Écoutez l’article

"Tu m’y prends une fois, tu es une fripouille,

Tu m’y prends deux fois, je suis une andouille"

Ce dicton populaire – dont l’équivalent en anglais, "fool me once, shame on you ; fool me twice, shame on me", est encore plus explicite que son semblable françaisparaît avoir été spécialement élaboré pour illustrer le nouveau "dialogue" relancé il y a quelques jours entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre.

Au début des années 2000, plus précisément en 2006, lorsque l’accord de Mar Mikhaël avait été signé en grandes pompes par le général Michel Aoun et le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, les milieux aounistes tentaient, très difficilement, de justifier cet acte politique par une volonté de "libaniser" le parti pro-iranien!

Les farouches détracteurs de cette alliance rétorquaient en soutenant qu’en réalité, c’est le courant aouniste qui allait être "hezbollahisé"… Et pour cause: il ne pouvait qu’être phagocyté et mis en échec par une formation telle que le Hezbollah. C’est effectivement ce qui se passa dans les faits. Comment aurait-il pu en être autrement à la lumière du rapport de forces entre les deux parties? Le Hezbollah, qui a choisi dès sa création au milieu des années 80 du siècle dernier d’avoir pour parrain les Gardiens de la Révolution islamique, a bénéficié dès sa naissance d’un très gros soutien financier iranien, accompagné d’une importante aide logistique, militaire, sécuritaire, politique, diplomatique et socio-économique du fait de son ancrage au projet politique transnational fondé sur l’exportation de la Révolution islamique iranienne. Face à cette gigantesque structure paraétatique, quel poids pouvait avoir réellement le CPL, en termes de rapport de forces?  

Certes, le général Michel Aoun a réussi à se faire élire président de la République en 2016. Le CPL, grâce au soutien du Hezbollah, a pu se tailler une part importante au sein du Parlement et au niveau du pouvoir exécutif. Mais quel a été le résultat? Le CPL s’était posé en porte-étendard du "changement et de la réforme". Le bilan au terme d’un sexennat aouniste se passe de commentaires. Il est subi par les Libanais, dans leur chair et dans leur os, dans leur vie de tous les jours.

"Ils ne nous ont pas laissé" (travailler), ne cessait de répéter le chef du CPL, Gebrane Bassil. Ce n’est qu’à la fin du mandat funeste que l’ancien président Aoun et son gendre ont trouvé la force et l’audace nécessaires pour reconnaître – tantôt publiquement, tantôt entre quatre murs – que c’est le tandem Hezbollah-Amal qui a torpillé de façon radicale la présidence Aoun, en sabotant dans la foulée l’État central ainsi que les principaux secteurs vitaux du pays.

Il fallait être atteint de cécité politique ou être obnubilé par un affairisme dévastateur pour ne pas avoir compris, ou admis, que la politique est la résultante, entre autres, d’un rapport de forces et que, de ce fait, le marché de dupe conclu entre le CPL et le Hezb ne pouvait aboutir qu’à "l’enfer" évoqué par le président Aoun lui-même lors d’un point de presse au Palais de Baabda.    

Il suffit de lire la charte fondatrice du Hezbollah ainsi que l’ouvrage de référence du "numéro deux" du parti, cheikh Naïm Kassem, pour bien saisir que la formation pro-iranienne ne peut en aucune façon s’accommoder de la présence d’un État central efficace et fort, de même qu’elle ne peut concevoir une alliance avec une faction locale que dans un seul sens: elle en tire les bénéfices qui sert ses intérêts vitaux (en l’occurrence une couverture chrétienne, mais sous contrôle), et au bout du compte, l’autre partie, "l’allié", n’est que quantité négligeable devant l’enjeu du projet porté à bouts de bras par les "pasdarans" iraniens. Le plus déplorable aujourd’hui c’est que le chef du CPL se refuse à tirer les leçons de ce passé cauchemardesque et s’emploie depuis quelques jours à vouloir réitérer cette pernicieuse expérience.  

Des "acquis" et des "garanties" seraient au centre des pourparlers relancés entre les deux alliés de Mar Mikhaël. Mais que vaut la signature du Hezbollah? La longue série de conférences de dialogue tenues, en vain, avec la formation pro-iranienne depuis 2006 apporte une réponse sans équivoque à cette interrogation. La formation chiite possède tous les moyens nécessaires pour renier ses engagements et effacer sans sourciller tous les accords qu’elle signe, même sous égide arabe et internationale. Elle l’a fait avec Michel Aoun alors qu’il était à l’apogée de sa force, de sa popularité et de son influence politique. Quel poids peut avoir aujourd’hui le gendre en comparaison avec le beau-père lorsqu’il était au faîte de sa gloire?

À l’heure où l’ensemble de la région est en pleine mutation, s’engager sur la voie périlleuse d’un nouveau Mar Mikhaël reviendrait à offrir au Hezbollah – à la tête de pont des pasdarans – un cadeau inespéré sur un plateau en or. Un cadeau qui met en péril l’identité, la spécificité et le fragile équilibre socio-communautaire du pays du Cèdre.