Le régime des mollahs en Iran doit comprendre qu’il n’a plus d’autre choix que de se réconcilier avec une ligne de conduite logique et rationnelle. 

L’on peut aller loin dans l’analyse des raisons qui ont conduit le duopole chiite à autoriser le cabinet Mikati à reprendre ses réunions du Conseil des ministres, alors que nul n’ignore que le Hezbollah est à l’origine de la formation de ce gouvernement. L’on peut ainsi aller jusqu’à faire le lien entre ce qui se passe au Liban, d’une part, et l’avancée des négociations indirectes  en cours entre la République islamique d’Iran et l’administration US sur le nucléaire iranien, d’autre part. Ces négociations pourraient déboucher sur un nouvel accord entre le G 5 + 1 et l’Iran et remplacer, partant, l’accord conclu à l’été 2015, cadeau de l’administration Obama à la République islamique. À l’époque, l’Iran avait réussi à exploiter chaque dollar obtenu comme récompense à sa ratification de l’accord au profit de son projet expansionniste et de ses milices sectaires déployées dans la région.

En dépit du fait que le Hezbollah, en tant que brigade au sein des Gardiens de la révolution iranienne, ne peut prendre aucune décision, quelle qu’elle soit, sans un feu vert iranien, et même s’il a le dernier mot au sein du duopole chiite, ce qui ne peut être ignoré en fin de compte c’est que certains facteurs intérieurs libanais ont contribué à pousser le binôme à prendre sa décision de relancer les Conseil des ministres.

En tête de ces facteurs, la situation chiite elle-même. Après avoir parié sur la paupérisation du Liban et profité de l’effondrement et d’une politique visant à pousser les Libanais, et les chrétiens en particulier, à l’émigration, le Hezbollah se retrouve victime de ses propre pratiques. Il est certain que le Hezbollah songe aux moyens d’aider le gouvernement dans ses négociations avec le Fonds monétaire international, seule partie autorisée à aider le Liban dans les circonstances actuelles, même si c’est à de sévères conditions.

C’est pourquoi le communiqué du tandem chiite était clair dans son lien entre l’autorisation accordée par le Hezbollah pour la tenue d’une séance ou plus du Conseil des ministres et l’ordre du jour axé sur l’adoption du budget et du plan de relance économique. La relance des séances du Conseil des ministres et l’adoption des réformes font partie des conditions du FMI, qui observe la situation libanaise de près et qui se trouve en contact permanent avec le cabinet Mikati.

Il est impossible d’ignorer, dans ce cadre, l’angoisse du Hezbollah liée à l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 et qui vise à empêcher toute enquête sérieuse pouvant déboucher sur la vérité. Vérité sur les parties qui ont importé le nitrate d’ammonium au port de Beyrouth, qui l’ont stocké dans l’un de ses hangars durant des années, qui ont transporté les quantités requises en Syrie pour servir à la confection des barils d’explosifs utilisés par le régime syrien pour bombarder son peuple. Le gouvernement a réussi à trouver une solution qui a gelé les travaux de l’enquête judiciaire et l’activité du juge d’instruction, Tarek Bitar, ne serait-ce qu’à court terme. Le cabinet Mikati a réussi à sauver la face du binôme chiite, après que le président de la République se soit empressé, au lendemain de l’explosion, de barrer la route à toute enquête internationale.

Il est clair qu’une amélioration relative pourrait se produire sur la scène libanaise. Cependant, une telle amélioration restera temporaire et précaire compte tenu du fait qu’elle est bâtie sur des suppositions selon lesquelles l’Iran a " libéré " les séances du Conseil des ministres sur base de calculs qui lui sont propres. Ces calculs sembleraient être liés théoriquement au recul de son projet expansionniste à l’échelle de la région et à son besoin de faire preuve d’un changement d’attitude à l’extérieur de ses frontières, à l’orée d’un éventuel accord sur le dossier nucléaire. Cependant, parmi ses calculs également, l’Iran est obligée de prendre en considération le comportement du Hezbollah au Liban, à un moment où le parti, dont les slogans ne sont plus viables pour une grande partie de la communauté chiite, a besoin de recouvrer la confiance d’une partie de son environnement protecteur, qui souffre à son tour de l’effondrement libanais global.

Les semaines à venir montreront à quel point l’Iran est sérieux dans sa volonté de changer d’attitude hors de ses frontières. La question est-elle de gagner du temps pour convaincre l’administration US que la République islamique est sérieuse dans sa volonté de parvenir à un accord sur son programme nucléaire… ou bien y a-t-il plus encore ? En l’occurrence, l’Iran doit acquérir la conviction que son projet expansionniste, fondé sur l’implantation de milices inféodées et l’exacerbation des sentiments sectaires, n’a plus le moindre horizon, et qu’il sera incapable de trouver un accord avec le G 5 + 1, les États-Unis inclus, sans intégrer une formule à même d’opérer une réconciliation avec … la logique. La logique étant que l’Iran peut détruire comme bon lui semble à l’extérieur de ses frontières ou chez lui, mais qu’il ne peut pas construire, comme le prouve le pourrissement économique de la République islamique elle-même, mais aussi de l’Irak, de la Syrie, du Liban et du Yémen, à l’ombre des milices affiliées aux Gardiens de la révolution. Le régime des mollahs peut-il se réconcilier avec la logique ? Cette question devrait résumer à elle seule l’étape à venir dans toute la région.

Lire aussi : Le pari sur les élections est-il de mise?