À son arrivée à Beyrouth pour la 18ᵉ commémoration de l’assassinat de son père, l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, le leader sunnite, Saad Hariri, a reçu un appel téléphonique de l’ancien président Michel Aoun, puis la visite d’Alain Aoun, député CPL. Le premier l’aurait exhorté à retourner au Liban, soulignant que le pays a besoin de lui. Quant à Alain Aoun, il a indiqué que sa visite à la Maison du centre a revêtu un "caractère personnel", affirmant n’avoir transmis aucun message au leader du courant du Futur. Quelle est la véritable portée de ces deux démarches?

Des sources proches du courant aouniste relèvent sur ce plan que le chef du CPL, Gebrane Bassil, a tenu plusieurs réunions avec des cadres du parti en vue d’une évaluation de la situation à la lumière du départ de Michel Aoun de Baabda et de la tension apparue entre le CPL et le Hezbollah. Cette tension a abouti à un sérieux différend qui a amené les deux formations à s’entendre, en définitive, sur une trêve politique et médiatique, dans l’attente d’une conjoncture adéquate qui permettrait de redéfinir la nature de leurs rapports bilatéraux.

Les milieux aounistes soulignent à ce propos que le Hezbollah veut que le CPL se tienne à ses côtés pour faire élire le chef des Marada, Sleiman Frangié, à la présidence de la République, "de la même façon que le Hezbollah a fait élire Michel Aoun à la présidence, en 2016, après deux ans et demi de vacance présidentielle".

Les milieux précités précisent dans ce contexte qu’à la suite des réunions d’évaluation organisées par M. Bassil, il est apparu que le CPL doit réévaluer ses positions au vu des changements intervenus depuis 2019 et qui ont affecté négativement le parti au niveau de ses relations avec ses amis et ses alliés, dont le Hezbollah qui, selon Gebrane Bassil lui-même, instrumentalise le CPL au service de ses propres intérêts locaux et régionaux. Il en a résulté que le CPL est plus que jamais isolé, de même qu’il a perdu ses partenaires avec lesquels il avait mis sur pied le compromis présidentiel.

Lors des réunions d’évaluation, plusieurs propositions ont été avancées afin de sortir le CPL de son isolement et aboutir à un partenariat politique susceptible de renflouer le parti aouniste. Au terme des discussions, décision a été prise de relancer l’alliance avec Saad Hariri, en sa qualité de leader sunnite incontesté, surtout après l’échec des tentatives d’écarter la famille Hariri du leadership sunnite. Les foules qui ont accompagné Saad Hariri au caveau de son père montrent bien, en effet, que le leadership de la famille n’a pas été ébranlé.

Le consensus ayant amené le général Aoun à Baabda en 2016 a été évoqué par certains milieux aounistes qui se sont abstenus d’exposer les raisons pour lesquelles ce consensus est tombé à l’eau. Il reste que certains ont fait assumer la responsabilité de l’échec à M. Hariri et ses alliés, tandis que d’autres accusent principalement le CPL et son chef, surtout après que l’ancien président Aoun s’est rangé au côté de M. Bassil, abandonnant son allié Saad Hariri – le qualifiant même de menteur, d’après une vidéo parvenue aux médias à partir d’une source de Baabda. Force est de relever à ce propos qu’aucune enquête n’a été menée pour déterminer la source de cette fuite, de manière à dévoiler qui en est responsable et lui réclamer des comptes.

Il reste que le CPL a décidé, malgré tout, de tourner la page. Il était donc impératif que le parti aouniste élabore un plan d’action et en informe le général Aoun. Les milieux aounistes affirment à cet égard que M. Hariri est "le partenaire idéal du projet réformiste proposé par le parti", d’autant que le leader du courant du Futur a partagé le pouvoir avec le CPL pendant trois ans avant de quitter le Liban en 2019.

Les réserves de Hariri 

Après son retour à Beyrouth pour la commémoration de l’assassinat de son père, M. Hariri a donc reçu un appel du général Aoun qui lui a présenté ses condoléances, l’exhortant à revenir au Liban pour combler le vide qu’il a laissé sur le double plan national et de la rue sunnite. Il l’a invité à relancer la collaboration avec le CPL "pour que l’on puisse sauver ensemble le pays". Surpris, M. Hariri a remercié son interlocuteur et a répondu: “On verra”.

Après la cérémonie organisée autour du caveau de Rafic Hariri – cérémonie à laquelle a assisté une foule de sympathisants venus de tous les coins du pays – le député Alain Aoun s’est rendu à la Maison du Centre. La réunion avec Saad Hariri a duré une demi-heure. Selon des sources dignes de foi, Alain Aoun aurait transmis à M. Hariri un message de l’ancien président Aoun, l’exhortant à retourner au Liban "car le pays a besoin de vous". Alain Aoun aurait également transmis à M. Hariri un message de M. Bassil, dont il ressort que celui-ci est "prêt à tourner la page du passé, avec tous ses aspects négatifs, et à ouvrir une nouvelle page" dans les relations entre les deux formations, de manière à retourner au "climat du compromis présidentiel" de 2016.

Les sources susmentionnées rapportent que l’ancien Premier ministre a écouté attentivement le député de Baabda jusqu’à la fin avant de répondre qu’il a suspendu, ainsi que le courant du Futur, son action politique, précisant que rien n’a changé à cet égard et que sa position demeure donc la même, d’autant que l’élection présidentielle n’a toujours pas eu lieu. Quant à la proposition de "tourner la page du passé et d’ouvrir une nouvelle page avec le CPL", M. Hariri aurait souligné qu’il est "encore trop tôt" de s’engager sur cette voie.

Les conditions d’une nouvelle alliance

En tout état de cause, les milieux proches de la Maison du centre indiquent que Saad Hariri aurait souligné à l’adresse du député de Baabda que pour que la page soit tournée, certaines conditions devraient être remplies, dont notamment l’émergence d’un nouveau directoire politique au sein du CPL. Le leader du courant du Futur aurait même lancé au député de Baabda: "Pourquoi ne feriez-vous pas partie du nouveau directoire"? Les milieux de la Maison du centre précisent que M. Hariri a rappelé la tournure prise par son alliance avec le CPL, mettant en évidence le comportement de M. Bassil, plus précisément les atteintes personnelles à son égard, ainsi que les campagnes politiques menées contre lui et son défunt père. Pour le leader sunnite, le chef du CPL a entraîné le pays dans les méandres de l’enfer et de ce fait il est difficile d’œuvrer main dans la main avec lui.

M. Hariri aurait rappelé à Alain Aoun, selon les milieux susmentionnés, certaines "étapes douloureuses" de ses rapports avec M. Bassil "qui a oublié ma position lors des élections de 2014, lorsque j’ai demandé à mes partisans au Liban-Nord de voter pour mon ami Gebrane Bassil contre la liste de mes alliés". "Mais Gebrane Bassil n’a pas tardé à porter un coup à cette relation et n’a rien fait pour la préserver et la consolider, a relevé M. Hariri, selon les milieux de la Maison du centre. Au contraire, il a entrepris de la saper par tous les moyens, faisant fi de toute éthique politique dans ses prises de position".

Des médiateurs

Il reste que les sources aounistes affirment que la volonté du CPL de relancer ses relations avec M. Hariri "est sérieuse et a été prise après des concertations avec le président Aoun, l’objectif étant de faire face à la crise et de permettre, avec M. Hariri, de former une force parlementaire et politique de poids qui pourrait par la suite s’élargir à d’autres factions".

Mais à en croire les milieux de la Maison du centre, l’ancien Premier ministre "estime qu’une telle démarche est prématurée car il n’effectuera pas un retour sur la scène politique avant de normaliser ses relations avec l’Arabie saoudite, car il n’est pas disposé à faire un quelconque pas qui serait susceptible d’approfondir le différend avec le royaume saoudien". "Celui qui a ébranlé ma relation avec l’Arabie Saoudite devrait œuvrer à l’assainir avant de discuter d’une alliance", aurait souligné M. Hariri.

Il n’en demeure pas moins que les efforts déployés par le CPL en vue de rétablir les ponts avec M. Hariri se poursuivent à travers des personnalités qui se réunissent avec le chef du Futur loin des feux de la rampe. Certaines de ces personnalités exhortent dans ce cadre M. Hariri à retourner au Liban pour faciliter l’élection présidentielle à travers un rétablissement de la présence politique sunnite.

En dépit de ces démarches, les observateurs notent que Gebrane Bassil ne s’est toujours pas réuni avec M. Hariri et n’a établi aucun contact direct avec lui, se contentant de lui transmettre des messages par le truchement de médiateurs et de conseillers. Mais M. Hariri, à en croire les milieux de la Maison du centre, reste ferme sur sa position concernant la nécessité de traiter avec un nouveau directoire au sein du CPL. Il a souligné à ce sujet à certains médiateurs que M. Bassil n’a jamais pris la peine de se réserver une porte de sortie dans ses rapports avec le courant du Futur lorsqu’il menait une campagne assidue contre les acquis politiques et économiques de Rafic Hariri et lorsqu’il a saboté le compromis présidentiel de 2016 en faisant assumer au "haririsme politique" la responsabilité de la crise et de l’effondrement actuel qui ébranle pays.