Le Parlement a tranché: les élections municipales prévues à partir du 7 mai prochain seront reportées, pour une durée qui n’a pas encore été fixée. Les groupes parlementaires de tous bords ont été presque unanimes à désigner un coupable, à qui ils ont imputé la responsabilité de cet ajournement: le gouvernement. Seuls, certains députés de la contestation se sont démarqués de leurs collègues, en critiquant l’ensemble de la classe politique.
Tel est le résultat de la réunion mercredi des commissions parlementaires conjointes, qui ont en fait confirmé ce qui se disait officieusement dans les milieux politiques.

Les députés qui ont participé à la séance ont dénoncé l’absence des ministres sortants concernés: celui des Finances Youssef Khalil, mais surtout celui de l’Intérieur Bassam Maoulaoui, censé apporter des réponses aux nombreuses questions des parlementaires sur la capacité actuelle des autorités, notamment financière et logistique, à organiser ce scrutin.

M. Maoulaoui avait convoqué il y a une dizaine de jours les collèges électoraux pour le scrutin municipal, puis avait fixé les délais et modalités des candidatures. Il avait demandé que le financement, estimé à près de neuf millions de dollars, soit assuré.

Il n’a cependant pas assisté à la réunion des commissions mercredi, mais à une réunion ministérielle au Grand Sérail, annoncée la veille. Le ministre s’est fait représenter Place de l’Étoile par la directrice des affaires politiques au ministère, Faten Younès, qui selon des sources parlementaires a souligné que son département manquait de fonds et de fonctionnaires.

L’absence de M. Maoulaoui a été considérée par le vice-président du Parlement Élias Bou Saab, sous l’égide duquel la réunion a eu lieu, comme un " indicateur négatif quant à la possibilité d’organiser le scrutin ". D’autres députés des Forces libanaises, du CPL et du Hezbollah ont également fait assumer au gouvernement la responsabilité de l’ajournement.

En fait, l’absence de M. Maoulaoui et l’annonce du report qui l’a suivie, semblent avoir été planifiés afin de tourner, pour le moment, la page d’un scrutin envers lequel plusieurs partis politiques n’étaient pas enthousiastes dans les circonstances actuelles.

L’argument utilisé pour justifier le report, qui est celui des difficultés financières et logistiques, est défendable, surtout en pleine crise économique et sociale. Plusieurs députés l’ont d’ailleurs avancé mercredi dans des conférences de presse ou dans des déclarations à Ici Beyrouth. Il est intéressant de noter que les parlementaires ont tous constaté l’absence de candidats pour la premier tour des élections, prévues le 7 mai au Liban-Nord et au Akkar, notamment pour des raisons logistiques.

Mais, comme le font remarquer certains observateurs, M. Maoulaoui, principal concerné, avait bien dit que ces obstacles pouvaient être résolus si le financement était assuré. Ce qui laisse à penser que le report est également dû à des raisons politiques.

On rappelle que certains partis insistaient sur l’organisation de ces élections dans les délais. Il s’agit notamment des Forces libanaises, des Kataëb et du Parti socialiste progressiste, qui réclament le financement de cette échéance à travers les DTS (droits de tirage spéciaux, versés au Liban en 2021 par le Fonds monétaire international, sur base des quotes-parts qu’il attribue à ses 189 États membres). En revanche, d’autres partis, notamment le Hezbollah, le mouvement Amal et le CPL semblaient moins enthousiastes pour la tenue de ces élections.

Selon des sources parlementaires, Nabih Berry aurait exprimé sa " réticence " à cet égard au Premier ministre sortant Najib Mikati. Ce qui expliquerait le non-financement par le gouvernement du scrutin, alors même qu’il n’aurait pas été compliqué de retirer une petite somme des DTS, dans lesquels le cabinet avait largement puisé.

Séance parlementaire

Quoi qu’il en soit, la prorogation du mandat des moukhtars et conseils municipaux actuels nécessite une séance parlementaire et le vote d’une loi allant dans ce sens.

Élias Bou Saab, qui a indiqué à l’issue de la réunion que la tenue de ce scrutin est " quasi-impossible ", a présenté plus tard dans la journée une proposition de loi revêtue du caractère de double urgence prorogeant ces mandats de quatre mois. D’autres députés ont évoqué une période de six mois, voire d’un an ou même de deux.

Le président du Parlement Nabih Berry a convoqué le bureau de la Chambre à une réunion qui se tiendra jeudi à 14h30, à Aïn el-Tiné. Celle-ci devrait porter sur l’ordre du jour de la séance législative.

Même si les blocs qui refusent de légiférer avant l’élection d’un président de la République, notamment les Forces libanaises, les Kataëb et le Renouveau, ne participent pas à la séance, le quorum devrait être assuré par les groupes parlementaires du 8 Mars, ainsi que par le Courant patriotique libre, qui a précisé qu’il refusait toute vacance au niveau des moukhtars et des conseils municipaux. Le CPL a d’ailleurs annoncé qu’il assistera à une telle séance.

Les dernières élections municipales et des moukhtars ont eu lieu en 2016. Leur mandat étant de six ans, un scrutin devait se tenir en mai 2022. Il a cependant été reporté d’un an, et le mandat prorogé jusqu’au 31 mai 2023, sous prétexte que ce scrutin coïncidait avec les élections législatives de mai 2022.

Si le report soulage plusieurs responsables et partis politiques, peut-être même parmi ceux qui réclamaient ce scrutin, aux yeux des citoyens, il s’agit d’un ajournement institutionnel de plus. Mais, alors que la prorogation des mandats des municipalités et des moukhtars évite aux Libanais un souci supplémentaire au niveau des formalités, la vacance présidentielle, elle, ne peut être résolue que par l’élection d’un nouveau chef de l’État…