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Au cœur d’une impasse politique persistante, le Parlement libanais, dans un enchaînement déconcertant de déceptions, a une fois de plus échoué à élire un nouveau président, le 14 juin, marquant ainsi la douzième tentative infructueuse. Cependant, cette récente session parlementaire inédite a apporté un élément nouveau: un véritable duel entre les forces de l’opposition (auxquelles s’est rallié le Courant patriotique libre, CPL), et le tandem chiite (Amal – Hezbollah). La tension politique se cristallise ainsi autour de cette confrontation sans précédent, qui survient à l’aube d’une visite imminente de l’ex-ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, nouveau responsable du dossier libanais. Quel est le devenir de l’initiative française face aux récents développements internes et externes ?

Depuis la fin du mandat de Michel Aoun, marqué par les pires crises institutionnelle, financière et économique qu’ait connu le Liban, le poste de président de la République est resté vacant. Dans cette quête pour élire un président capable de réformer le pays et bénéficiant d’un soutien international, les forces de l’opposition ont tenté de s’unifier, mais avec des résultats mitigés.

Le premier candidat, Michel Moawad, souverainiste, n’a pas réussi à convaincre une majorité de députés. En l’absence d’une alternative crédible, la France a misé sur une approche pragmatique, soutenant Sleiman Frangié (candidat du tandem chiite) pour la présidence de la République, en échange de la nomination de Nawaf Salam (souverainiste) à la présidence du conseil.

Cependant, suite aux résultats du 14 juin dernier – Frangié a obtenu 51 voix et Jihad Azour (candidat de l’opposition) 59 voix – Paris a-t-il réalisé que l’option Frangié n’est plus viable et que l’émergence de la seconde option, celle de Jihad Azour, nécessite un repositionnement de la diplomatie française?

Selon Randa Takieddine, journaliste basée à Paris, "l’Élysée ne soutient aucun candidat en particulier (y compris Sleiman Frangié) mais prône un consensus pour l’élection d’un président". "Aujourd’hui, précise-t-elle, le pays est divisé et la dégénérescence du Liban continue. La mission de Le Drian sera quasi impossible sans une entente entre plusieurs puissances mêlées au dossier libanais ". Mme Takieddine souligne que "l’option Frangié était sur la table étant donné qu’il n’y avait pas une alternative claire et crédible. Maintenant qu’une autre option se dessine (celle de Jihad Azour), Paris est ouvert à toute entente qui verrait l’élection d’un nouveau président", d’autant que Frangié manque cruellement de soutien chrétien à sa candidature.

Avec la nomination de Jean-Yves Le Drian, une figure politique chevronnée, à la tête du dossier libanais, quelles seraient les intentions du président français? Face à la crise persistante qui paralyse le Liban, il est légitime de se demander quel rôle est envisagé pour Le Drian. Son profil, marqué par ses convictions à penchant souverainiste, son opposition au système politique en place et son positionnement clair contre le Hezbollah, laissent-ils entrevoir une possible volte-face de la diplomatie française et une concession à l’opposition libanaise qui s’est accordée sur le nom de Jihad Azour? La désignation de Le Drian pourrait donc marquer le début d’une nouvelle phase dans l’initiative française, caractérisée par un changement de stratégie et une approche plus assertive pour faire face aux défis complexes qui se présentent au Liban.

Mme Takieddine nuance cette analyse et considère que "pour entamer des efforts de médiation, Jean Yves Le Drian ne peut être partie prenante et ne doit soutenir aucune des deux candidatures (celles de Frangié et Azour) ". Et d’ajouter: "Le président français, par cette désignation, a voulu donner un nouveau souffle aux efforts français au Liban". De ce fait, elle exprime des doutes quant à cette nouvelle mission et se demande "si le président français lui-même n’avait pas réussi à aboutir à des résultats concrets de la part de la classe politique libanaise, qu’en est-t-il de Jean Yves Le Drian? Seule une convergence des efforts internationaux pourra débloquer la situation, notamment une entente entre l’Arabie Saoudite, la France et l’Iran".

D’ailleurs, à ce propos, selon une source diplomatique arabe bien informée qui a requis l’anonymat, l’Arabie Saoudite semble s’être a priori désengagée du dossier libanais et laisse une grande marge de manœuvre à l’effort diplomatique de Paris, tout en exprimant ouvertement ses réticences aux responsables français quant à la candidature de Sleiman Frangié.

À quelques jours de la visite de M. Le Drian prévue la semaine prochaine, une visite qualifiée par l’Élysée de " reconnaissance ", quelles sont donc les attentes qui se profilent à l’horizon? Quels développements et initiatives pourraient découler de cette visite hautement attendue?

Selon des sources proches de l’Élysée, Jean-Yves Le Drian proposera, au terme de sa mission à Beyrouth, un rapport détaillé au président Macron et à la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna, proposant une feuille de route concrète ainsi que plusieurs solutions envisageables. Ces dernières seront ensuite débattues avec la cellule diplomatique de l’Élysée, chargée du dossier libanais.

Reste à savoir si les parties prenantes au Liban seront à la hauteur de ce défi pour prendre en main le destin de ce pays afin de débloquer la situation, sans attendre une intervention étrangère. Il incombe aux Libanais de prendre en compte leur destin!