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Les Libanais gardent les yeux rivés sur Doha où une réunion du groupe des cinq (France, États-Unis, Arabie saoudite, Égypte et le Qatar) doit se tenir en début de semaine afin de discuter du dossier libanais sur base des conclusions de la mission beyrouthine de l’envoyé spécial du président français, Emmanuel Macron, pour le Liban, Jean-Yves Le Drian.

M. Le Drian qui sera présent à la réunion, devra rendre compte aux représentants des cinq des résultats du premier round de pourparlers qu’il avait engagés au Liban en juin dernier. Selon l’agence locale al-Markaziya, l’ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea sera présente également aux concertations, au terme desquels M. Le Drian pourrait effectuer une nouvelle visite au Liban, pour un second round d’entretiens.

Si le Libanais lambda s’intéresse à cette réunion, c’est surtout dans l’espoir d’une redynamisation des institutions qui mettrait le Liban sur la voie d’un redressement. Pour les partis politiques, l’enjeu est différent. Certes, ces derniers scrutent une sortie de crise, mais à la seule condition qu’elle corresponde à leurs attentes. Pour le camp souverainiste, soutenu par une large frange de la population, il est important que la fin du vide à la tête de la République libère l’État de la mainmise destructrice du Hezbollah. D’où son opposition toujours aussi acharnée à la candidature d’une personnalité proche de l’axe pro-iranien. Bien qu prônant le dialogue, le parti chiite maintient sournoisement ses conditions. Car pour lui, l’enjeu est de taille. Il y va de son pouvoir.

Les discours du week-end ont reflété ces divergences dans les positions. Le chef des Forces libanaises Samir Geagea, qui s’est "longuement" entretenu à Bkaakafra, au Liban-nord, avec le patriarche maronite Béchara Raï au sujet de la présidentielle, a insisté sur le fait que "la seule solution à la crise passe par la convocation d’une réunion parlementaire électorale et l’élection d’un chef de l’État". "Qu’ils arrêtent d’attendre la France, et d’aller en Égypte ou au Qatar", a-t-il lancé, en insistant sur le fait que "l’opposition n’acceptera pas des solutions bâclées et ne pliera pas, même sous la pression de la crise, provoquée par les autres, qui rejettent les solutions constitutionnelles et qui se soucient peu des difficultés socio-économiques de la population". "Je le dis pour qu’ils sachent bien vers où ils se dirigent. Le seul règlement possible consiste à nous rendre tous au Parlement et à tenir des réunions successives jusqu’à l’élection d’un chef de l’État. Le 14 juin dernier (date de la dernière réunion parlementaire), si le camp de la Moumanaa (axe pro-iranien) ne s’était pas retiré de l’hémicycle, nous aurions eu un président aujourd’hui", a affirmé Samir Geagea. Plus virulent, encore, Ghassan Hasbani, député des Forces libanaises, a accusé sans détour le président de la Chambre Nabih Berry, allié du Hezbollah de "s’être retourné contre l’accord de Taëf, en inventant des usages nouveaux à chaque échéance constitutionnelle". Il a plus particulièrement critiqué l’appel au dialogue à la place d’une élection.

Appels et menaces

Non seulement l’appel de l’opposition à respecter les règles démocratiques constitutionnelles continue de tomber dans l’oreille d’un sourd, mais l’axe pro-iranien ne fait que créer la surprise avec sa "créativité" (anti)constitutionnelle. La dernière en date se traduit par une jurisprudence du cheikh Nabil Qaouk, membre du Conseil central du Hezbollah, pour qui "l’équilibre des forces au sein du Parlement rend une entente (autour d’un candidat à la tête de l’État) contraignante". Inutile de préciser qu’il n’a pas évoqué le texte constitutionnel ou autre, sur base duquel il a asséné cette règle.

Dans le même temps, le mufti jaafari, le cheikh Ahmad Kabalan, proche du Hezbollah, qui a comme à son habitude descendu en flèche l’opposition et les États-Unis, en leur faisant assumer la responsabilité de la crise dans laquelle se débat le pays, tenait un discours avec des menaces à peine voilées. Des menaces qui s’adressent tant à ses adversaires politiques qu’aux parties étrangères engagées en faveur d’un règlement au Liban. "La solution est et doit rester interne. Une aide extérieure pour une sortie de crise est la bienvenue, mais le jeu des sacrifices est interdit. Le Liban bénéficie toujours d’une décision nationale souveraine. Le triptyque armée-peuple-résistance a donné naissance à un pouvoir de dissuasion, qui est également politique et qui est menée par le tandem national", Amal et Hezbollah, a-t-il averti, dans une déclaration.

Un avertissement évidemment assorti d’un appel au dialogue, lancé il y a quelques jours par le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et relayé de nouveau dimanche par l’uléma Ali Fadlallah.

L’opposition reste cependant catégoriquement opposée à un dialogue "qui ne mènera nulle part". Un point de vue que partage le CPL, dont le chef, Gebran Bassil, a affirmé dimanche qu’il est pour un dialogue "si celui-ci peut déboucher sur une solution mais contre un dialogue qui restera sans résultat et qui n’est pas lié à un agenda clair, suivant un calendrier précis et qui débouchera sur la tenue de la présidentielle, quel que soit le résultat de l’élection".