La marque des Phéniciens sur le paysage était profonde puisqu’ils ont introduit la culture de la vigne et de l’olivier, développant toute une industrie révélée par les nombreux pressoirs taillés dans le roc vif partout en Phénicie et dans ses fondations. Ils passaient aussi pour des maîtres en architecture. La Bible des Hébreux nous apprend qu’au Xe siècle av. J.-C., le roi Hiram, ami du roi David, envoyait des architectes et des artisans de Tyr et de Byblos pour la construction du temple de Jérusalem.

Temple de Jérusalem montrant les colonnes Yakin et Boaz. Gravure du XVIᵉ siècle par François Vatable. ©Wikimedia

L’expansion commerciale de Tyr remonte au Xᵉ siècle av. J.-C., faisant des Phéniciens les précurseurs dans le modèle des relations pan-méditerranéennes. Par endroits, leur implantation a connu une durée considérable, comme dans la péninsule ibérique où elle s’est étendue de 950 à 200 av. J.-C., soit sept siècles de présence attestée. Cyprian Broodbank souligne le lien entre le concept de mondialisation et les Phéniciens, notant que, dès le début du premier millénaire av. J.-C., ces derniers avaient dessiné la perspective pan-méditerranéenne en sillonnant les mers entre les côtes du Liban et les Colonnes d’Hercule.

L’organisation du territoire

Contrairement aux idées préconçues, la présence phénicienne ne se limitait nullement aux ports. Son influence était profonde sur le territoire. Cette trace se traduisait par l’architecture, dont les temples et leur aire sacrée dite téménos. Elle apparaissait aussi dans le paysage par le développement de l’agriculture et l’introduction de certaines architectures ou industries mégalithiques, voire monolithiques, taillées à même le roc vif. Tout évoque le pays d’origine.

L’architecture funéraire montre deux traditions phéniciennes, celle des stèles, notamment des obélisques, et celle des caveaux monumentaux, ou hypogées, et des sarcophages mégalithiques creusés parfois à même le sol rocheux, comme le montrent encore plusieurs sites dispersés dans les forêts et les montagnes libanaises.

L’implantation des cités à Malaga rappelle aussi celles du Liban, établies sur les embouchures des rivières. La Sardaigne offre un exemple de l’empreinte phénicienne sur le paysage de l’arrière-pays, loin d’être limitée aux ports et au commerce maritime comme le laissent croire certains clichés.

La marque des Phéniciens sur le paysage était profonde, puisqu’ils ont introduit la culture de la vigne et de l’olivier, développant toute une industrie. Elle est révélée par les nombreux pressoirs taillés dans le roc, comme à Beyrouth, Anfé, Zaarour et partout en Phénicie et dans ses fondations. Les recherches sur l’ADN ont démontré l’origine levantine de ces plantes dans plusieurs régions de Malte, d’Ibérie et d’Italie. Carolina Lopez-Ruiz cite surtout le traité de l’agriculture du carthaginois Magon (vers le IIIᵉ-IIᵉ siècle av. J.-C.), traduit par les Romains et utilisé comme référence des siècles durant.

Le septième pilier de la sagesse maison vernaculaire de Aqoura. ©Amine Jules Iskandar

Architecture domestique

Les Phéniciens passaient aussi pour des maîtres en architecture. La Bible des Hébreux nous apprend qu’au Xᵉ siècle av. J.-C., le roi Hiram de Tyr, ami du roi David, n’envoyait pas simplement le bois de cèdre à Salomon, mais aussi des charpentiers et des maîtres maçons venus de Tyr et de Byblos avec des architectes et des artisans pour la construction du Beit ha-Miqdach, le temple de Jérusalem. Ces grands constructeurs de navires rapides, tels que les birèmes et les quinquérèmes injustement attribuées aux Grecs, possédaient les meilleures techniques pour les charpentes.

L’architecture phénicienne de ce Xᵉ siècle était caractérisée par une certaine monumentalisation de l’habitat et par l’emploi de colonnes dans les lieux de culte. Les exemples les plus connus sont le type du "temple aux piliers" et la "maison aux sept piliers". Pour Camille Aboussouan, cette dernière est fort intéressante puisqu’elle survivra jusque dans la maison vernaculaire de la montagne libanaise. C’est en 1936 que Maurice Dunand avait découvert, à Byblos, les traces de cette architecture qui constituait la plus ancienne habitation connue jusqu’alors. Là aussi, la Bible nous sert de référence puisque nous lisons dans le Livre de la Sagesse (chapitre 9, verset 1): "La Sagesse a bâti sa maison; elle a taillé ses sept colonnes."

Les six piliers périphériques étaient, avec le temps, intégrés aux murs, ne laissant subsister que le pilier central, positionné aux deux tiers de la longueur de la poutre principale. C’est ce septième pilier, connu comme pilier de la sagesse, que nous retrouvons encore dans la maison vernaculaire.

À gauche une monnaie frappée sous Macrin montrant un temple phénicien à pyramide. (Mission de Phénicie Calmann Lévy Paris 1864). À droite la pyramide de Hermel (Revue "Phenicia" n°7 Beyrouth octobre 1938)

Architecture sacrée

Quant au "Temple aux piliers", il est attesté en Phénicie-même à Byblos, en Sicile à Motyé (Motya), sur l’île de Chypre à Kition (l’actuelle Larnaca), et dans le Miqdach Chlomo (le temple de Salomon à Jérusalem) où les deux plus célèbres piliers dressés à l’entrée étaient baptisés Yakin (placer) et Boaz (la force en lui). L’architecte Hiram, envoyé par le roi Hiram Ier de Tyr, "dressa les colonnes dans le portique du temple; il dressa la colonne de droite, et la nomma Jakin; puis il dressa la colonne de gauche, et la nomma Boaz." (1 Rois 7,21).

Le temple phénicien se caractérise donc par son entrée à deux colonnes éoliennes. Mais il y a aussi les bassins, le puits, l’autel, les obélisques, les bétyles et un ensemble de sanctuaires-tabernacles dont nous retrouvons encore vivante la tradition dans le Liban chrétien sous le nom de mazar.

Au cœur de cette architecture sacrée, se situe le Qodech ha qodchim (le saint des saints). Il s’agit de l’adyton qui est la partie réservée aux prêtres. Il est connu sous le nom de cella chez les Romains, et de naos chez les Grecs. Avant leur reconstruction à l’époque romaine dans un style classique à colonnes, les temples-adytons étaient coiffés d’une pyramide à la manière de l’exemple plus tardif de Hermel.

Non moins important est l’espace extérieur appelé téménos. C’est une aire sacrée protégée par une enceinte, dite péribole, qui accueille l’essentiel du processus cérémonial. En son centre, le tophet où se déroule le rituel des sacrifices. L’adyton se trouve dans cette aire sacrée.

Nous constatons dans ces temples l’emploi de coquillages dans le pavement, comme symboles d’Astarté. Il arrive d’y rencontrer deux autels, l’un pour Baal et l’autre pour Astarté, comme c’est le cas à El Carambolo dans la province de Séville. Cette coutume a aussi survécu au Liban avec les églises à double nef, deux absides et deux autels dédiés chacun à un saint.

Le plan à antes (in antes), emblématique de cette architecture, est révélé par les deux colonnes qui encadrent l’entrée et qui sont cachées sur les façades latérales par la protubérance des murs. Il se différencie du temple périptère ou même prostyle, car ses colonnes ne sont visibles que d’une seule direction. Nous retrouvons cette forme dans les petits temples du Mont-Liban et de la Beqaa reconstruits à l’époque romaine.

Cette tradition était surtout caractéristique des petits sanctuaires-tabernacles et s’était répandue aux stèles où les personnages, rois et divinités, étaient encadrés de deux colonnes. Cette coutume traversera les siècles pour se retrouver encore dans l’art chrétien, comme le montrent les manuscrits syriaques tels que le Codex Rabulensis et les fresques médiévales du Liban. Le modèle à antes (oikos) aurait influencé les Grecs au VIIᵉ siècle, avant qu’au Vᵉ siècle, l’architecture phénicienne ne commence à son tour à s’helléniser.