La bataille municipale de Tripoli: luttes de pouvoir et alliances éclatées
Tripoli se prépare pour les élections du 11 mai, entre alliances fracturées, tensions croissantes et appels à une représentation équitable. © Vyacheslav Argenberg

Le district de Tripoli se prépare à des élections municipales cruciales, le 11 mai, avec 359 candidats répartis entre la ville de Tripoli, Al-Mina et Beddawi. À Tripoli, 187 candidats briguent 24 sièges au conseil municipal, une compétition qualifiée par les observateurs de la plus fragmentée et imprévisible depuis des décennies. À Al-Mina, 69 candidats se battent pour 21 sièges, tandis qu’à Beddawi, 38 candidats aspirent à rejoindre le conseil de 18 membres.

Cette élection représente un test décisif pour la scène politique de Tripoli depuis le départ de l'ex-Premier ministre Saad Hariri et la fragmentation des figures sunnites traditionnelles. À l'instar de Najib Mikati, qui s'est retiré du processus électoral, le Courant du Futur s'est distancé de la bataille municipale, tandis que Dar al-Fatwa a choisi de ne soutenir aucune liste particulière.

Une lutte pour l'orientation et la représentation

La situation se complexifie avec l’essor des candidats indépendants et de la société civile. Cependant, leur dispersion sur plusieurs listes pourrait nuire à leur influence. Des préoccupations plus profondes émergent: certains acteurs politiques craignent que les minorités chrétiennes et alaouites de Tripoli ne soient une nouvelle fois exclues du pouvoir municipal. Traditionnellement, la répartition des 24 sièges à Tripoli se fait comme suit: un siège maronite, deux orthodoxes, deux alaouites et le reste, sunnites.

Au cœur de la compétition entre les nombreuses listes dominées par les sunnites, les inquiétudes grandissent. Les observateurs redoutent que les électeurs éliminent les candidats des minorités au profit de noms sunnites. Le dernier conseil municipal était entièrement sunnite, excluant les minorités, malgré un soutien public en faveur de leur inclusion. Des personnalités comme les députés Faysal Karamé et Achraf Rifi ont appelé à préserver la représentation des minorités, mais aucune mesure concrète n’a été prise pour garantir l’élection de candidats chrétiens et alaouites.

Des retraits stratégiques redéfinissent la course

Deux figures qui avaient initialement l’intention de se lancer dans la course ont finalement retiré leur candidature. Le général de brigade à la retraite Mohammad el-Fawwal aurait renoncé après des échanges avec le député Faysal Karamé, tandis qu’Ahmad el-Zouq s'est désisté à la demande du député Achraf Rifi. Ces désistements surviennent dans un contexte de désaccords internes entre les principaux acteurs politiques concernant le choix des candidats.

À Tripoli, la bataille s’organise entre Tripoli Vision, Nasij Trablos et Hourras al-madina

La compétition municipale de Tripoli s’est structurée autour de trois principales listes, toutes marquées, de manière explicite ou subtile, par une identité islamique.
La liste Tripoli Vision, dirigée par Abdelhamid Karimé, est perçue comme la plus solide. Elle repose sur une large alliance regroupant les députés Achraf Rifi, Faysal Karamé, Taha Naji et Karim Kabbara. Avec un programme axé sur le développement de Tripoli et du Liban-Nord, elle se présente comme la plus apte à rassembler;son principal soutien financier provient du groupe Al-Ahbach.


Face à elle, la liste Nasij Trablos (Tissu de Tripoli), dirigée par Waël Zmerli, propose un mélange de figures issues de la société civile et du secteur caritatif. Elle bénéficie du soutien du député Ihab Matar et de l’association Omran.

La troisième liste majeure est celle des Hurras al-madina (Gardiens de la ville), dirigée par Khaled Omar Tadmari. Elle comprend plusieurs figures issues du soulèvement du 17 octobre. Selon des sources locales, elle bénéficie du soutien de la Jamaa islamiya, dont deux candidats figurent directement sur la liste, tandis que Tadmari lui-même entretient des liens étroits avec le mouvement.

D’autres listes sont également en lice, comme Saving Tripoli (Sauvons Tripoli) et Lel Fayha’ (Pour la Fayha’) , dirigée par Samer Dabliz et composée d’experts et d’activistes. Une autre initiative notable est celle de la liste Tadamon Nisaa’ Trablos (Solidarité des femmes de Tripoli), formée de treize candidates, réclamant une représentation accrue des femmes au sein du conseil municipal.

Bien que toutes les listes affirment représenter la population de Tripoli et mettent en avant des profils éduqués, plusieurs voix critiques estiment qu’aucune d’entre elles ne propose une nouvelle génération de leadership capable de transformer véritablement la scène politique locale. Malgré la concurrence, certaines sources évoquent une possible recomposition après le scrutin, avec une majorité issue des trois grandes listes.

Al-Mina: les sièges chrétiens au cœur de la bataille

À Al-Mina, la compétition se structure autour de deux principaux camps, avec, une fois encore, l’équilibre confessionnel au centre des débats. Historiquement, la municipalité comptait sept sièges réservés aux chrétiens, mais l’actuel conseil n’en compte plus que deux. Or, une importante population chrétienne réside toujours à Al-Mina et plusieurs acteurs cherchent à rétablir entre cinq et sept sièges pour cette communauté. En deçà, les responsables locaux considèrent qu’il s’agit d’un recul inacceptable.

Deux listes principales s’affrontent: Rouh el-Mina (l’Âme de Mina), conduite par Amer Haddad et appuyée, selon certaines sources, par Achraf Rifi, et Al-Mina Awwalan (Al-Mina d’abord), menée par Fadi el-Sayyed, avec le soutien du député Ihab Matar. Une troisième liste, Al-Mina Manara (Al-Mina, un phare), probablement dirigée par Abdallah Kabbara, est également en lice.

À Al-Mina, la bataille s’articule principalement autour d’un duel entre Al-Ahbach et Al-Jamaa al-islamiya, sur fond de rivalités internes au sein des composantes chrétiennes elles-mêmes. La prolifération des listes, combinée à des tensions confessionnelles et politiques marquées, rend le scrutin d’autant plus imprévisible.

Beddawi: une bataille à deux voix

À Beddawi, la scène électorale se joue entre deux principales listes. Ahed Jadid (Nouvelle génération) est portée par Saïd Omar Oweik, ancien président de la municipalité, il y a plus de deux décennies, aujourd’hui soutenu par Al-Jamaa al-islamiya. En face, Enmaa wa Amal Beddawi (Développement et espoir de Beddawi), menée par l’actuel président Hassan Ghamrawi, mise sur le soutien des familles locales et un enracinement communautaire, loin des clivages politiques traditionnels.

Les dynamiques cachées derrière la compétition

À l’approche des élections à Tripoli, les enjeux vont bien au-delà du développement local. Il s’agit aussi de tenter de redonner à la ville son image multiconfessionnelle d'autrefois. Les acteurs politiques avertissent que si les minorités chrétiennes et alaouites sont de nouveau exclues du pouvoir municipal, cela pourrait exacerber les divisions internes à Tripoli. Bien que l’opinion publique soutienne fermement la représentation des minorités, les jeux politiques et le comportement des électeurs risquent de faire échouer cet objectif.

Tous les regards sont braqués sur le 11 mai, un jour qui pourrait non seulement redessiner les rapports de forces à Tripoli, Mina et Beddawi, mais aussi influencer la scène politique sunnite à l’échelle nationale, dans un contexte de grande incertitude.

Commentaires
  • Aucun commentaire