Pour Raphaël Lemkin, le génocide n’implique pas «nécessairement la destruction immédiate d’une nation» par des meurtres en masse, mais il peut «signifier un plan coordonné de différentes actions visant à la destruction de fondements essentiels de la vie de groupes nationaux», tels que «la désintégration des institutions politiques et sociales, de la culture, de la langue, des sentiments nationaux, de la religion et de la vie économique (…), ainsi que la suppression de la sécurité personnelle, de la liberté, de la santé, de la dignité, voire de la vie des personnes».
Entre le 17 octobre 2019 et le 4 août 2020, c’est un double cataclysme qui a mortellement déstabilisé le Liban. Une population dépossédée en 2019 de toutes ses économies, soumise à un effondrement économique sans précédent dans l’histoire, subi en 2020, une explosion dévastatrice au cœur de sa capitale, anéantissant la globalité de ses institutions. Au moment où ce peuple agonisant a le plus besoin de l’aide internationale, il se voit imposé un blocus sévère qui ne fait que renforcer l’emprise de l’occupant pro-iranien, alors que les milliards de dollars continuent d’affluer pour financer les velléités d’implantation de millions d’étrangers sur son sol.
Un appauvrissement imposé
En 1915-1918 aussi, des convois emportant tous les besoins vitaux des Libanais s’étaient dirigés vers la Syrie, laissant derrière eux une famine, des épidémies et des hécatombes. En 1915-1918 également, les Libanais avaient été spoliés de leurs économies en devises étrangères et ont vu leur monnaie locale dévaluée de 20 fois. En 1915-1918, leurs intellectuels ont été traînés, en outre, au tribunal militaire, jugés et injustement condamnés. En 1915-1918 aussi, la jeunesse libanaise et des familles entières représentant jusqu’à la moitié de la population du Mont-Liban, ont été contraintes à l’émigration, adjoignant un génocide blanc* à la mort qui les exterminait. Mais en 1915-1918, il n’y avait pas une population étrangère prête à investir les villages qui se vidaient. Et en 1915-1918, il n’y avait pas d’Organisation des Nations unies, ni de Convention sur le génocide, ni même la notion de génocide. Aujourd’hui, le monde qui se prétend libre et qui se dit civilisé, a-t-il le droit de détourner son attention?
L’ONU
En décembre 1946, l’assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies adoptait la résolution 96 qui stipule que le génocide «nie le droit à l’existence de groupes humains entiers». En décembre 1948, elle adoptait la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide qui définit clairement celui-ci comme «un crime du droit des gens, en contradiction avec l’esprit et les fins des Nations unies et que le monde civilisé condamne». Le problème est l’énorme marge d’incertitude que ce monde prétendument civilisé a fixé pour les critères définissant un génocide. Qu’en est-il alors lorsque les acteurs responsables sont extrêmement diversifiés sur une même scène, mettant en péril, pour différentes raisons, une même victime?
La notion de génocide avait été clairement définie dès 1944 par le juif polonais Raphaël Lemkin qui s’était longuement penché sur l’extermination des Arméniens et des assyro-chaldéo-syriaques durant la Première Guerre mondiale. Le chapitre IX de Axis Rule in Occupied Europe, donne une définition précise dans laquelle Lemkin révèle une diversité de modes d’application du génocide qui ne se fait pas nécessairement comme la conception de Hersch Lauterpacht, par le meurtre. Il s’agit par dessus tout de l’annihilation d’une «nation», dont la destruction peut être politique, religieuse, linguistique ou culturelle.
La densité et la répartition de la présence syrienne au Liban.
Le groupe national
Pour Ernest Renan, la nation est un groupe d’hommes partageant la même lecture du passé et les mêmes aspirations pour l’avenir. Pour exister en tant que nation, ce groupe n’a nullement besoin de se différentier de ses voisins, ni par la langue, ni par la religion, la géographie, l’ethnie ou la race. Il forme une nation par la simple volonté et le sentiment commun partagé. De même pour Raphaël Lemkin, l’entité menacée par un génocide consiste en un groupe qu’il définit comme «minorités nationales» ou comme «peuple». En d’autres termes, l’entité menacée peut être une nation à part entière, ou un groupe national qui se distingue par sa culture et par un sentiment nationaliste.
Raphaël Lemkin définit le génocide comme «la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique». Il précise que le génocide «vise le groupe national en tant qu’entité», il n’est dirigé contre des individus qu’en leur qualité de «membres du groupe national», précise-t-il. Pour lui, ceci n’implique pas «nécessairement la destruction immédiate d’une nation» à moins qu’il ne s’agisse de meurtres en masse, mais il peut «signifier un plan coordonné de différentes actions visant à la destruction de fondements essentiels de la vie de groupes nationaux».
Le cas du Liban
L’énumération par Lemkin de ces actions visant à supprimer les groupes nationaux rappelle cruellement le cas du Liban dans ses moindres détails. Il cite ainsi en 1944 «la désintégration des institutions politiques et sociales, de la culture, de la langue, des sentiments nationaux, de la religion et de la vie économique» de ces groupes, «ainsi que la suppression de la sécurité personnelle, de la liberté, de la santé, de la dignité, voire de la vie des personnes».
Ce n’est un mystère pour personne que les Libanais sont menacés dans leur sécurité personnelle, leur liberté, leur culture, leur santé et leur dignité. Les organismes internationaux, l’Union européenne, et les organisations non gouvernementales refusent tout soutien aux Libanais tandis que les aides affluent pour soutenir les supposés réfugiés syriens.
Parmi les groupes nationaux qui souffrent drastiquement dans leur ensemble, les chrétiens, plus particulièrement, connaissent un danger existentiel en tant que groupe. À toutes les épreuves qui les affligent, vient s’ajouter l’explosion du 4 août 2020, qui a anéanti leur capitale et leur banlieue, ainsi que la totalité de leurs grandes et moyennes institutions éducatives et hospitalières, à peine dix mois après la disparition de leurs dépôts bancaires. Ce double séisme a redéclenché l’hémorragie par l’émigration identique à celle de Kafno, le génocide-famine de 1915-1918.
Bouleversements démographiques résultant des guerres des naturalisations en masse et de la crise actuelle: les chrétiens de moins de 20 ans ne forment plus que 22% de la population libanaise (sans prendre en compte les Palestiniens et les Syriens qui se trouvent au Liban).
La communauté internationale
Nous sommes confrontés à une situation désormais inhumaine, où des restrictions drastiques imposées par le système bancaire mondial les étouffent pendant que le Hezbollah continue de jouir de ses réseaux et de ses divers trafics. Nous assistons aussi à un déferlement d’aides illimitées pour le maintien de plus de 2,5 millions de Syriens dans un pays 18 fois plus petit que la Syrie, et dont les deux millions de chrétiens se réduisent exponentiellement depuis le 4 août 2020.
Nous sommes confrontés à cet accueil occidental sans bornes, de tous les jeunes diplômés des universités du Liban. Nous sommes confrontés à ce refus d’aider les Syriens à se rétablir dans leurs villages d’origine, et d’assister les Libanais pour se maintenir dans les leurs. Nous sommes confrontés à cet empressement à intimider tout contestataire, en lui agitant l’épouvantail du racisme, de l’islamophobie et de la xénophobie comme obstacle à toute amorce de débat constructif.
*«Génocide blanc» n’est pas employé ici selon sa définition récente de «génocide contre les blancs», mais il signifie «génocide sans versement de sang», soit par émigration, soit par assimilation.
Entre le 17 octobre 2019 et le 4 août 2020, c’est un double cataclysme qui a mortellement déstabilisé le Liban. Une population dépossédée en 2019 de toutes ses économies, soumise à un effondrement économique sans précédent dans l’histoire, subi en 2020, une explosion dévastatrice au cœur de sa capitale, anéantissant la globalité de ses institutions. Au moment où ce peuple agonisant a le plus besoin de l’aide internationale, il se voit imposé un blocus sévère qui ne fait que renforcer l’emprise de l’occupant pro-iranien, alors que les milliards de dollars continuent d’affluer pour financer les velléités d’implantation de millions d’étrangers sur son sol.
Un appauvrissement imposé
En 1915-1918 aussi, des convois emportant tous les besoins vitaux des Libanais s’étaient dirigés vers la Syrie, laissant derrière eux une famine, des épidémies et des hécatombes. En 1915-1918 également, les Libanais avaient été spoliés de leurs économies en devises étrangères et ont vu leur monnaie locale dévaluée de 20 fois. En 1915-1918, leurs intellectuels ont été traînés, en outre, au tribunal militaire, jugés et injustement condamnés. En 1915-1918 aussi, la jeunesse libanaise et des familles entières représentant jusqu’à la moitié de la population du Mont-Liban, ont été contraintes à l’émigration, adjoignant un génocide blanc* à la mort qui les exterminait. Mais en 1915-1918, il n’y avait pas une population étrangère prête à investir les villages qui se vidaient. Et en 1915-1918, il n’y avait pas d’Organisation des Nations unies, ni de Convention sur le génocide, ni même la notion de génocide. Aujourd’hui, le monde qui se prétend libre et qui se dit civilisé, a-t-il le droit de détourner son attention?
L’ONU
En décembre 1946, l’assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies adoptait la résolution 96 qui stipule que le génocide «nie le droit à l’existence de groupes humains entiers». En décembre 1948, elle adoptait la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide qui définit clairement celui-ci comme «un crime du droit des gens, en contradiction avec l’esprit et les fins des Nations unies et que le monde civilisé condamne». Le problème est l’énorme marge d’incertitude que ce monde prétendument civilisé a fixé pour les critères définissant un génocide. Qu’en est-il alors lorsque les acteurs responsables sont extrêmement diversifiés sur une même scène, mettant en péril, pour différentes raisons, une même victime?
La notion de génocide avait été clairement définie dès 1944 par le juif polonais Raphaël Lemkin qui s’était longuement penché sur l’extermination des Arméniens et des assyro-chaldéo-syriaques durant la Première Guerre mondiale. Le chapitre IX de Axis Rule in Occupied Europe, donne une définition précise dans laquelle Lemkin révèle une diversité de modes d’application du génocide qui ne se fait pas nécessairement comme la conception de Hersch Lauterpacht, par le meurtre. Il s’agit par dessus tout de l’annihilation d’une «nation», dont la destruction peut être politique, religieuse, linguistique ou culturelle.
La densité et la répartition de la présence syrienne au Liban.
Le groupe national
Pour Ernest Renan, la nation est un groupe d’hommes partageant la même lecture du passé et les mêmes aspirations pour l’avenir. Pour exister en tant que nation, ce groupe n’a nullement besoin de se différentier de ses voisins, ni par la langue, ni par la religion, la géographie, l’ethnie ou la race. Il forme une nation par la simple volonté et le sentiment commun partagé. De même pour Raphaël Lemkin, l’entité menacée par un génocide consiste en un groupe qu’il définit comme «minorités nationales» ou comme «peuple». En d’autres termes, l’entité menacée peut être une nation à part entière, ou un groupe national qui se distingue par sa culture et par un sentiment nationaliste.
Raphaël Lemkin définit le génocide comme «la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique». Il précise que le génocide «vise le groupe national en tant qu’entité», il n’est dirigé contre des individus qu’en leur qualité de «membres du groupe national», précise-t-il. Pour lui, ceci n’implique pas «nécessairement la destruction immédiate d’une nation» à moins qu’il ne s’agisse de meurtres en masse, mais il peut «signifier un plan coordonné de différentes actions visant à la destruction de fondements essentiels de la vie de groupes nationaux».
Le cas du Liban
L’énumération par Lemkin de ces actions visant à supprimer les groupes nationaux rappelle cruellement le cas du Liban dans ses moindres détails. Il cite ainsi en 1944 «la désintégration des institutions politiques et sociales, de la culture, de la langue, des sentiments nationaux, de la religion et de la vie économique» de ces groupes, «ainsi que la suppression de la sécurité personnelle, de la liberté, de la santé, de la dignité, voire de la vie des personnes».
Ce n’est un mystère pour personne que les Libanais sont menacés dans leur sécurité personnelle, leur liberté, leur culture, leur santé et leur dignité. Les organismes internationaux, l’Union européenne, et les organisations non gouvernementales refusent tout soutien aux Libanais tandis que les aides affluent pour soutenir les supposés réfugiés syriens.
Parmi les groupes nationaux qui souffrent drastiquement dans leur ensemble, les chrétiens, plus particulièrement, connaissent un danger existentiel en tant que groupe. À toutes les épreuves qui les affligent, vient s’ajouter l’explosion du 4 août 2020, qui a anéanti leur capitale et leur banlieue, ainsi que la totalité de leurs grandes et moyennes institutions éducatives et hospitalières, à peine dix mois après la disparition de leurs dépôts bancaires. Ce double séisme a redéclenché l’hémorragie par l’émigration identique à celle de Kafno, le génocide-famine de 1915-1918.
Bouleversements démographiques résultant des guerres des naturalisations en masse et de la crise actuelle: les chrétiens de moins de 20 ans ne forment plus que 22% de la population libanaise (sans prendre en compte les Palestiniens et les Syriens qui se trouvent au Liban).
La communauté internationale
Nous sommes confrontés à une situation désormais inhumaine, où des restrictions drastiques imposées par le système bancaire mondial les étouffent pendant que le Hezbollah continue de jouir de ses réseaux et de ses divers trafics. Nous assistons aussi à un déferlement d’aides illimitées pour le maintien de plus de 2,5 millions de Syriens dans un pays 18 fois plus petit que la Syrie, et dont les deux millions de chrétiens se réduisent exponentiellement depuis le 4 août 2020.
Nous sommes confrontés à cet accueil occidental sans bornes, de tous les jeunes diplômés des universités du Liban. Nous sommes confrontés à ce refus d’aider les Syriens à se rétablir dans leurs villages d’origine, et d’assister les Libanais pour se maintenir dans les leurs. Nous sommes confrontés à cet empressement à intimider tout contestataire, en lui agitant l’épouvantail du racisme, de l’islamophobie et de la xénophobie comme obstacle à toute amorce de débat constructif.
*«Génocide blanc» n’est pas employé ici selon sa définition récente de «génocide contre les blancs», mais il signifie «génocide sans versement de sang», soit par émigration, soit par assimilation.
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