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L’ancien gouverneur de la Banque Centrale, Riad Salamé, a donc quitté sa fonction ce 31 juillet 2023 au milieu d’une fanfare, tout autant festive qu’inutile. La démocratie exige que le pays puisse comprendre, enfin, les aléas de l’effondrement financier général et de l’appauvrissement d’une grande partie de la population, notamment les catégories les plus fragiles parmi les citoyens du troisième âge. L’ancien gouverneur observera-t-il un silence sépulcral sur certaines grandes décisions qu’il a prises; ou bien lèvera-t-il le secret sur certaines informations sensibles, de nature à mieux faire la lumière sur comment le peuple libanais a été dévalisé par son propre État.

Je ne connais pas Riad Salamé et ne suis pas compétent pour juger la politique financière qu’il a suivie à la tête de la Banque Centrale depuis 1993. Trente ans, presqu’une génération, à la tête de l’institut d’émission de l’Etat libanais; ce n’est pas rien.
En démocratie, une telle longévité d’exercice d’un pouvoir, somme toute régalien, est inhabituelle. En démocratie, s’incruster dans une fonction est inapproprié, car cela se fait toujours au détriment du principe d’alternance. Rien n’est aussi naturel que de remplir une mission puis de partir en laissant la place à quelqu’un d’autre. L’alternance se fait en douceur, conformément aux lois et aux dispositions constitutionnelles. Nul n’est indispensable dans la fonction publique. Au Liban, hélas, l’exercice d’une fonction identifie, d’office, le pouvoir qui en découle avec la personne qui occupe le poste. Le cas de Nabih Berri en est un exemple particulièrement illustratif. Il occupe le perchoir de la chambre des députés depuis 1993. Mais il est toujours là, comme maître incontesté et inamovible du pouvoir législatif, émanant du suffrage universel.
Riad Salamé fait l’objet d’actions en justice dans certains pays européens, pour des transactions ayant eu lieu dans les États concernés. Quelles suites ces actions auront-elles pour la personne de l’ancien gouverneur ? Ce n’est pas là ce qui préoccupe le peuple libanais. La vraie question c’est le droit du peuple libanais à faire la lumière sur comment il a été légalement dévalisé et par qui exactement. Le pillage systématique semble se poursuivre, puisqu’il est question de financer, encore et toujours, le trésor public avec les fonds particuliers déposés à la BDL, et ce afin de payer les salaires des fonctionnaires de l’Administration et des forces armées. En d’autres termes, on continue à ne pas vouloir réformer et à s’obstiner à remplir le tonneau des Danaïdes. Tant pis pour les épargnants. Surtout, évitons de mettre en place les réformes structurelles que le monde entier nous réclame. Qu’on dilapide ce qui reste encore, afin de payer les salaires et les retraites d’un secteur public où s’amoncellent les clientèles inutiles des seigneurs des mafias politiques.
En 2017, le mandat de Riad Salamé, comme gouverneur de la BDL, fut renouvelé à la demande personnelle de l’ancien chef de l’Etat, Michel Aoun ; demande faite en dehors de l’ordre du jour d’un conseil des ministres. Le gouvernement de l’époque accepta à l’unanimité. Cinq ans après, lors de son discours de fin de mandat, le président Aoun se lança dans une philippique peu commune contre le gouverneur Salamé l’accusant d’être le coordonnateur des réseaux de la corruption mafieuse qui a mis le Liban à sec.
Il aurait été souhaitable, pour Riad Salamé, de ne pas accepter de reprendre ses fonctions en 2017. Rien ne sert de s’incruster quelque part. Il vaut mieux quitter la tête haute ; et surtout jouer la transparence afin de rendre des comptes sur sa gestion de son poste de grand argentier de l’État. Aujourd’hui, son image de marque est malheureusement ternie par toute une campagne de la part de certains clans politiques, et par des actions en justice entreprises par une magistrature libanaise qui leur est inféodée.
On souhaiterait que quiconque a exercé une quelconque responsabilité depuis 1993 puisse, de même, rendre des comptes devant une cour de justice. C’est alors que le slogan ambigu de 2019 "kellon ye3ni kellon" (Tous c’est-à-dire tous) prendrait son vrai sens démocratique : "Tout le monde sans exception est justiciable, nul n’est au-dessus de la Loi".
Aujourd’hui qu’il n’est plus aux affaires, il appartient à Riad Salamé d’organiser sa défense en justice et surtout de répondre à la question angoissée de tout citoyen libanais : "Dîtes-moi Monsieur Salamé, qui m’a dévalisé ? Qui m’a précipité dans la pauvreté après tant d’années de dur labeur?".

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