L’explosion du 4 août 2020 reste un événement fermement ancré dans la mémoire des Libanais et du Liban. Les images apocalyptiques ont fait le tour du monde, provoquant une vague d’émotion internationale. Trois ans après la tragédie, Ici Beyrouth est allé à la rencontre de Libanais, vivant à Paris, et témoins de ce jour. Ils racontent.
4 août 2020. Voilà alors près d’un an que les Libanais vivent au quotidien dans un pays frappé par des crises économique, sociale et politique. Des crises renforcées par l’épidémie de Covid-19, alors très virulente au Liban, notamment du fait des pénuries de médicaments. Dans l’après-midi, un incendie se déclare dans l’un des entrepôts du port de Beyrouth. Les pompiers sont dépêchés sur place. Le feu gagne progressivement en intensité. D’épaisses colonnes de fumée s’élèvent dans les airs, accompagnées de bruits semblables à des feux d’artifice ou des coups de feu. 18h07. L’heure H. Une gigantesque explosion se produit. L’onde de choc ravage tout sur son passage et est ressentie à plusieurs dizaines de kilomètres. Une fumée orangeâtre s’élève dans le ciel. Des centaines de tonnes de nitrate d’ammonium viennent d’exploser. Il y avait 2.750 tonnes dans l’entrepôt n°12. Des quartiers entiers ont été détruits, des habitations se sont écroulées au sol, des familles ont été anéanties.
Comme le rappelle Amnesty international, l’explosion survenue au port de Beyrouth «est l’une des explosions non-nucléaires les plus dévastatrices de l’histoire mondiale. Elle a envoyé des ondes de choc à travers toute la ville, tuant au moins 220 personnes et en blessant plus de 7.000 autres, tout en causant de très importants dégâts matériels». Les images de l’explosion ont fait le tour du monde et des réseaux sociaux. Elles ont suscité une vive émotion à travers la planète.
«La chambre a commencé à bouger»
Rhéa, aujourd’hui architecte à Paris, avait 22 ans au moment des faits. Elle vivait alors au Liban et était en dernière année à l’université. Elle était seule chez elle au moment de l’explosion, devant le miroir de sa chambre. Elle s’apprêtait à sortir. Elle raconte: «Je me souviens du bruit entendu d’abord. J’ai pensé qu’il y avait eu un accident de voiture en bas de chez moi. Trois minutes plus tard, la chambre a commencé à bouger, toutes les portes et les fenêtres faisaient du bruit, le miroir aussi bougeait.»
La jeune femme se remémore également les conversations qu’elle a eues avec sa famille et ses amis, quelques instants après la déflagration. «Mon téléphone était en train de sonner. J’ai tout de suite pensé à mes parents qui n’étaient pas à la maison. J’ai cru qu’il leur était arrivé quelque chose. J’ai répondu et c’était mon père qui me disait de ne pas sortir de la maison.» Ses amis lui avaient dit «que c’était Israël qui avait bombardé un bâtiment à Beyrouth, peut-être le Grand Sérail. Il y avait les frères et sœurs de mes amis qui m’appelaient aussi pour savoir si j’étais avec eux parce qu’ils ne leur répondaient pas. On ne comprenait rien».
Mike, 29 ans, travaille dans la finance à Paris. Âgé de 26 ans à l’époque, il était alors secouriste à La Croix-Rouge à Gemmayzé à cette période de l’année. Il était présent, non loin du port, au moment de l’explosion. «J’étais sur le balcon du centre de la Croix-Rouge à Gemmayzé, juste en face du port, en train de regarder le feu. On ne savait pas ce qui se passait», explique-t-il. Il précise: «Je me souviens d’avoir entendu un son très fort, semblable à celui d’un avion, donc on a essayé de voir d’où venait ce bruit.»
C’est à ce moment-là que l’explosion se produit. Sa proximité géographique avec le port l’affecte directement. Il est soufflé par l’onde de choc. «J’ai volé à quinze mètres je pense. J’ai ouvert les yeux, c’était gris. Je ne voyais rien. J’avais les oreilles qui sifflaient. Pendant dix secondes, j’ai cru que j’étais mort.»
«Les gens s’entassaient par terre»
Mike et ses collègues descendent ensuite dans la rue. Il décrit des scènes de panique, d’incompréhension et de désolation. «Tout le centre et toute la rue étaient détruits. On était en tenue de Croix-Rouge et on voyait les gens courir vers nous. Tout le monde était paniqué, personne ne savait quoi faire, y compris nous.» Il explique par ailleurs que leurs ambulances «étaient toutes détruites». «On était incapable d’aider les gens. On leur demandait de se rendre à l’hôpital le plus proche s’ils arrivent à marcher. Mais on n’avait aucune idée de l’ampleur des dégâts et on ne savait pas que les hôpitaux aussi étaient tous touchés.»
Jihane, 33 ans à l’époque des faits, travaillait comme les autres jours à l’hôpital. Elle décrit la situation après l’explosion. «C’était une catastrophe, un état de panique, le chaos extrême.» Elle raconte: «Notre hôpital n’était pas du tout proche du port. Mais vu que beaucoup de gens, même très loin, étaient touchés, les hôpitaux étaient rapidement débordés. Un état d’alerte a été rapidement déclenché et toute l’équipe médicale était en place.» La médecin raconte également qu’il n’y avait «pas assez de chariots», que «les gens s’entassaient par terre» et qu’il y avait «du sang partout». Jihane raconte également avoir dû s’occuper de sa propre sœur, blessée durant l’explosion. Elle se souvient: «Même ma sœur, qui a été blessée dans son travail (rien de grave, mais elle avait besoin de points de suture), je n’ai pas eu le temps de m’occuper d’elle.» Elle poursuit: «Cinq heures plus tard, je me souviens qu’elle m’attendait aux urgences. J’ai parcouru plusieurs fois le couloir des urgences, je ne la trouvais pas. Je n’ai pas réussi à retrouver le visage de ma propre sœur parmi les centaines de visages. Jusqu’au moment où je la vois assise par terre (parmi d’autres) en train de crier mon nom.»
La médecin rappelle qu’elle avait «l’obligation de traiter les gens qui ont été touchés. C’était un stress énorme. On n’a eu le temps ni de manger ni de dormir». Aujourd’hui médecin à Paris, elle se souvient: «Même quand je suis rentrée chez moi, à 6h du matin, je n’ai pas réussi à m’endormir. J’étais dans un état de choc. Et ce n’est qu’à 17 heures que j’ai appris ce qui s’était passé et qu’il y avait eu une explosion au port.»
«Traumatisée»
Mike confesse avoir souffert de quelques blessures à la tête et au dos, mais, dit-il, «avec l’adrénaline du moment, je n’ai rien senti». En revanche, précise le jeune homme, «notre maison, située à Gemmayzé, a été complètement détruite. On a dû effectuer des travaux».
Pour Jihane, il y a un avant et un après 4-Août. L’explosion – combinée à la crise économique – a d’ailleurs été l’une de ses motivations pour quitter le Liban. «Après la crise économique et l’explosion, comme beaucoup d’autres jeunes médecins, je n’avais plus grand intérêt à rester au Liban», explique-t-elle.
De son côté, Rhéa raconte avoir été «traumatisée» par cette tragédie, au point «d’effacer ces souvenirs» de sa mémoire. «Quand des Français m’en parlent à Paris, je ne peux pas trop répondre parce que j’ai tout effacé. Je ne voulais plus me souvenir de ce désastre», confie-t-elle. Elle explique également avoir de la famille dont «la maison a été démolie» dans le centre-ville et avoir passé son été à Beyrouth «pour aider à nettoyer les routes». «J’ai même fait mon stage obligatoire de l’été en rénovation des quartiers affectés par l’explosion du 4 août.» «Ça m’a brisé le cœur. Et à chaque fois que je m’en souviens, ça me brise encore le cœur», conclut-elle.
Aujourd’hui encore, les survivants ont du mal à se remémorer ces souvenirs douloureux . Des familles de victimes continuent de réclamer des réponses et, surtout, justice pour leurs disparu(e)s. À Paris, le tout jeune Comité de coordination libano-français, le CCLF, organise une manifestation place du Trocadéro dans l’après-midi de ce vendredi 4 août. Les participants se rendront également à Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine, pour un moment de recueillement.
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