de même que le patriarcat maronite doit être tenu à l’écart des tiraillements politiciens.

Il semblerait que le Mgr Bou Najem ait voulu être tenu au courant des positions en présence, celles des partis politiques ou des 64 députés chrétiens, à l’égard du projet de réunion interchrétienne, sachant que "Bkerké ne veut plus de tergiversations en ce qui concerne l’élection d’un président, objectif qui devrait à présent être l’unique priorité des forces politiques, loin de la négligence et du laisser-aller qui pousseront le peuple libanais à se complaire à l’idée  de la vacance présidentielle". Le représentant de Bkerké ajoute sur ce plan: "Le président est le chef de l’État. Un corps sans tête est un corps sans vie".

Selon les informations relatives à la mission de Mgr Bou Najem, tous les camps, malgré l’opposition de certains à la réunion, ont demandé que celle-ci soit, au cas où elle se tiendrait, productive et génératrice de résultats concrets et non pas un simple folklore. Pour les factions politiques en question, il est impératif de mettre les points sur les "i" et d’élaborer un ordre du jour clair, afin d’obtenir les résultats escomptés. Lors de leur entrevue avec Mgr Bou Najem, les Forces libanaises ont été claires: elles ne soutiendront pas Frangié, ce dernier étant l’allié de l’ancien président Michel Aoun et, par extension, du Hezbollah. Les Forces libanaises s’opposent à la candidature de Gebran Bassil et soutiennent le candidat souverainiste, Michel Moawad. M. Geagea a ensuite expliqué à Mgr Bou Najem que le patriarche Raï devrait amener M. Bassil à appuyer Michel Moawad, son allié lors des élections de 2018. Ce dernier bénéficie du soutien des Forces libanaises, des Kataëb, du PNL, des chrétiens indépendants, du Parti socialiste progressiste et de certains blocs sunnites.

En échange, l’évêque Bou Najem a demandé à M. Geagea de signer un accord de principe avec le CPL. Cependant, le leader des FL a refusé : "Nous ne nous ferons pas avoir deux fois ". Nous avons signé avec le CPL l’accord de réconciliation chrétienne, l’accord de Meerab, l’accord de Doha et la déclaration de Baabda. Tout le monde connait la suite… Le CPL a fait volte-face au profit du Hezbollah. Dans le cas du général Joseph Aoun, nous le soutiendrons volontiers. C’est l’ancien président Michel Aoun qui l’a nommé commandant en chef de l’armée, et il a fait preuve de force et d’indépendance".