2022 sera sans doute une année charnière dans l’histoire du Liban contemporain. Et pour cause: des événements d’une ampleur considérable, aussi bien intérieurs qu’extérieurs, devraient s’y entrecroiser, événements qui auront des répercussions considérables sur l’avenir du pays du Cèdre. Certains observateurs estiment en effet que 2022, avec son lot d’échéances importantes pour le Liban, déterminera l’image du pays pour de longues années à venir, au point de changer radicalement la nature du Liban telle que nous l’avons connu jusque’à présent. Le pays se trouverait ainsi actuellement au début d’un grand renversement au niveau de son image, sa nature, sa composition, son rôle et son rythme de vie. Et les développements des mois à venir seront très importants, voire très dangereux, avec des conséquences à long terme, ne serait-ce qu’en prenant en compte des facteurs purement internes.

Il y a d’abord les deux échéances électorales prévues, législatives et présidentielle. À ce niveau, les expériences de l’histoire contemporaine nous ont appris que ces deux échéances, notamment la deuxième, donnent habituellement lieu à des événements dramatiques sur le territoire libanais. Aussi est-il devenu courant de reporter la première de ces échéances, les législatives, à travers la prorogation du mandat de la Chambre. Quant à l’élection présidentielle, elle est souvent sujette à une manipulation de ses délais. Depuis l’indépendance, le Liban ainsi a vécu plusieurs crises graves en marge d’élections présidentielles, qui ont ouvert la voie à des conflits politiques sanglants sur le terrain.

Partant, il est tout à fait naturel que l’année de cette échéance soit considérée comme celle de tous les dangers et de toutes les menaces. 2022 ne devrait pas échapper à la règle. L’année marque en principe la fin du mandat du président de la République Michel Aoun; le mandat de l’effondrement financier, économique et social quasi total, facteur déclencheur d’une révolution populaire qui a fait vaciller la pérennité de la classe politique au pouvoir.

Plus encore, cette révolution a noyé le mandat Aoun. Elle y a mis fin avant l’heure. C’est pourquoi Aoun rentre dans sa sixième année de mandat présidentiel épuisé sur le plan politique et populaire, et quasi isolé sur la scène politique libanaise, sans compter le boycott dont il fait l’objet sur le plan arabe et international – et ce alors même qu’il avait brandi le slogan du “mandat fort” au début de son sexennat! Il ne reste plus du mandat Aoun que des slogans, et l’image écornée d’un vieil homme qui se bat pour deux causes perdues d’avance.

La première de ces causes, c’est de finir son mandat par un exploit, même orphelin, qui améliorerait quelque peu cette image négative qui a caractérisé son mandat. La seconde est de gagner la bataille pour transmettre le pouvoir à son gendre, le député Gebran Bassil, et assurer son avènement au palais de Baabda.

Dans les deux cas, Aoun ne semble plus avoir de cartes à jouer. Si elles ont lieu comme prévu en mai prochain, les législatives devraient se solder par une défaite cuisante pour le parti du président et de son gendre, le Courant patriotique libre (CPL), ce qui pèsera de tout son poids sur les mois séparant les législatives de la présidentielle en octobre.

Le président n’a plus d’atouts en mains dont il pourrait profiter pour améliorer son positionnement dans le jeu concurrentiel au pouvoir. Il a perdu tous ses alliés et n’a plus qu’une planche de salut qui n’est même pas garantie, le Hezbollah, qui empêche jusqu’à présent l’effondrement total de Aoun et de son parti.

Mieux encore, la carte que possédait Aoun face au Hezbollah – celle de la couverture chrétienne offerte par le général durant seize ans au parti, qui a permis à ce dernier de sortir de son isolement et de prétendre à une dimension nationale grâce au soutien du parti chrétien longtemps le plus représentatif – a perdu de son importance. Et pour cause: le Hezbollah commence à faire face à une montée graduelle d’une opposition à son projet et à ses liens avec l’agenda iranien. Les signes de faiblesse dont souffre actuellement le camp présidentiel seraient d’ailleurs dus à cette persistance à trop coller au Hezbollah jusqu’au mimétisme. Un signe pour le parti chiite que le temps de l’alliance avec le parti de Michel Aoun et Gebran Bassil est bientôt révolu. D’autant qu’il existe désormais un vaste mouvement d’adversité au sein de l’opinion publique chrétienne face à ce que représente le Hezbollah.

Les éléments précités ne sont pas sans susciter des appréhensions concernant les développements importants qui pourraient se produire, notamment au regard de la réduction comme peau de chagrin de la couverture que le Hezbollah possédait via son alliance avec Aoun, laquelle pourrait déboucher sur une déstabilisation du pays. Surtout que le Hezbollah pourrait sentir qu’il fait l’objet d’une tentative de blocus politique contre lui au plan intérieur, dans le prolongement du siège qu’il subit déjà à l’échelle arabe et internationale. Un état de fait qui n’est pas sans réduire la marge de manoeuvre qu’il détient actuellement grâce à son contrôle des centres vitaux de la décision souveraine libanaise, et du fait de sa force décisive aux niveaux parlementaire et gouvernemental.

Il ne faut pas oublier dans ce cadre que le Hezbollah et ses alliés, notamment le CPL, possèdent la grande majorité des sièges parlementaires, ce qui se répercute sur la formation des gouvernements, formés depuis 2017 par une majorité d’alliés du Hezb.

Dans ce cadre, il existe une inquiétude que l’affaiblissement rapide de Aoun ouvre la voie à un torpillage des législatives, puis à un report de la présidentielle, ce qui conduirait à une prorogation du mandat de la Chambre des députés, en contrepartie d’une rallonge d’un ou deux ans du mandat du président de la République. La première extension entraînerait l’autre. Mais cela nécessite d’abord d’instaurer le climat nécessaire pour des négociations à chaud, l’atmosphère qui justifierait le torpillage des législatives et de la présidentielle…

Or seul le Hezbollah possède la capacité de pousser le pays vers une escalade sécuritaire ou un choc dans la rue. L’expérience nous apprend en effet que lorsque le Hezbollah sent que son hégémonie sur le pays est menacée, il va très loin dans le jeu sanguinaire, que ce soit par le biais d’assassinats, de confrontations dans la rue ou d’offensives militaires contre des villes et des régions (comme en mai 2008).

À l’époque, la rue et les assassinats ne s’étaient calmés qu’une fois que le Hezbollah avait commencé à réaliser des gains politiques et que ses ennemis avaient faibli jusqu’au point de conclure des compromis avec lui, contribuant à lui confier les clefs réelles du pouvoir. D’où cette crainte que la montée en grade de l’opposition au Hezbollah et à ses pratiques au sein de l’ensemble des composantes de la société libanaise ne pousse in fine la milice inféodée à l’Iran à revenir à sa bonne vieille méthode: le jeu sanguinaire.