Pour le général à la retraite Maroun Hitti, " se lamenter sur le sort de Kassem Soleimani sans verser la moindre larme pour les victimes du port de Beyrouth est indécent ".

Le secrétaire-général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a tiré à boulets rouges lundi soir sur les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, qu’il a accusé de tous les maux dans une intervention de plus d’une heure en hommage à la mémoire du général iranien Kassem Soleimani.

La prestation télévisée de Hassan Nasrallah à l’occasion de la deuxième commémoration de l’assassinat du commandant des brigades iraniennes d’el-Qods (Jérusalem), s’est caractérisée par la formule suivante, qui résume la teneur de son discours: ʺIl faut savoir distinguer entre l’ami et l’ennemi ; le tueur et le martyrˮ.

Les propos très dualistes du secrétaire général du Hezbollah ont suscité une vive réaction de l’ambassadeur du Royaume au Liban, Waleed al-Bukhari, sur les réseaux sociaux, qui a qualifié ce discours comme de ʺcerise sur le gâteau ˮ, en allusion aux tensions politiques et diplomatiques qui règnent depuis un moment entre le Liban et les pays du Golfe en raison des activités du Hezbollah dans la région.

Le bureau de presse du Premier ministre libanais, Nagib Mikati, s’est aussitôt empressé de publier un communiqué rejetant fermement les propos du leader du parti chiite à l’égard de Riyad. ʺ La position du secrétaire général du Hezbollah au sujet de l’Arabie saoudite ne représente pas le gouvernement libanais et la majorité des Libanais ˮ, note le communiqué.

Une approche stratégique et régionale

La surprise dans l’allocution de Hassan Nasrallah, a été son occultation, contre toute attente, du discours du chef du Courant patriotique libre (CPL), Gebran Bassil, prononcé la veille. ʺ Un non-dit qui en dit long ˮ, affirme à Ici Beyrouth Sélim el-Sayegh, vice-président du parti Kataëb. M. Sayegh attribue ce silence ʺau rôle d’arbitre adopté par Hassan Nasrallah vis-à-vis des querelles entre ses deux alliés, le mouvement Amal et le CPL ˮ.

Le secrétaire général du Hezbollah s’est par conséquent contenté de réitérer son soutien au CPL, de confirmer la validité de l’accord de Mar Mikhaël de 2006, et d’approuver l’appel au dialogue lancé par le président de la République Michel Aoun, quelques jours auparavant. Il a justifié son choix en précisant que le contexte de son allocution ne se prêtait pas aux sujets touchant aux affaires locales, qui seraient traités à une date ultérieure.

Cependant, selon le général à la retraite et l’analyste politique, Maroun Hitti, M. Nasrallah ne s’est pas attardé sur le dossier local ʺpour gagner du temps, dans le but de remettre de l’ordre dans son alliance branlante avec le CPL ; puisque jusqu’à l’heure actuelle, le duopole chiite Amal-Hezbollah n’a toujours pas réussi à renflouer le navire électoral orange qui ne cesse de sombrer ˮ.

Toutefois, Hassan Nasrallah a profité de la commémoration de l’assassinat de Kassem Soleimani, pour s’en prendre violemment aux Etats-Unis et à l’Arabie saoudite, responsables, selon lui, de tous les malheurs, désastres et crimes de guerre survenus dans la région, ainsi que de l’assassinat du commandant des brigades iraniennes.

Des propos qui suscitent l’ire du général Hitti. Ce dernier confie à Ici Beyrouth qu’il est ʺinconcevable pour un leader libanais de se lamenter sur le sort d’un commandant iranien, alors qu’il n’a même pas versé une larme lors de l’attentat survenu au port de Beyrouth, le 4 août 2020, qui a coûté la vie à 214 personnes et causé la destruction de la capitaleˮ.

Le discours du responsable du Hezbollah consistait en effet principalement à inculper les pays précités d’avoir " créé Daech " et d’avoir " procuré à ce dernier les moyens nécessaires pour commettre des crimes contre l’humanité en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen ". Le secrétaire général du Hezbollah s’est par la suite emporté et a déploré le fait que ces deux Etats soient considérés comme pays amis dans la région, contrairement à l’Iran.

Des propos qui suscitent l’indignation générale

Résumant l’allocution du Hezbollah par une boutade, l’analyste politique et opposant chiite au Hezbollah, Moustapha Fahs, a lancé sur son compte Facebook: ʺLes Etats-Unis vont s’effondrer lundi. Sinon, ce sera jeudi ", a-t-il écrit d’un ton sarcastique, en détournant le fameux slogan du spot publicitaire de la Libanaise des Jeux.

Ali el-Amine, analyste politique et opposant chiite au Hezbollah, a indiqué pour sa part à Ici Beyrouth que le discours du secrétaire général du parti chiite mettait en exergue ʺ une seule priorité : la résistance, car les affaires locales peuvent attendre ˮ. Et d’ajouter que ʺcette allocution virulente contre les Etats-Unis n’est basée que sur des paroles, vu que l’assassinat du général Soleimani par les Américains n’a toujours pas engendré de représailles concrètes ˮ.

Pour l’ancien député Farès Souhaid, ʺ le Hezbollah a de nouveau utilisé le Liban comme boîte postale pour envoyer des messages à l’Arabie saoudite ; alors que le Liban est un pays qui a des intérêts, une histoire, une raison d’être ". " Le réduire à ce statut pour le compte de l’Iran veut dire l’éliminer ˮ, souligne-t-il.

Même son de cloche du côté de l’ancien ministre de la Justice, Achraf Rifi,. " Nasrallah possède la nationalité libanaise, mais son allégeance va à l’Iran, pour qui il est prêt à condamner le Liban et les Libanaisʺ, a-t-il écrit sur son compte Twitter.

Le député des Forces libanaises (FL), Chawki Daccache, s’est aussi lâché sur Twitter, critiquant ouvertement le leader chiite : ʺHassan Nasrallah a prouvé ce soir que ses intérêts ne concordaient pas avec ceux du Liban. Il persiste à vouloir lutter contre les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, conformément aux instructions iraniennes, faisant fi des intérêts nationaux ˮ.

Le député démissionnaire Michel Moawad, lui, a réservé ses critiques au Premier ministre Nagib Mikati, qualifiant son communiqué de " langue de bois " qui ne servira pas à sortir le Liban de son isolement et à protéger les intérêts des Libanais au Liban et à l’étranger ". " Le problème est le fait que vous avez accepté de présider un gouvernement formé dans sa majorité du Hezbollah et de ses alliés au sein de la moumanaa, qui assure une couverture à sa politique, ce qui fait assumer à l’Etat la responsabilité des actions du mini-Etat, a ajouté M. Moawad sur son compte Twitter.