Un débat à caractère existentiel bat son plein depuis quelque temps sur la scène locale, portant sur la nature du système politique. Il a pour point de départ une constatation objective qui s’impose de plus en plus: un nombre croissant de chrétiens revendiquent le fédéralisme, tandis que les chiites, eux,  l’appliquent dans la réalité quotidienne. La radicalisation du discours politique, qui prend parfois une tournure sectaire, ainsi que les situations de fait accompli imposées par certaines factions, constituent un obstacle à toute tentative de réforme, réduisant la vie politique à un cercle vicieux traversé çà et là de discrimination entre citoyens.

En réalité, le système fédéral, en théorie comme en pratique, est incompatible avec la structure confessionnelle du pays, contrairement aux allégations de certains. Pareil projet donnera le coup de grâce à la diversité typique du "Liban message", tel que l’a décrit feu le pape Jean-Paul II.

Dans ce contexte, il serait judicieux de rappeler deux textes de référence que sont l’Exhortation apostolique, élaboré sous l’égide du pape Jean-Paul II, qui souligne l’importance majeure de ce petit pays, et les recommandations politiques de feu l’Imam Mohammad Mehdi Chamseddine adressées à sa communauté chiite. Comparer ces deux textes revêt une importance particulière, étant donné que ces deux communautés font partie intégrante du tissu social libanais.

L’Exhortation apostolique comporte l’extrait suivant: "Cette mosaïque nécessite de sérieux et assidus efforts pour préserver l’unité, dans le respect de la richesse de chaque groupe confessionnel (…)". Quant à l’Imam Chamseddine, il souligne ce qui suit: "Je recommande à mes enfants et à mes frères chiites dans toute patrie et dans toute société de s’intégrer dans leurs sociétés et leurs patries, et parmi leurs peuples, de ne se différencier nullement et de ne pas s’arroger des desseins différents de ceux des autres".

L’existence de ces deux textes fondateurs faisant référence à deux communautés aux principes et doctrines complètement divergents semblerait anodine. Or il y est question, dans les deux cas, d’intégration dans les sociétés d’accueil et d’éloignement de toute tentative de rupture avec le milieu patriotique fédérateur, pour éviter toute forme de partition.

Les propositions de fédéralisme qui séduisent bon nombre de jeunes – dont la jeunesse chrétienne et d’autres groupes – ne représentent en réalité qu’une fuite en avant, un évitement qui permet de passer à côté des vrais problèmes politiques et d’opter pour d’autres alternatives, plutôt que de relever les défis, en toute rationalité, et en respectant l’accord de Taëf au lieu de vouloir le remplacer par d’autres choix destructeurs.

Pour les chrétiens, préserver l’accord de Taëf est lié aux autres alternatives possibles au cas où celui-ci est abrogé, et ce, selon l’équilibre actuel des forces dans la région.

Il est probable que les répercussions de l’accord irano-saoudien parrainé par la Chine ne soient pas encore clairement discernables. Il n’en demeure pas moins que l’accord en question a changé la donne dans toute la région et a placé plusieurs forces locales devant un tournant inattendu. Preuve en est, le Hezbollah n’était pas au courant de la nouvelle entente, en dépit de ses rapports privilégiés avec Téhéran dont il se targue d’être l’émanation et d’en appliquer l’agenda, lequel, selon la déclaration de Pékin, fera l’objet de profonds changements.

Cependant, une certitude demeure inchangée: il est plus que jamais nécessaire de se conformer à l’accord de Taëf, sinon c’est le plongeon dans l’inconnu, ou bien l’importation d’un nouvel accord aux dimensions politiques nouvelles, où les chrétiens auraient une part moindre et beaucoup à perdre. Il en est de même pour le Liban tout entier.

Accrochons-nous donc à l’accord de Taëf et appliquons-en ce qui n’a pas été appliqué, notamment sur le plan des réformes politiques tant attendues.