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L’envoyé spécial du président Emmanuel Macron, Jean-Yves Le Drian, appelle les forces politiques à accélérer l’élection d’un président. Le groupe des cinq (Les États-Unis, l’Arabie saoudite, l’Égypte et le Qatar, en plus de la France) en charge du dossier libanais ainsi que le Vatican exhortent également les parties locales à combler la vacance présidentielle, craignant des répercussions négatives sur l’avenir du Liban.

Des sources diplomatiques occidentales soulignent que les forces politiques libanaises se doivent absolument de mener à bien cette élection présidentielle. Cependant, il semble que l’axe obstructionniste (iranien) ne soit pas pressé. En effet, le Hezbollah ne souhaite pas voir élire un président dans l’urgence pour deux raisons : la première, externe, est liée à son alignement sur "l’agenda" de l’Iran; la seconde, interne, est due au fait qu’il souhaite légaliser en quelque sorte ses privilèges et ses gains, profitant du dossier de la présidentielle pour y parvenir.

Les leaders chrétiens, ainsi que les forces sunnites et druzes, s’opposent à la légalisation des privilèges et des armes du Hezb. Par conséquent, l’opposition propose le fédéralisme et la décentralisation élargie, voire la partition. Certains milieux diplomatiques considèrent cela comme une réponse à la demande du Hezb de conserver ses armes et d’établir une nouvelle stratégie de défense similaire au modèle irakien, où la "résistance" et ses armes sont légalisées et institutionnalisées. Par conséquent, le Hezbollah continue d’entraver l’élection présidentielle tant que ses demandes ne trouvent un écho favorable sur la scène locale.

L’opposition considère l’appel au dialogue du président Nabih Berry comme une couverture politique visant à mettre en œuvre le plan du Hezb qui cherche non seulement à légitimer la "résistance" mais à adopter le slogan "peuple, armée et résistance" dans toutes les déclarations ministérielles. Les milieux des Forces libanaises soutiennent que dans ce cas précis, l’appareil militaire du Hezbollah se transformera d’une milice illégale en une structure paraétatique prétendument nationale relevant du Hezbollah, placée à son service et qui risquerait donc de mener des opérations telles que celle du 7 mai 2008 à Beyrouth.

Un tel problème pourrait plus particulièrement se poser après l’accord avec Israël sur la délimitation des frontières maritimes. Par conséquent, la "troïka" chrétienne (Forces libanaises, Courant patriotique libre et les Kataeb) s’est empressée de rejeter le dialogue prôné par le Hezbollah, le considérant comme une entrave à l’élection présidentielle, plongeant le pays dans l’inconnu, sans compter les demandes pressantes de changement du système de Taëf par le biais d’une Constituante. Dans ce contexte, et dans le but de donner un caractère national à ses armes, le Hezb a mobilisé le front sud pour soutenir sa demande de légitimer ses armes pour faire face à "l’ennemi".

Le Hezb fait pression, à travers la vacance présidentielle, afin de satisfaire ses demandes, et d’une manière plus générale la fin de l’impasse présidentielle n’aura lieu que sur demande de l’Iran. En réaction à cette situation, certains suggèrent au Hezb, sur base du rapport de force actuel, de mettre en œuvre ses demandes par étapes plutôt que d’une seule fois. Force est de relever dans ce cadre que ces demandes ne se limitent pas à la "résistance" et aux armes, mais incluent également la politique intérieure, comme l’obtention du tiers de blocage lors de la formation des gouvernements, ainsi que le contrôle de certains portefeuilles spécifiques, en plus d’autres demandes, telles que les nominations à des postes clés sensibles, financiers et militaires.

Il va de soi que ces demandes ont entravé la mise en place des institutions de l’État et leur bon fonctionnement. Il n’en reste pas moins que certains responsables du Hezb s’opposent à la réalisation des revendications par étapes, craignant les développements régionaux et redoutant surtout que l’accord de Pékin et l’émergence de nouvelles forces politiques ne fassent perdre au Hezb sa position et son rôle.

Par conséquent, certains acteurs extérieurs estiment que le comportement du Hezb durant cette période de vacance présidentielle est inacceptable. Parallèlement, le président Michel Aoun, le CPL, et les Forces Libanaises, ainsi que les dirigeants sunnites et druzes, ne sont pas d’accord avec les requêtes du Hezb. D’aucuns estiment dans ce cadre que le conflit autour de l’échéance présidentielle ne porte pas sur les noms, mais plutôt sur le choix politique. Les Cinq de Paris considèrent donc que les Libanais doivent prendre une décision concernant leur choix politique.

Sur base de ce qui précède, un ancien ministre des Affaires étrangères estime que le conflit tourne autour de deux options: d’un côté, ceux qui tentent de lier le Liban à l’axe obstructionniste, et de l’autre ceux qui insistent sur la neutralité du Liban au niveau du conflit des axes et qui s’attachent à la déclaration de Baabda (juin 2012) et à la politique de distanciation.

Selon des sources politiques proches du Hezb, il n’y a rien de nouveau concernant l’échéance, car tout le monde attend un règlement régional. Le Liban n’est plus une priorité d’autant plus que les responsables politiques n’assument pas leurs responsabilités en élisant un président après neuf mois de vacance.

La mission de Jean-Yves Le Drian en tant qu’émissaire présidentiel au Liban est une tentative de sauver l’initiative française. Cependant, Le Drian n’est pas favorable au dialogue en l’absence de la composante sunnite et le refus des chrétiens, et il insiste sur le maintien de l’accord de Taëf alors que les chiites souhaitent une  Constituante.

De sources occidentales on estime que toutes les forces politiques libanaises, à l’exception des chiites, demandent l’élection du président via le processus constitutionnel, c’est-à-dire en tenant des séances parlementaires ouvertes comme cela se faisait par le passé. Il semblerait que le Hezb, dans sa course contre la montre, cherche à reproduire l’expérience irakienne (la légalisation de la milice), une idée rejetée par tous.