Les Libanais vont inaugurer 2022 avec deux allocutions, celle du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et celle du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil.

La concomitance de ces deux discours démontre que M. Bassil a aboli toutes les marges et tous les partenariats avec le reste des composantes de l’establishment, se posant ainsi en unique interlocuteur sur l’échiquier politique afin de réclamer au Hezbollah ce qu’il veut pour la prochaine étape.
C’est en tout cas ce que les derniers jours de cette année ont dévoilé. Les prises de position en série des milieux proches de Gebran Bassil et Hassan Nasrallah en sont la parfaite illustration et pavent la voie aux deux allocutions.

Dans son discours à la nation, le président de la République, Michel Aoun, a proposé une quasi feuille de route, laissant entendre qu’il organisera un dialogue autour de la stratégie de défense et de la décentralisation administrative et financière. Non pas dans l’optique de mettre en oeuvre l’une ou l’autre, mais plutôt d’agiter certaines cartes de pression, qui seront certainement abandonnées une fois les discussions sérieuses initiées avec le Hezbollah sur les perspectives de la prochaine étape, pour mûrir les compromis à la veille des législatives puis de la présidentielle.

Le président de la Chambre, Nabih Berry, n’a pas chômé non plus en prises de position, notamment pour obtenir la signature du chef de l’Etat sur le décret d’ouverture d’une session extraordinaire du Parlement afin de garantir l’immunité des députés et anciens ministres Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, et les protéger des poursuites initiées à leur encontre par le magistrat Tarek Bitar dans le cadre de l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020. La priorité reste ainsi de garantir le quorum lors de la séance visant à séparer le procès des présidents et des ministres de l’enquête judiciaire.

Le président Mikati, quant à lui, s’est empressé de se réserver une place à la tribune pour répondre à Michel Aoun – et Gebran Bassil simultanément -, et envoyer des messages contradictoires afin de satisfaire à la fois les pays arabes et la communauté internationale, tout en s’attachant à arrondir les angles avec le Hezbollah, et au-delà avec l’axe iranien et toutes ses composantes. Son rôle est cependant resté secondaire.

Hassan Nasrallah et Gebran Bassil vont occuper à eux seuls le devant de la scène en tant que principaux protagonistes en 2022, avec un avantage pour le premier, sans pour autant nier son besoin vital de M. Bassil et de la couverture chrétienne qu’il lui procure pour continuer à confisquer la souveraineté du Liban.

Eux deux et personne d’autre. Les derniers jours de cette année ont montré que chacun des deux hommes était entouré de comparses politiques, qui étaient jusqu’à très récemment des acteurs majeurs. En revanche, les déclarations des autres protagonistes non alignés sur l’axe iranien se limitent à des positions qui ne feront aucune différence, positive ou négative, sur la scène politique.

La position du numéro deux du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem, illustre parfaitement cette réalité lorsqu’il affirme que " le parti ne s’intéresse guère à l’équation de la majorité et de la minorité dans la bataille électorale ", et a déclaré il y a deux jours que " ce ne sera pas un critère, nonobstant de qui est majoritaire ou minoritaire. "

Par la suite, il a rassuré qui devrait l’être, ou a déçu ceux qui se sont montrés un tantinet optimistes en raison de l’impasse actuelle au niveau de l’accord de Mar Mikhaël, en affirmant qu’ " il n’y avait pas de craintes à avoir au sujet de leur relation avec leur allié, et que tout finira par rentrer dans l’ordre”. “Nous pouvons parvenir à une entente tant sur la forme que sur le contenu, et ce loin des projecteurs. Soyez assurés que nous avons un cœur et un esprit qui nous permettent de transcender la crise et de passer à une étape de coopération et d’entente pour relever les défis ", a ajouté le secrétaire général adjoint du Hezbollah.

Ces propos ont de quoi apaiser les inquiétudes et les craintes de M. Bassil au sujet des résultats des législatives après l’abstention du Conseil constitutionnel de toute décision relative au recours en invalidation déposé par le bloc parlementaire du CPL contre certains amendements à la loi électorale adoptées en octobre par le Parlement.

La majorité et la minorité, tout autant que les résultats des urnes, ne détermineront guère le sort de M. Bassil, pour la simple raison que cette équation n’a jamais déterminé le sort du Liban par le passé. Et cela n’a pas seulement été le cas pour les forces politiques qui avaient remporté les élections avant que les résultats ne soient annulés dans la pratique, que ce soit par le biais du 7 mai 2008, qualifié de “jour glorieux” par Hassan Nasrallah, ou lors de la chute du premier gouvernement de Saad Hariri et la désignation sous la contrainte de Nagib Mikati comme successeur avec le concours des " blousons noirs ".

C’est à croire que Hassan Nasrallah, par le truchement de ses collaborateurs et leurs déclarations, voudrait que Gebran Bassil et ses collaborateurs, qui remettent en cause ouvertement l’accord de Mar Mikhaël, prennent conscience, comprennent, et soient même convaincus, que le compromis et les accords sont à conclure ailleurs qu’au niveau d’une échéance électorale dont les résultats ne changeront rien à l’ordre du jour de l’agenda iranien et aux contours qu’il a tracés pour la scène libanaise.

Si l’étape requiert l’avènement de M. Bassil au palais de Baabda, il sera président, quels que soient les résultats des urnes. Sinon, rien n’y fera. L’accord de Doha, qui s’est conclu par l’élection de Michel Sleiman à la présidence de la République, demeure présent dans les esprits… y compris ceux de MM. Aoun et Bassil.

Le Hezbollah est préoccupé par ses batailles et ses échéances régionales, tandis que Gebran Bassil s’improvise en pyromane et s’attend à ce que Hassan Nasrallah joue aux pompiers après lui.

Le secrétaire général du Hezbollah connaît très bien les objectifs et la tactique du chef du CPL visant à mener sa stratégie à bon port. Sauf que les calculs de l’un ne coïncident pas forcément avec ceux de l’autre… du moins pour ce qui est de la prochaine étape.

La région est en ébullition et les compromis sont pris dans un goulet d’étranglement. Alors soit ça passe, soit ça casse. Chacun des deux cas de figure suppose certaines mesures spécifiques, qui dépendront de la nature des circonstances qui les accompagnent.

Pour sa première allocution de 2022, Hassan Nasrallah, face aux défis régionaux qui pointent à l’horizon, devrait ainsi prendre des positions incendiaires face aux accusations de Riyad à l’encontre du Hezbollah de menacer sa sécurité et celle de la région. L’objectif étant d’appeler Gebran Bassil à la sagesse, au calme et à la prudence s’agissant du dossier interne libanais… dans la mesure où ce dernier n’est nullement une source d’inquiétude pour le parti chiite, puisqu’il est parfaitement sous contrôle… et ne mérite pas qu’on s’y attarde davantage.