Le bureau de presse du Palais présidentiel a démenti dimanche soir la tenue d’une réunion à Baabda faisant suite au communiqué publié par le tandem chiite concernant sa participation au Conseil des ministres.

La reprise des réunions du Conseil des ministres est prévue pour cette semaine – bien qu’aucune date précise ne soit encore fixée – avec un ordre du jour ne comportant que des points relatifs au budget et au plan de redressement économique.

Ce nouveau développement politique, inopiné et soudain, résulte de la levée du boycott gouvernemental de la part du tandem Amal-Hezbollah qui a publié samedi soir un communiqué commun en ce sens. En effet, le blocage gouvernemental, qui a duré plus de trois mois, était la conséquence directe du refus du duopole chiite que le juge d’instruction Tarek Bitar poursuive l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, sous prétexte que M. Bitar a politisé l’instruction en engageant des poursuites contre des responsables politiques proches de leur camp. La participation du binôme était donc conditionnée par une mise à l’écart de M. Bitar, au mépris du principe de la séparation des pouvoirs.

La fin du boycott du Conseil des ministres reste néanmoins aussi inattendue que surprenante, car le juge Bitar est toujours bel et bien chargé du dossier de l’explosion du port, et l’écarter de l’investigation semble quasi-impossible, puisqu’il bénéficie du soutien de la communauté internationale et du peuple libanais. Quel serait donc le facteur qui aurait poussé les deux partis chiites à revoir leur décision?

Une double pression 

La volonté de participer au Conseil des ministres n’est pas fortuite. Elle serait due à une importante pression exercée par la population chiite sur le duo Amal-Hezbollah, qui aurait réussi à le faire céder. Les circonstances économiques et sociales devenant de plus en plus sévères ont causé bien des remous parmi leurs partisans et leurs opposants. D’ailleurs, le taux de change du dollar qui a atteint les 33 000 livres libanaises la semaine dernière aurait largement contribué à la montée des tensions populaires, notamment chiite, à en croire les échos circulant dans les hautes sphères politiques. Face à cette colère, et les mains liées, le duopole s’est retrouvé dans l’obligation de céder sur un de ses fronts, afin d’éviter une implosion qui lui aurait coûté très cher aux prochaines élections législatives. C’est pourquoi Amal et le Hezbollah prônent la hausse des taux de la taxe douanière et de la taxe foncière, dans le cadre du budget, afin de financer les primes destinées aux fonctionnaires du secteur public (majoritairement chiites), pour regagner leurs assises populaires, selon les indications fournies par plusieurs sources informées.

De plus, les deux partis ont finalement jeté du lest pour ne pas être tenus responsables d’avoir entravé les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) et par conséquent, d’avoir causé la chute économique et financière du pays – en grande partie du fait de leur boycott – puisque le gouvernement est majoritairement formé de ministres proches de leur ligne politique.

Par ailleurs, le changement de position du duo chiite est aussi attribué à " un rapprochement saoudo-iranien au plan régional et à une évolution positive des négociations de Vienne ", précise une source informée proche de Baabda à Ici Beyrouth. En parallèle, ce revirement est perçu comme étant l’aboutissement " d’un calme régional doublé d’une pression internationale, favorisant l’élaboration d’un plan de redressement économique libanais ", comme l’indique une source informée proche du Sérail. Le timing de la levée du véto chiite est ainsi attribué aux circonstances économiques et sociales locales, avec une baisse des tensions régionales et internationales.

Un ordre du jour " économique "

L’ordre du jour prévu lors de la première reprise des réunions du Conseil des ministres est purement économique, condition sine qua non pour la participation du tandem chiite. " Les dossiers politiques et judiciaires ont été rayés de l’agenda ", confie un journaliste proche du duopole à Ici Beyrouth. Et d’ajouter: " Le Conseil des ministres se concentrera uniquement sur le budget et sur le plan de redressement économique. Les nominations judiciaires seront tout à fait exclues. " Une démarche singulière donc, qui confine l’action gouvernementale à certains dossiers. " Cette sélectivité va à l’encontre des règles de bonne gouvernance ", déplore un politologue à Ici Beyrouth. " Soit on assiste aux réunions du Conseil des ministres pour traiter la totalité des dossiers, soit on n’y participe pas ", poursuit-il.

Il n’en demeure pas moins que la participation du binôme chiite au Conseil des ministres est loin de résoudre à elle seule la crise politico-économique que traverse le pays; d’autant que le tandem persiste à paralyser le fonctionnement des institutions étatiques et constitutionnelles à plus d’un niveau.