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Les rédactions d’Ici Beyrouth et This is Beirut se joignent à l’appel lancé à l’initiative de nos confrères de l’Orient-Le Jour, dénonçant le verdict prononcé contre la journaliste Dima Sadek. Même si Ici Beyrouth et This is Beirut n’ont pas été sollicités pour être parmi les médias signataires, ils souhaitent ainsi marquer leur attachement à la liberté d’expression, la liberté de la presse et la pluralité d’opinions.
Ci-dessous le texte complet de l’appel :

" Une journaliste, en l’espèce notre consœur Dima Sadek, vient d’être condamnée par un tribunal pénal à un an de prison ferme pour un délit d’opinion. Nous, groupe de médias libanais – de la presse écrite, de l’audiovisuel ou du numérique–, avons voulu par cet appel faire part de notre indignation face à ce que nous considérons comme un verdict particulièrement sévère et injustifié. Un jugement qui confirme l’existence d’une dérive observée depuis quelques années au niveau des pouvoirs libanais vers davantage d’étouffement " légal " des libertés : une bien triste évolution dans un pays qui s’est longtemps targué d’être un phare de la promotion et la défense de ces libertés au sein d’une région où pullulent les gouvernements liberticides de tous acabits. Et cela d’autant que le vaste espace de communication offert aujourd’hui par internet requiert désormais une approche plus précise et équitable de la notion de " délit d’opinion ".

Dans ce texte, nous voulons mettre l’accent sur trois points essentiels :

Premièrement, il n’est pas question ici de nous prononcer sur le fond de l’affaire et notamment sur le point de savoir si la journaliste en question s’est rendue coupable ou non d’un acte légalement répréhensible et qui mérite sanction. Notre souci est, dans ce cadre, uniquement de relever que la peine prononcée est inhabituellement sévère pour ce type de délit, ce qui en soi confirme le durcissement intempestif constaté dans le comportement des pouvoirs sur la question des libertés : une tendance dont nous condamnons tous les aspects.

Deuxièmement, il existe au Liban un cadre judiciaire adéquat pour les délits de presse ou de diffamation commis par des journalistes et des travailleurs dans les médias. Il s’agit du tribunal des imprimés. Nous constatons qu’à la faveur d’interprétations souvent subjectives ou même abusives de certaines règles de procédure, il est de plus en plus fréquent de voir que des affaires de ce type sont déférées devant des juridictions statuant en matière pénale. Cela constitue très souvent, dans l’esprit des lois, une violation claire du principe qui est à l’origine de la création du tribunal des imprimés et qui, indubitablement, vise à protéger la liberté d’expression plutôt qu’à la criminaliser.

Troisièmement, nous considérons que le verdict sévère prononcé dans le cadre de l’affaire qui nous intéresse est d’autant plus injustifié et absurde qu’il survient à l’heure même où le Liban devient un paradis d’impunité et que cela se passe le plus clairement du monde devant les yeux des Libanais et de la communauté internationale. Des enquêtes avortées ou entravées, notamment sur des crimes d’ampleur terrifiante (qu’il s’agisse des assassinats politiques, des crimes financiers ou encore de la tragédie du 4 août 2020) aux jugements que nul ne se soucie d’exécuter ; des mandats non suivis d’effet aux querelles minant le corps judiciaire, du viol quotidien de la Constitution à l’interminable délitement de l’État de droit à tous les niveaux, le Liban et sa justice offrent un spectacle désolant à l’intérieur duquel le verdict en question prend des proportions de farce tragique.

Face à ce nouvel outrage de la part des pouvoirs publics, nous exprimons notre indignation la plus totale et réclamons avec fermeté et insistance que des mesures soient immédiatement prises pour inverser le cours des choses et œuvrer à recréer un cadre protecteur pour la liberté d’opinion et d’expression dans ce pays ".