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Il suffit d’oser: l’homme du Nord a relevé le défi lancé par l’homme du Sud, le milicien sorti du rang vient de narguer le mollah "auréolé de gloire militaire". David va donc affronter Goliath. Un combat en champ clos!

Dimanche dernier, il y eut à Meerab un film à grand spectacle; toute l’opposition était "présente ou représentée".

À l’issue de la messe annuelle, le leader des Forces libanaises (FL), Samir Geagea, a balayé d’un revers de la main toutes les manœuvres qui tendaient à accréditer l’intérêt d’un dialogue préalable, d’un dernier conciliabule entre gens de bonne compagnie ou d’un tango rythmé par Nabih Berry. Et par le seul pouvoir d’un mot, le NON, il a déclaré: "Le Hezbollah n’entrera pas à Baabda." No pasaràn!

Le cafouillis!

À l’autre bout de la salle d’armes, le président de la Chambre, Nabih Berry, en pèlerin de la paix, avait convié les responsables à un franc débat qui serait en mesure de désamorcer la crise existentielle qui mine la République libanaise. Ç’aurait été là, en fait, un énième badinage de sept jours pleins, lequel précéderait les séances successives consacrées exclusivement à l’élection du président de la République. Pour un observateur moyennement averti, c’était cousu de fil blanc et cet appel, s’il était suivi, ne constituerait qu’une digression pour atermoyer, voire pour noyer le poisson. Pourtant, le patriarche maronite, de son siège de Dimane, avait exhorté les députés à y répondre, en y mettant toutefois ses conditions, le "dialogue impliquant une approche sans imposition d’idées ou de projets" (1). On allait retrouver le même enthousiasme dans les rangs de la rencontre de Saydet el-Jabal qui, dans la foulée, a estimé qu’un dialogue interne serait susceptible de sortir le Liban de l’impasse présidentielle, "si deux conditions étaient remplies" (2). Même son de cloche du côté de Hadi Aboul Hosn (Parti socialiste progressiste), qui a dit "oui" sous réserve cependant que ladite causerie ne soit "ni conditionnée ni superficielle" (3).

Au lieu d’opposer un refus net à la convocation intempestive, nous voilà en train de négocier les conditions d’un colloque qui concrétise l’impasse. Pour couronner le tout, le Courant patriotique libre, surgissant comme un diable de sa boîte, a réitéré sa "prédisposition à participer à tout dialogue susceptible d’aboutir rapidement à l’élection d’un président de la République, mais alors un dialogue non traditionnel mais pratique et efficace avec pour ordre du jour le programme du nouveau président". (4)

Les députés souverainistes ont du moins dénoncé cette initiative du président de la Chambre, la considérant comme une "manipulation politique". Mais c’est surtout Ghayath Yazbeck, député FL, qui a exprimé l’incompréhension générale face au changement de cap du patriarche, changement ou virage qui fait le jeu des obstructionnistes.

Mais qui donc écoute le chant des sirènes?

Pour ceux qui connaissent leurs classiques, pour ceux qui ont lu l’Odyssée, écouter le chant des sirènes, c’est accepter une offre séduisante en apparence, mais pouvant se retourner contre celui qui l’accepte. Dans un épisode de l’épopée célèbre, Ulysse se fait attacher au mât de son bateau pour pouvoir écouter les mélopées de ces créatures malfaisantes sans devoir céder à leur charme. Le roi d’Ithaque était bien trop astucieux pour se laisser berner.

Quant à ceux qui ont fait leur catéchisme, qu’ils méditent les paroles du Seigneur (et plus spécifiquement Matthieu 23:3), paroles qui nous préviennent contre la duplicité des cabotins.

Les "obligés" de ce symposium de la dernière heure devraient plutôt admettre l’habileté éprouvée du président de la Chambre, Nabih Berry, et avouer combien flattés ils sont de répondre par l’affirmative à un dialogue national. Abusés, ils feraient mieux de ne pas s’engager dans des sables mouvants. Ils veulent faire preuve d’habileté, alors que c’est le moment de faire preuve de fermeté. C’est que le cœur leur manque dans la confrontation avec les fossoyeurs de l’idée libanaise. Et Nabih Berry leur a rendu un fier service en leur trouvant une voie de sortie honorable.

Rien n’est aussi dissuasif que la fermeté!

Vauvenargues disait qu’"il est bon d’être ferme par tempérament, et flexible par réflexion". Et qui irait nier qu’il faut faire sa place à la souplesse, cette admirable capacité de s’adapter à un milieu changeant? Mais une chose est de faire preuve de flexibilité, d’optionalité, de gradualisme et autre chose est d’en faire étalage!

Certes, on ne peut pas demander à un dignitaire chrétien d’adopter les postures d’un commandant militaire, ni d’en avoir les réflexes, ni de réagir au quart de tour. Mais la charité chrétienne, qui est censée le caractériser, n’a pas à gommer son sens du discernement. S’il y a lieu, le chef spirituel doit dire "finita la commedia". Il manquerait à la sainte prudence s’il ne disait: "ça suffit".

Un "non" prononcé à bon escient légitimise son locuteur; il le réaffirme à la tête du troupeau. Le Non est constitutif!

Youssef Mouawad
[email protected]

1- " Raï: Le dialogue requiert une approche sans imposition d’idées", Ici Beyrouth, 3 septembre 2023.

2- "Saydet el-Jabal pose deux conditions pour un dialogue efficace", Ici Beyrouth, 4 septembre 2023.

3- "Aboul Hosn: Pour un dialogue sans condition", Ici Beyrouth, 3 septembre 2023.

4- "Présidentielle: Le CPL prêt à participer à un dialogue constructif", Ici Beyrouth, 5 septembre 2023.

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